François Mitterrand : un chef africain
Il y a vingt ans, disparaissait l’ancien président français François Mitterrand. Pour l’occasion, Jeune Afrique a sorti de ses archives l’article paru juste après sa mort, le 8 janvier 1996.
François Mitterrand avait réussi à devenir un mythe vivant pour les Africains. On avait même oublié que le Grand Chef blanc fut, au début des années cinquante cet implacable ministre de la France d’outre-mer, qui fit ployer un Félix Houphouët-Boigny, obligeant celui-ci à renoncer à l’alliance du RDA (Rassemblement démocratique africain) avec le Parti communiste français.
Les relations entre les deux hommes en resteront, d’ailleurs, définitivement méfiantes, contrairement à ce que l’on croit.
Espoir
Mais Mitterrand incarnera pour bien des Africains l’espoir. Le soir de sa première élection à la tête de l’État français, le 10 mai 1981, on enviait la France, on regrettait presque de ne pas être français. Des Africains ont participé à la grande fête de la place de la Bastille, les tripes nouées par une émotion non retenue.
Parce que, pour beaucoup, la gauche française était arrivée au pouvoir et que les dictatures africaines allaient enfin s’effondrer. Parce que, tous, on avait le sentiment historique d’être, pour la première fois, les témoins de la pratique démocratique : le pouvoir changeait de main, parce qu’un peuple en avait décidé ainsi.
Les promesses de l’espoir ne seront pas respectées, mais les Africains ont su fermer les yeux ; ils les fermeront encore davantage parce qu’on ne se dispute pas avec un mort. La politique africaine de la France ne changera pas, mais les Africains ont voulu voir le changement.
Thomas Sankara et le « Père Mitterrand »
Les immigrés en France seront traqués, mais les Africains ont affecté d’être légalistes. Les « sommets franco-africains » resteront toujours les grand-messes rituelles autour du Grand Chef blanc, mais l’humiliation ne sera plus la même en dépit de la liturgie ostentatoire que Mitterrand a su instaurer. Et on se félicitera, plus ou moins ouvertement, quand un Thomas Sankara a osé l’insolence en narguant le «Père Mitterrand » alors qu’il le recevait à un dîner officiel, à Ouagadougou en novembre 1986.
Puis est venu le sommet de La Baule, en mai 1990. Les Français ont falsifié l’histoire en prétendant que c’est François Mitterrand qui a alors quasiment intimé l’ordre aux chefs d’État africains de se soumettre à la démocratie. C’est faux. Le mouvement avait déjà été déclenché au Bénin, au Gabon et même…au Zaïre, un mois auparavant. Mais, sans doute mus par une sorte de passion irraisonnée, les Africains ont encore préféré voir la main de « Tonton » dans la démocratisation.
L’héritage de Mitterrand sur le continent
Celle-ci, sur les mauvais conseils de certains proches de Mitterrand, s’est faite dans le désordre. Les socialistes français, nostalgiques du tiers-état de 1789, ont imaginé une formule africaine : la conférence nationale. C’est-à-dire, dans bien des cas, la pagaille. Mais il n’était pas question d’en rendre François Mitterrand responsable.
En Afrique, on a conscience que Mitterrand n’appartient pas seulement à l’histoire de France. En près de cinquante ans, il a marqué l’histoire de l’Afrique. Le général de Gaulle restera l’homme de Brazzaville d’où il a annoncé, pour la première fois, l’éventualité d’une certaine autonomie pour les colonies de l’époque. Mitterrand ne sera pas seulement l’homme de La Baule. On oubliera d’ailleurs La Baule.
En quelque sorte, François Mitterrand laisse l’empreinte d’un chef selon la conception africaine du terme : il a usé du pouvoir, y compris jusqu’en Afrique, avec intelligence et roublardise, avec despotisme et générosité, avec compréhension et mépris, avec fougue et patience féline. Avec une certaine magie, en somme.
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