Fuite en avant
La tradition en a fait un devoir. Mais il m’est agréable de vous souhaiter, chères lectrices et chers lecteurs de Ce que je crois, une bonne et heureuse année 2016.
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Béchir Ben Yahmed
Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960 à Tunis. Il fut président-directeur général du groupe Jeune Afrique jusqu’à son décès, le 3 mai 2021.
Publié le 14 janvier 2016 Lecture : 5 minutes.
Elle a commencé sur les chapeaux de roues, nous confirmant, à vous et à moi, qu’une nouvelle année n’est, au fond, que le prolongement de celle qui l’a précédée.
Entre les deux, il n’y a pas rupture mais continuité : ce qui était en herbe en 2015 arrive à maturité en 2016 et le sous-jacent apparaît au grand jour.
Jugez-en.
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1) Je commencerai par l’Afrique et retiendrai deux évolutions que je trouve significatives.
• Ceux de nos chefs d’État qui ont décidé de se maintenir au pouvoir quoi qu’il en coûte – et parce qu’ils estiment qu’ils n’ont pas d’autre choix – maintiennent le cap, contre vents et marées.
Mais, tirant la leçon de la chute spectaculaire et, pour eux comme pour lui, inattendue de Blaise Compaoré, ils procèdent avec d’infinies précautions.
Ayant considérablement réduit les risques en 2015, ils semblent partis pour arriver à leurs fins en 2016.
Ceux d’entre eux qui franchiront l’étape dans les douze mois à venir devraient tout de même se poser la mère des questions : « Comment cela va-t-il finir ? »
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• Élu en 2015 président du Nigeria (le plus grand pays d’Afrique par la population et l’économie), le général Muhammadu Buhari a identifié l’ennemi numéro un de son pays, la cause principale de tous ses maux, le responsable de son retard : la corruption.
Le soulèvement armé de Boko Haram ? Grave nuisance dont son gouvernement se fait fort de venir à bout. Il a d’ailleurs fait une partie du chemin : « Boko Haram est techniquement vaincu », a déclaré le président Buhari.
Lui se consacre à combattre la corruption en vue de l’éliminer et joue sa présidence sur le succès de cette vaste entreprise. Il lui reste trois ans pour montrer aux Nigérians, aux autres Africains et au monde qu’il est possible, lorsqu’on en a la détermination et que l’on s’en donne les moyens, de guérir un pays de ce fléau.
Il sévit sur tous les continents depuis des millénaires. Au Nigeria, il a été érigé en source de tous les autres maux ; traqués, les corrompus de ce grand pays africain ont commencé à trembler et sentent déjà le vent du boulet.
Souhaitons à Muhammadu Buhari de ne pas échouer, car il s’est attaqué à une hydre redoutable.
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2) Aux États-Unis, qui sont encore la première puissance du monde, Barack Hussein Obama entre ce mois-ci dans la dernière année de son second et dernier mandat de quatre ans.
Il est le quarante-quatrième président de cet État fédéral où la ségrégation a été longtemps la règle. Il aura donc fallu plus de deux siècles à l’Amérique pour se donner un président issu de sa population noire (et dont le père était un Africain du Kenya).
Le plus important, pour nous en particulier, est que cet Africain-Américain s’est révélé à la hauteur de la fonction à laquelle il a été élu et réélu.
Son prédécesseur immédiat, lui, n’a pas été à la hauteur et la moitié des 42 autres présidents que le pays a comptés avant eux ne l’étaient pas davantage.
Qu’il soit homme ou femme, son successeur fera regretter Barack Obama, qui aura été l’un des dirigeants politiques de niveau mondial à être à la fois un intellectuel – auteur de livres et capable d’écrire lui-même ses discours – et un homme d’action.
Ils ne sont pas nombreux à avoir conjugué ces deux caractéristiques. Je citerai, pour l’époque contemporaine, Churchill pour le Royaume-Uni, de Gaulle, Pompidou, Giscard et Mitterrand pour la France ; Nyerere, Senghor, Bourguiba et Mandela pour l’Afrique ; Mao Zedong, Zhou Enlai et Deng Xiaoping pour la Chine et, enfin, un quatrième Chinois pour Singapour : Lee Kwan Yew.
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3) L’année 2016 a été marquée, dès son deuxième jour, par une décision grave, malvenue et lourde de conséquences. Elle a été prise par le régime, au pouvoir depuis près d’un siècle, d’un pays très particulier dont il a fait le plus obscurantiste des pays musulmans – et du monde.
Ce pays, l’Arabie saoudite, a, depuis le 23 janvier 2015, pour « roi » Salman Ibn Abdelaziz, 80 ans, qui a immédiatement changé l’équipe au pouvoir. Il a désigné pour héritier le ministre de l’Intérieur, Mohamed Ibn Nayef, 56 ans, et pour vice-héritier et ministre de la Défense son fils, Mohamed Ibn Salman, 35 ans.
Depuis qu’il a pris les rênes du pays, ce trio a rompu avec la prudence de ses prédécesseurs. Il a lancé ce qui lui sert d’armée sur le Yémen, qu’elle bombarde à tort et à travers, où elle s’est embourbée, montrant ses énormes faiblesses.
La minorité chiite d’Arabie saoudite n’est, aux yeux de ce trio, qu’un ramassis d’« ennemis de l’intérieur ».
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Allant plus loin encore dans l’irresponsabilité et la provocation, les maîtres actuels du royaume wahhabite ont, le samedi 2 janvier, fait décapiter – à la Daesh ! – 47 condamnés, dont le cheikh Nimr al-Nimr, opposant religieux, leader de la minorité chiite du pays, connu pour son pacifisme et doté d’une incontestable aura régionale.
Ils ont ainsi, délibérément, déclaré la guerre à la minorité chiite de l’islam, ses « protestants », qui sont près de 300 millions. Et, plus grave encore, ont ouvert les hostilités entre les deux principales branches de l’islam, exacerbant jusqu’à un point de rupture leurs tensions avec l’Iran, chef autoproclamé des 150 millions de chiites d’Iran, d’Irak et du Liban.
Les Saoudiens s’efforcent aujourd’hui de rassembler sous leur bannière les pays à majorité musulmane, dont des Africains, qui, recevant leurs subsides et craignant de les perdre, leur ont aliéné leur indépendance.
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À partir de la mi-2014, avec la chute vertigineuse du prix du pétrole et du gaz, l’Arabie saoudite a perdu plus de la moitié de ses revenus. Son budget de 2016 accuse un déficit colossal de 100 milliards de dollars, soit 20 % du PIB !
Ses dirigeants ont perdu la tête depuis que leur maître et allié américain a décidé de renouer avec l’Iran, de signer avec lui, au nom de l’Occident, l’accord du 14 juillet 2015 sur le nucléaire, de lever les sanctions qui le frappaient et de lui permettre de retrouver sa place de grand exportateur de pétrole et de gaz.
Ayant perdu la tête, ils se sont lancés dans « une fuite en avant ». Ceux qui les soutiennent dans cette entreprise ou affichent pour eux de la sympathie se font les complices de criminels politiques.
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