Mozambique : un sous-sol qui vaut de l’or
Grâce à la découverte d’immenses réserves de charbon et de gaz, le pays pourrait basculer du côté des économies les plus riches du continent.
La faible distance qui sépare le petit aéroport de Tete du centre-ville donne un aperçu de l’essor rapide de cette ville reculée du nord du Mozambique (50 000 habitants), gagnée par une ruée vers le charbon. Une banque, des stations-service, un supermarché sont sortis de terre, plusieurs hôtels sont en construction. Assoupi sur les rives du Zambèze, Tete sort brutalement de sa torpeur avec la découverte dans son sous-sol de réserves de charbon, parmi les plus importantes du monde. Et ce n’est pas tout. Sur les côtes du pays, l’italien ENI et l’américain Anadarko ont trouvé du gaz. « C’est l’un des plus gros gisements que nous ayons découverts au cours de notre histoire », s’est exclamé Paolo Scaroni, le patron d’ENI. Selon la compagnie, ses réserves au large du Mozambique s’élèveraient à 850 milliards de mètres cubes de gaz.
Les autorités, conscientes de leurs faiblesses,
sont terrifiées.
Un bailleur de fonds.
Un intérêt sans précédent
Alors que le PIB du pays s’est élevé à 12 milliards de dollars en 2011 (près de 9,3 milliards d’euros), la Banque mondiale estime que l’exploitation du charbon nécessitera 10 milliards de dollars d’investissements dans les prochaines années, principalement dans les infrastructures, et les projets gaziers 70 milliards. Dès lors, le Mozambique, qui figure parmi les pays les plus pauvres de la planète (184e pays sur 187, selon l’indice de développement humain du Pnud, le Programme des Nations unies pour le développement), fait l’objet d’un intérêt sans précédent des investisseurs internationaux. ENI est ainsi à la recherche de partenaires pour investir 50 milliards de dollars dans l’exploitation de son gisement et la construction de deux ou trois unités de liquéfaction de gaz d’ici à 2016, avec à la clé la création de 40 000 emplois.
Les investisseurs étrangers ont donc les moyens de transfigurer les finances d’un État dont le budget dépend de 40 % à 45 % de l’aide internationale. Actuellement, seul le brésilien Vale exporte du charbon depuis le Mozambique – il y exploite une mine depuis 2011 -, mais la production annuelle pourrait atteindre de 20 millions à 50 millions de tonnes au cours des dix prochaines années. Quant à la production de gaz, elle devrait démarrer en 2018 et propulser le pays parmi les exportateurs de gaz liquéfié. Selon les prévisions de la Banque mondiale, le gaz devrait générer un revenu deux à trois fois supérieur au budget actuel de l’État (3,6 milliards de dollars).
Refuge pour Portugais
Frappés par un taux de chômage de 13,8 % en 2012 et attendu à 14,2 % en 2013, des Portugais quittent leur pays pour trouver un emploi dans leurs anciennes colonies, dynamisées par de fortes croissances.
Plus de 20 000 d’entre eux – architectes, avocats, dentistes, ingénieurs… – vivraient ainsi à Maputo, la capitale du Mozambique. Rien qu’en 2011, plus de 1 000 Portugais se sont fait enregistrer (une démarche non obligatoire) au consulat de leur pays à Maputo.
Une tendance qui touche aussi les entreprises, comme le papetier Portucel, le fabricant de boissons Sumol Compal ou certaines banques, tous à la recherche de relais de croissance. Jean-Michel Meyer
Mais l’une des préoccupations majeures des bailleurs de fonds est de savoir si les autorités du pays résisteront à la pression soudaine des investisseurs et auront les moyens de faire face à cette double ruée. « Elles sont conscientes de leurs faiblesses et sont terrifiées, c’est une bonne chose, assure l’un d’entre eux. Mais elles pourraient l’être encore plus face aux attentes de la population. » Pour Armando Inroga, le ministre de l’Industrie, le Mozambique est prêt. Les entreprises locales sont formées pour répondre aux besoins des multinationales dans les services ou sur les sites d’exploitation minière ou gazière. « Toutefois, nuance-t-il, même si tout le monde a besoin de charbon ou de gaz, l’agriculture restera notre principale priorité. »
Or, depuis la fin de la guerre civile en 1992, le Mozambique peine à éradiquer la pauvreté. Il a été le pays d’Afrique subsaharienne – hors États pétroliers – qui a connu la plus forte croissance du PIB au cours des quinze dernières années. Elle a été de 8 % en moyenne entre 1996 et 2008, grâce à l’effort de reconstruction de l’après-guerre. Elle s’élèvera à 7,6 % en 2012 et 8,5 % en 2013. Pourtant, plus de la moitié de la population vit toujours avec moins de 0,50 dollar par jour. Dans la société civile et dans l’opposition, des voix exigent que les fruits de l’exploitation des ressources naturelles profitent à tous, et réclament des réformes du régime fiscal et davantage de transparence pour les industries extractives. Le gouvernement, soutenu par le Fonds monétaire international (FMI) et les bailleurs de fonds, révise les lois minières et pétrolières. Il s’applique aussi à se conformer à l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), qui réunit 35 pays. « Le sentiment que tout le monde ne bénéficie pas du développement est aujourd’hui très fort dans le pays, même parmi l’élite », explique Fernando Lima, patron de Mediacoop, un groupe de presse indépendant.
Familles expulsées
Tete est le symbole de toutes ces possibilités de développement et des pièges qu’elles recèlent. « C’est mieux aujourd’hui, parce que des emplois sont créés », souligne Simba Maphaia, conducteur d’engins dans les mines. Mais la population déplore que les nouveaux emplois profitent d’abord aux étrangers, en grande partie en raison du manque de compétences à Tete. En janvier, des centaines de familles habitant sur le terrain d’une mine ont manifesté contre Vale après avoir été expulsées. « La rhétorique est toujours la même : le pays a un énorme potentiel, mais on se demande pourquoi le développement n’arrive pas dans les régions où les ressources sont exploitées… Peut-on faire autrement ? » s’interroge Aldo Salomão, du groupe de lobbying Centro Terra Viva.
Le Mozambique trouvera-t-il une réponse ? Ses voisins l’observent. Car l’immense champ gazier dépasse les frontières du pays. Il s’étend très certainement au Kenya, en Tanzanie et à Madagascar. C’est en tout cas ce que veulent démontrer les majors pétrolières.
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