Tunisie : une transition inachevée

Le 14 janvier 2011, et tout cet hiver-là, le climat avait été particulièrement clément en Tunisie comme pour rendre plus jolies les images d’un soulèvement baptisé à la hâte « révolution du jasmin ».

Des Tunisiennes acclamant la victoire de Béji Caïd Essebssi à la présidentielle de décembre 2014. © Hassene Dridi/AP/SIPA

Des Tunisiennes acclamant la victoire de Béji Caïd Essebssi à la présidentielle de décembre 2014. © Hassene Dridi/AP/SIPA

  • Frida Dahmani

    Frida Dahmani est correspondante en Tunisie de Jeune Afrique.

Publié le 14 janvier 2016 Lecture : 3 minutes.

Une appellation d’origine non contrôlée attribuée par des communicants ignorants que si le jasmin embaume, il flétrit et se fane très vite une fois cueilli. Restent un sentiment d’éphémère et beaucoup de regrets bien inutiles quand le deus ex machina politique tire les ficelles et observe, depuis les coulisses, le bon peuple ne rien comprendre à une partie jouée en son nom.

Le peuple, masse anonyme depuis l’indépendance, n’a existé que dans l’exclusion. D’abord il y avait le pouvoir, le reste était le peuple mal informé et surtout non formé à ses droits et obligations. Sans mode d’emploi d’une citoyenneté intériorisée et assumée, difficile alors d’être acteur de sa propre histoire et d’une conquête des libertés.

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Au pays qui revendique 3000 ans d’histoire, aucune inscription lapidaire ou injonction intellectuelle ou politique n’invite au « connais toi toi-même » emprunté par Socrate au frontispice d’un temple de Delphes ; le Tunisien se cherche et s’est fourvoyé dans un labyrinthe édifié par la politique. Néanmoins, en Tunisie, depuis cinq ans se joue quand même une tentative de démocratie, même si la transition est toujours en cours malgré ce qui est dit.

Tout se joue maintenant, dans l’interprétation et l’application d’une Constitution ambiguë qui se heurte déjà aux mentalités, comme on le constate avec les débats sur la dépénalisation du cannabis ou sur l’homosexualité. La transition est loin d’avoir été accomplie : les institutions telles que la Cour constitutionnelle et le Conseil supérieur de la magistrature ne sont pas opérationnelles et ne sont de solides courroies de transmission de la démocratie.

Des politiciens qui s’étripent, des partis qui s’auto-détruisent, d’autres qui se taisent, n’incitent pas à la confiance

Seulement, personne n’avait averti les Tunisiens que le processus serait aussi long et douloureux. De toute manière, ils n’auraient même pas voulu l’entendre tant en 2011 les choses semblaient aller de soi. Il n’était question que de construire ensemble dans une euphorie qui aurait pu être porteuse si elle avait réalisé combien son temps de vie était court. Le débat identitaire a phagocyté l’élan et tout faussé, dit-on. C’est vrai mais la question n’a jamais été de savoir qui de l’un ou de l’autre était meilleur  musulman ou qui était plus tunisien. Le bât blesse ailleurs ; là où deux approches civilisationnelles s’opposent et confrontent la Res Publica à la Joumhouriya (république), en créant une dichotomie première.

Comment être citoyen et s’inscrire comme acteur du collectif quand, dans la langue arabe, « joumhour » qui a la même racine étymologique que «  jourmhouriya » , désigne le public qui assiste à un spectacle ou à un match, qui fera des commentaires et applaudira sans pour autant influer sur ce qui est en jeu ? Difficile conciliation que les Tunisiens éprouvent au quotidien ; en tant que « joumhour », ils constatent un déficit de la gestion élémentaire de la chose publique avec des poubelles non collectées, des trottoirs envahis par des étals anarchiques, un comportement civil et citoyen erratique et un environnement dégradé.

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La laideur est là, celle de la politique aussi. Des politiciens qui s’étripent, des partis qui s’auto-détruisent, d’autres qui se taisent, n’incitent pas à la confiance et interpellent sur une classe politique tunisienne indigente, sa teneur et son sens des responsabilités. Pourtant tous assurent œuvrer pour le bien du pays mais, de toute évidence, pour le leur aussi. Un leadership, sans projets et vision, bascule dans une bataille de chiffonniers ; une pratique qui déçoit par sa récurrence et entame largement un capital de confiance exprimé par les urnes, affirment certains.

Pas sûr, l’étape est aussi salutaire que nécessaire ; une décantation pour une mise en perspective. Finalement, les partis sont libres d’être apprentis sorciers faute d’expérience et de faire ce qu’ils entendent même de tenter un jeu de dupes au risque de prendre la démocratie en otage. Reste que l’arrogance politique en oublie qu’une société civile certes, embryonnaire, balbutiante, éparse et désorganisée mais bouillonnante et qui a produit des résultats, comme ceux de l’association «  Al Bawsala » qui alerte sur la gouvernance de l’Assemblée, pourrait, à force d’être excédée, exiger de rebattre les cartes.

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