Élections en Centrafrique et au Niger : le banquier et l’ingénieur
Qu’attend-on des politiciens, de la démocratie, des bulletins de vote et des lois de la bonne gouvernance électorale quand on vit à Birao (Centrafrique) ou à Gouré (Niger) ?
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 18 janvier 2016 Lecture : 3 minutes.
Dans ces deux pays classés parmi les six plus pauvres de la planète et qui tous deux sont confrontés en ce début de 2016 à des scrutins présidentiels tendus, s’en tenir au théâtre d’ombres qu’offrent les capitales est assurément trompeur. Là où se croisent les diplomates, les ONG, les observateurs et les journalistes de passage, là où se concentrent les attributs du pouvoir, l’Administration, les partis politiques et l’embryon de population connectée sur le reste du monde, la pièce qui se joue en période électorale est conforme à ce que l’on attend d’elle. À Niamey comme à Bangui, on tient meeting, on confectionne affiches et tee-shirts, on calcule les temps d’antenne sur les médias, et les candidats déroulent leurs programmes dans un langage parfaitement calibré, compatible avec les exigences des bailleurs de fonds et de leçons venus du froid.
Mais à peine franchit-on le pont qui enjambe le fleuve Niger, à peine dépasse-t-on le PK10 à la sortie de Bangui que cet univers de façade disparaît brusquement. Avec le choc de la pauvreté vient la dilution des idées reçues. Ici, les discours ne se tiennent plus dans la langue de l’ancien colonisateur mais dans celle du terroir, dure, directe, sans fioritures ni circonvolutions politiquement correctes. Au Niger, où 80 % de la population est rurale, ce que demandent les électeurs en échange de leur bulletin de vote, c’est d’abord l’accès à l’eau, viennent ensuite la santé et l’éducation. En Centrafrique, la sécurité alimentaire est en tête des exigences, suivie là aussi par les dispensaires et les écoles. Au catalogue des préoccupations, le pluralisme, l’alternance démocratique et les libertés dites formelles tiennent une place anecdotique.
À l’évidence, Dologuélé est une chance pour les Centrafricains. Sauront-ils la saisir ?
Le candidat qui fait creuser un puits dans un village où les habitants n’avaient que leur propre sueur pour se laver est un héros. Celui qui n’a que ses belles paroles à offrir n’a aucune chance, le jour J, de voir l’un de ses bulletins dans l’urne. Au Niger comme en Centrafrique, là où la moyenne de la population survit avec à peine 40 euros par mois, le bon candidat est donc celui qui, en permanence et simultanément, sait s’adresser à la minorité agissante urbaine et à la majorité rurale, aux fonctionnaires internationaux et aux chefs traditionnels, à la jeunesse désœuvrée des villes et aux paysannes qui multiplient les grossesses pour compenser les ravages de la mortalité infantile. Le bon candidat est aussi celui qu’on a vu à l’œuvre et qui a su tenir ses promesses, loin de toute démagogie.
Sans doute n’est-ce pas un hasard si, en Centrafrique, la personnalité sortie en tête du premier tour a pour nom Anicet Georges Dologuélé : ce banquier mondialisé, comme Lionel Zinsou, a laissé l’image d’un Premier ministre patriote, compétent et autonome, capable d’assainir les finances publiques, de renouer avec la communauté internationale, de restaurer l’autorité de l’État, de dialoguer avec l’opposition et les syndicats. Surtout, il a été le seul pendant cette campagne à réellement tenir un discours de rassemblement, alors que les partisans de son adversaire pour le second tour développent un discours clivant sur fond de tensions entre chrétiens et musulmans. À l’évidence, Dologuélé est une chance pour les Centrafricains. Sauront-ils la saisir ?
Vu de Niamey, les choses paraissent plus simples. Rares sont les observateurs à prédire une défaite du président sortant, Mahamadou Issoufou, le 21 février, voire la tenue d’un second tour. Dans le cadre d’une élection offrant toutes les garanties de transparence, « Zaki », l’ingénieur des mines, présente un bilan social difficilement contestable. Celui qui n’hésitait pas, il y a un an, à fustiger « l’heure africaine » et le rapport calamiteux que ses concitoyens entretiennent avec la valeur temps (« on ne change pas un peuple tant qu’il ne se change pas lui-même ») a créé plus de classes d’école en cinq ans que ses prédécesseurs en un demi-siècle et six républiques. On mérite sa réélection pour moins que cela…
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