Lahcen Daoudi : « Le prochain gouvernement marocain sera un gouvernement de sacrifices »
Le Parti de la justice et du développement est le grand gagnant des législatives. Infrastructures, investissements, fiscalité… Le numéro trois de la formation islamiste modérée présente son programme économique.
Vendredi 25 novembre, jour des législatives au Maroc, au QG du Parti de la justice et du développement (PJD), à Rabat, dans le paisible quartier des Orangers. Vers midi, les militants de la formation islamiste modérée s’activent. Convaincus de leur victoire, ils installent lampions et canapés en prévision des réjouissances électorales. Lahcen Daoudi, 64 ans, président du groupe parlementaire sortant, débarque de Beni Mellal, où il menait une « campagne de terrain dans les montagnes », explique-t-il.
Économiste formé à Lyon et marié à une Française, cet enseignant à la faculté d’économie de Salé est souvent présenté comme le visage lisse du « parti de la lampe », en comparaison avec son bouillonnant secrétaire général, Abdelilah Benkirane. Avec le député PJD de Tanger Mohamed Najib Boulif, dont il a dirigé la thèse d’économie, Lahcen Daoudi s’adresse aux hommes d’affaires par un discours direct et moraliste.
Désormais aux affaires – Benkirane a été nommé chef du gouvernement le 29 novembre -, le PJD n’a guère évolué, ces dernières années, sur ses propositions économiques, souvent taxées de populisme. Interrogé en 2000 par Jeune Afrique, Daoudi dénonçait déjà avec virulence la corruption, les inégalités. Et hormis un volet fiscal, il est aujourd’hui aussi peu précis qu’il y a onze ans sur les moyens financiers à mobiliser pour appliquer la politique économique de sa formation.
Jeune Afrique : Comment le PJD a-t-il fait campagne sur les questions économiques ?
Lahcen Daoudi : Nous sommes allés devant les électeurs avec un discours réaliste : les doléances des Marocains sont tellement importantes que tout député élu en ayant promis l’impossible sera inévitablement sanctionné. Nous avons donc choisi d’aborder frontalement les problèmes et non de les éluder, en parlant du niveau réel du chômage, bien plus élevé que le taux officiel [de 9 %, NDLR], de la conjoncture économique internationale difficile, de l’état des finances publiques…
Quel changement promettez-vous ?
Une rupture managériale. Il faut assainir la gestion du pays, gangrenée par la corruption, et promouvoir la transparence. Cela dit, nous n’avons pas promis que si le PJD était élu, tout changerait d’un seul coup. Le prochain gouvernement sera un gouvernement de sacrifices… Ce ne sera pas une partie de plaisir.
Quelle est votre lecture de la société marocaine ?
Elle fonctionne à trois vitesses : les membres de la classe aisée et éduquée des grandes villes [qu’il surnomme les « TGV »], les périurbains, et les ruraux. Ces trois visages du Maroc cohabitent géographiquement mais ne se connaissent pas. Seuls les TGV profitent vraiment des politiques menées par les précédents gouvernements.
Je reviens du Moyen Atlas, près de Beni Mellal. Là-bas, les villageois ont le sentiment d’être oubliés : ils voient à la télévision les images des investissements à Rabat ou Tanger, mais, pour leur région, rien n’est prévu ! L’autoroute qui les reliera à Casablanca n’arrivera pas avant 2017. Dans les villes, le sentiment de frustration est encore plus grand : alors que la plupart des citadins ont du mal à se payer des chaussures à 20 dirhams [moins de 1,8 euro], ils voient dans leurs rues des voitures de luxe à 20 millions, et passent à côté de villas dont le salon – vide et glacial – fait 400 m2 !
Allez-vous remettre en question des projets structurants lancés depuis dix ans, comme le TGV ?
Nous ne reviendrons pas sur ce qui a déjà été lancé, mais il faudra mieux expliquer les grands projets aux Marocains, quitte à les ajuster. Ils n’ont pas compris l’intérêt d’investir 33 milliards de dirhams dans un TGV. Pour eux, c’est le train des pays riches, pas d’un pays pauvre comme le Maroc. Pour nous, il n’était pas la meilleure solution pour désenclaver le pays, mais nous n’allons pas remettre en cause un projet avancé. À côté de tels programmes, il faudra toutefois prévoir un accompagnement social.
Comme d’autres partis, le PJD a présenté son programme à la Confédération générale des entreprises du Maroc. Qu’avez-vous dit à l’organisation patronale ?
Que l’entreprise est un partenaire pour l’emploi. Que, pour assainir le climat social, il faut favoriser l’investissement productif et décourager les dépenses ostentatoires. J’ai proposé d’ajouter une troisième tranche d’imposition sur les sociétés : au-delà de 20 millions de dirhams de bénéfices, nous voulons passer à un taux d’imposition de 30 % [contre 20 % actuellement au-delà de 5 millions]. Cela nous obligera à prouver aux entrepreneurs que leur impôt est productif, qu’il favorise la consommation et leurs entreprises. Nous voulons ainsi que les entreprises marocaines – de BTP, notamment – profitent davantage des grands chantiers.
Êtes-vous en faveur d’un impôt sur la fortune ?
Nous comptons relever légèrement les tranches les plus élevées de l’impôt sur le revenu. Mais il n’y aura pas d’impôt sur la fortune, car il est complexe et coûteux à mettre en œuvre. En revanche, nous voulons taxer la consommation ostentatoire et les logements laissés vacants. Nous voudrions faire un geste sur la TVA, mais pas tout de suite, car cela nous priverait de ressources essentielles pour restructurer l’action de l’État.
Dans le budget de l’État, quels secteurs le PJD juge-t-il prioritaires ?
L’éducation et la santé, bien entendu ! Il nous faut installer à côté de chaque lycée des établissements de formation technique. C’est essentiel pour nos entreprises, qui manquent de personnel intermédiaire compétent, et cela permettra de lutter efficacement contre le chômage. Il faut aussi relever l’Éducation nationale et l’université. Il n’est pas normal que 25 % des élèves soient inscrits dans les écoles privées en raison du délitement du public !
Vous avez chiffré ces mesures ?
Au Maroc, il y a de l’argent ! Nous estimons à 15 milliards de dirhams les sommes gaspillées du fait de la corruption. Par ailleurs, il n’y a pas que l’argent, le qualitatif compte beaucoup.
Vous êtes-vous inspirés de ce qu’a fait en Turquie l’AKP, le parti islamiste modéré ?
La Turquie a fait des merveilles, c’est vrai, mais chaque pays doit trouver en interne ce qui lui est adapté. Il faut savoir être à l’écoute : les bonnes idées peuvent venir de partout, y compris d’un ouvrier ou d’un paysan !
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