Bras de fer dans les transports à Dakar

Le renouvellement du parc de cars de la capitale sénégalaise, Dakar, exacerbe la concurrence entre la société publique et une association d’opérateurs privés. Cette dernière a pris l’avantage. Pour l’instant.

Un embouteillage à Dakar. © D.R.

Un embouteillage à Dakar. © D.R.

cecile sow

Publié le 6 décembre 2011 Lecture : 4 minutes.

Dans l’agglomération dakaroise au Sénégal, en matière de transports, on avait l’habitude que l’informel côtoie le formel dans le plus complet désordre. Aujourd’hui, aux côtés des taxis réguliers, les bus de Dakar Dem Dikk (DDD, une entreprise détenue à 73,33 % par l’État) et ceux aux couleurs de l’Association pour le financement du transport urbain (Aftu, sa concurrente privée, qui réunit 14 groupements d’intérêt économique de transporteurs ainsi que 300 indépendants) gagnent du terrain sur les taxis clandestins, les « cars rapides » et autres ndiaga-ndiaye à bout de souffle.

Et pour cause. Depuis 2005, l’État sénégalais, avec le soutien de la Banque mondiale, du Fonds de promotion économique et de la China Exim Bank, a lancé un programme visant à renouveler les véhicules de transport urbain. Un tiers des 3 000 « cars rapides » et ndiaga-ndiaye ont déjà été retirés de la circulation ; d’ici à 2013, les quelque 2 000 autres devraient subir le même sort. Depuis six ans, 22 milliards de F CFA (33,5 millions d’euros) ont été investis pour mettre hors circuit ces centaines d’épaves bleu et jaune et de minibus blancs agonisants et les remplacer par 907 nouveaux « Aftu » – comme on les appelle ici -, dont les 105 premiers cars Tata livrés, en 2005, par l’unité de montage de Senbus Industries de Thiès.

la suite après cette publicité

Les constructeurs africains patinent

Outre Senbus Industries, l’Afrique de l’Ouest compte un autre fabricant de cars : la Société des transports abidjanais (Sotra), qui est aussi un transporteur. En grande difficulté, l’entreprise profite d’un plan de restructuration de 31 millions d’euros qui prévoit l’acquisition de 300 bus avant la fin de l’année et la rénovation de 150 autres. Le 23 novembre, la Sotra a réceptionné ses 24 premiers cars (des Renault R 312 d’occasion). Autre figure de proue du continent, elle aussi en restructuration : la Société nationale des véhicules industriels (SNVI), en Algérie. Sur cinq ans, 125 millions d’euros doivent être investis dans l’entreprise, soutenue par des commandes publiques d’environ 3 000 véhicules (civils et militaires) par an ; un accord avec l’allemand Daimler et le fonds émirati Aabar devrait permettre de porter la production à 16 500 camions, bus et 4×4 en 2016. En Tunisie, Setcar produit 400 bus et cars par an, tandis que le sort de l’ex-entreprise publique STIA, rachetée en 2008 par le groupe Mabrouk, est suspendu à l’enquête sur les biens mal acquis sous Ben Ali. Jean-Michel Meyer

Saccage

Une évolution qui n’est pas sans faire de l’ombre à Dakar Dem Dikk (Dem Dikk signifiant « aller-retour »), l’entreprise née en 2001 des cendres de la Société des transports en commun du Cap-Vert (Sotrac). Quand il a pris ses fonctions, en 2010, dans un contexte de fortes tensions sociales, Moussa Diagne, le directeur général de DDD, n’a trouvé que 90 bus (Tata et Volvo) en état de marche sur les 405 achetés neufs par l’État en 2005 pour 17 milliards de F CFA. En cause : le manque de maintenance, l’inadaptation des moteurs aux longues rotations, ainsi que les fréquents mouvements de contestation qui ont agité la capitale et conduit au saccage de plusieurs dizaines de cars.

la suite après cette publicité

Actuellement, une centaine de véhicules circulent sur les 21 lignes que DDD opère entre Dakar et Diamniadio, à 40 km de la capitale. Cette année, la société publique aura transporté 20 millions de passagers et enregistré plus de 3 milliards de F CFA de recettes. Pourtant, sans la compensation financière de l’État (2,8 milliards de F CFA en 2010 et 4,3 milliards en 2011), elle serait à l’arrêt, ses finances étant largement plombées par les coûts des salaires de ses 2 300 employés (4,2 milliards de F CFA par an) et du gasoil (34 millions de F CFA par semaine).

Malgré tout, DDD doit recevoir, courant 2012, 485 bus acquis par l’État avec le soutien financier de ses partenaires indiens et chinois pour un montant d’environ 30 milliards de F CFA, avec pour contrepartie de s’équiper auprès d’entreprises de leur pays. L’indien Tata livrera ainsi 250 bus, et Sunlong, un constructeur basé à Shanghai, 235. De quoi renforcer le réseau de DDD et faire face à la concurrence des « Aftu », devenus les rois du trafic routier à Dakar et en banlieue. « Le Cetud [Conseil exécutif des transports urbains de Dakar, NDLR] n’est pas assez sévère avec l’Aftu, dont les cars ont les mêmes trajets que les nôtres dans plusieurs secteurs. Pis, ils utilisent nos arrêts et interpellent nos clients », s’insurge Moussa Diagne.

la suite après cette publicité

Le Gasoil flambe

Djibril Ndiaye, le secrétaire général de l’Aftu, ne s’en émeut pas. En six ans, ses véhicules ont transporté 90 millions de personnes et sont devenus indispensables pour des dizaines de milliers d’habitants de la banlieue. Il s’inquiète plutôt de la montée vertigineuse des prix du gasoil, dont le litre est passé de moins de 400 à près de 800 F CFA depuis la fin de 2005 avec, évidemment, un impact sur les recettes : « Un [car] King Long brûle 60 000 F CFA de gasoil par jour pour une recette quotidienne de 90 000 F CFA. » Mi-octobre, l’Aftu, qui exploite 44 lignes avec près de 600 véhicules, avait même menacé de faire grève pour dénoncer la flambée du prix du carburant, menace finalement non mise à exécution. DDD n’aurait pas manqué d’en profiter… mais elle n’a pas encore assez de bus pour rafler la clientèle de sa rivale.

L'éco du jour.

Chaque jour, recevez par e-mail l'essentiel de l'actualité économique.

Image

Contenus partenaires