Stéphanie Maupas : dans le procès de Gbagbo, « la théorie de l’accusation est très partielle »
Journaliste indépendante basée à La Haye depuis 2002, Stéphanie Maupas a publié à la mi-janvier « Le Joker des puissants, le grand roman de la Cour pénale internationale », aux éditions Don Quichotte. À quelques jours de l’ouverture du procès de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé, elle répond aux questions de Jeune Afrique.
Jeune Afrique : En quoi le procès de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé, qui s’ouvre le 28 janvier devant la CPI, est-il si particulier ?
Stéphanie Maupas : D’abord parce que sur les trois chefs d’État déjà été poursuivis par la CPI, Laurent Gbagbo est le seul a avoir été livré à La Haye et a être maintenant jugé. On peut ensuite faire la comparaison avec d’autres procès de la justice internationale, comme celui de Charles Taylor et de Slobodan Milosevic. Dans celui du dirigeant de l’ex-Yougoslavie, il fallait pour le procureur prouver qu’il avait commis, planifié et ordonné des crimes en Bosnie et en Croatie. Pour Taylor, il fallait prouver la planification des crimes en Sierra Leone. C’était des affaires très compliquées. Milosevic cachait son soutien à l’armée bosno-serbe, aux milices. Pareil pour Charles Taylor et ses liens avec la rébellion. Là, on est dans le cas d’un chef d’État à la tête de l’armée et de la police de son pays. C’est quand même plus facile pour le procureur de démontrer la structure hiérarchique et donc sa responsabilité dans les crimes.
Mais pourtant, la partie n’a pas été facile pour la procureure, notamment quand en juin 2013 la Cour lui a demandé plus de preuves…
Oui, l’audience de confirmation des charges aurait dû être une formalité. La théorie de l’accusation est très partielle, son récit est bancal, mal articulé. C ‘est ce que les juges lui ont dit en 2013. On accuse un ancien chef d’État sur quatre mois de sa vie et sur ces quatre mois ont sélectionne quatre événements. Milosevic avait été accusé sur dix ans, trois guerres. C’est un procès qui permettait de brosser un procès complet du personnage, avec plus de 300 témoins, des chefs d’accusation très détaillés et précis qui couvrent à la fois sa responsabilité hiérarchique et le lien avec les événements. Or, ici, la procureure ne le fait pas.
Les juges demandent depuis le début de remonter à 2002 et d’intégrer l’autre camp dans son argumentaire. Or la procureure a fait le choix de séparer les deux camps
À La Haye, Bensouda a plutôt tendance à utiliser le témoignage des victimes. Mais qui conteste qu’il y a eu des morts dans la crise ivoirienne ? Personne et même pas Gbagbo. Toute la difficulté d’un tel procès est d’avoir des personnalités de l’intérieur, qui auront été témoins d’ordres donnés. Et en plus de réduire l’affaire à quatre, cinq mois, l’accusation n’a pas pris en compte la partie adverse. Les juges demandent depuis le début de remonter à 2002 et d’intégrer l’autre camp dans son argumentaire. Or la procureure a fait le choix de séparer les deux camps.
En quoi la jonction des dossiers Gbagbo et Blé Goudé a fait évoluer la procédure ?
La procureure part avec plus de preuves. Est-ce que Gbagbo et Blé Goudé vont, au cours du procès, mutuellement s’enfoncer en tentant de se sauver ? Vont-ils se dédouaner de leurs responsabilité réciproques ? C’est ce sur quoi tablent les procureurs.
On part sur un procès de trois, quatre ans
Quelles conséquences peut avoir ce procès sur la CPI ?
Tout dépend de son résultat. La Cour, comme la procureure, ont intérêt à ce qu’il y ait une condamnation. On part sur un procès de trois, quatre ans. Si cela aboutit à des acquittements, ou à des non-lieux à mi-parcours, ce serait un fiasco, sachant que Gbagbo est détenu depuis quatre ans, Blé Goudé depuis trois.
Dans le même temps, si les juges sont unanimes et que le dossier est complet, cela peut redonner à la CPI de sa crédibilité. Si le résultat est en demi-teinte, cela risque d’être contre-productif pour l’objectif qui est de rendre justice aux victimes.
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