Ismail Ahmed : « Les transferts en ligne sont un frein aux flux financiers illicites »

Ismail Ahmed, fondateur et directeur général de la société de transferts de fonds WorldRemit, est également un ancien chercheur et spécialiste de l’ONU impliqué dans la lutte contre les flux financiers illégaux. Il a répondu aux questions de « Jeune Afrique ».

Ismail Ahmed est le fondateur et le directeur général de la société de transferts de fonds WorldRemit. © WorldRemit/Flickr

Ismail Ahmed est le fondateur et le directeur général de la société de transferts de fonds WorldRemit. © WorldRemit/Flickr

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Publié le 28 janvier 2016 Lecture : 4 minutes.

Lancée en 2010, la start-up WorldRemit, spécialisée dans le transfert de fonds, a levé environ 147 millions de dollars au cours des deux dernières années notamment auprès d’investisseurs spécialisés tels que Accel Partners et Technology Crossover Ventures, qui comptent des participations dans des fleurons de la nouvelle économie numérique (Facebook, Spotify, Netflix…).

À l’origine de cette start-up : Ismail Ahmed, un universitaire et entrepreneur originaire du Somaliland et basé à Londres. Il a accepté de revenir pour Jeune Afrique sur la genèse de son projet et le futur des transferts de fonds sur le continent.

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Concrètement, en quoi consiste WorldRemit ?

C’est un site internet et une application mobile, qui permettent d’envoyer à tout moment de l’argent n’importe où dans le monde. Les destinataires peuvent recevoir ces ressources via un virement bancaire, le retrait d’espèces, un portefeuille mobile (mobile money) ou en recharge téléphonique.

Le secteur des transferts de fonds est dominé par des leaders tels que Western Union et MoneyGram, très connus du public. En quoi vos solutions sont différentes ?

Il faut déjà noter que notre offre est bien moins chère que celles des services que vous mentionnez. Mais si certains de nos concurrents proposent des solutions de transfert en ligne, ils sont largement off line [transactions réalisées dans des bureaux de vente, Ndlr], avec des montants minimum assez élevés. C’est un modèle qui n’est pas vraiment adapté ni aux habitudes des migrants en Occident, ni aux réalités du terrain, en Afrique notamment.

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C’est-à-dire ?

C’est assez simple, d’un côté les expéditeurs souhaitent réaliser des échanges plus fréquents, avec plus de flexibilité dans les montants envoyés et les modes de réception.

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Les récipiendaires en Afrique, qu’ils soient en zone rurales (où les services de postes et les lieux de retraits sont rares), ou même en zone urbaine (où les conditions de transport peuvent être difficiles), souhaitent plus de réactivité et de facilité dans la collecte des fonds. Cela marche aussi pour les jeunes étudiants en Europe qui reçoivent des fonds depuis leur pays d’origine. Je me souviens des nombreuses heures de trajet que je faisais, quand j’étais étudiant, pour récupérer des fonds.

Autant de barrières qui encouragent les transferts informels. La France par exemple, où les coûts pratiqués sont prohibitifs, a le plus grand marché informel de transferts de fonds en Europe.

Quelles solutions préconisez-vous ?

Nous proposons, à travers notre site et l’application mobile qui se veulent beaucoup plus « user friendly » (pensé pour l’utilisateur, ndlr), d’envoyer instantanément le montant souhaité, quel que soit l’endroit où l’expéditeur et le destinataire se trouvent. Nous avons aujourd’hui 50 pays d’envois (Europe occidentale, Amériques, Australie…) et 125 pays de réception, dont l’essentiel des pays du pourtour méditerranéen et deux tiers des pays d’Afrique subsaharienne, où nos utilisateurs peuvent expédier s’ils le souhaitent des montants inférieurs à un euro !

Mieux, grâce au mobile money, nous pouvons atteindre les destinataires même les plus éloignés des grands centres urbains. L’utilisateur de notre plateforme peut envoyer les fonds à sa mère directement, plutôt qu’au cousin en ville qui reçoit l’argent et doit ensuite le transporter. Ils peuvent être expédiés directement au compte mobile money de l’université, de l’école ou de l’hôpital pour régler des factures.

Nous avons des accords avec les principaux services de mobile money actif sur le continent (M-Pesa, EcoCash, MTN Mobile Money, Tigo…). Nous occupons le premier rang mondial en matière d’envoi d’argent sur mobile.

Vous avez travaillé pour l’ONU dans les années 2000, notamment en tant qu’expert dans la lutte contre le financement du terrorisme et les flux financiers illicites. Qu’est-ce qui vous a amené vers l’entreprise ?

Je travaillais en tant que chercheur à l’université d’Essex au Royaume-Uni sur les transferts internationaux avant de rejoindre l’ONU. J’étais donc déjà intéressé par ce créneau. Quand l’ONU s’est penchée sur les transferts internationaux, à la suite des attaques du 11 septembre 2001, j’ai été contacté et j’ai rejoint l’organisation en raison de mon expertise en la matière.

Et surtout, en tant qu’émigré j’avais déjà été confronté aux problèmes liés aux transferts de fonds vers mon pays d’origine. J’avais une expérience de première main du coût pour les usagers et des difficultés. À l’ONU, je me suis rendu compte des challenges que les compagnies avaient à respecter les nouvelles règles, plus strictes, anti-blanchiment d’argent.

Revenons justement sur la question de la traçabilité des fonds. Pour des envois classiques, dans un bureau de vente, on présente des documents d’identité. Comment assurez-vous que votre plateforme lutte contre les transferts illégaux et le blanchiment d’argent ?

Une des choses dont je me suis rendu compte à l’ONU est que le plus grand problème, en matière de lutte contre les flux financiers illégaux, c’est le cash, les espèces. Il n’y a pas de suivi, pas de traces. Personne ne sait d’où cet argent vient.

Les transferts en ligne sont clairement un frein aux flux financiers illicites : on ne touche pas au cash, les envois se font à partir des cartes de paiement ou depuis un compte bancaire. Lorsqu’une transaction est suspicieuse, la police peut retracer l’origine des fonds. Depuis, en ligne, nous collectons près d’une quarantaine d’éléments d’informations et vérifions l’identité du client, notamment l’adresse IP. À la création du compte sur notre plateforme, tout un ensemble de vérifications sont faites pour s’assurer de l’identité de l’utilisateur.

Cinq ans après le démarrage de WorldRemit, où en êtes-vous ?

Nous avons aujourd’hui 200 employés au Royaume-Uni, où notre siège est basé (à Londres) et d’où nous supervisions nos activités en Europe. Nous avons également des bureaux à Denver aux États-Unis (où nous comptons des licences dans une quarantaine d’États), ainsi qu’à Montréal (Canada) et Sydney (Australie).

Votre chiffre d’affaires a triplé en 2014 pour atteindre environ 15 millions de livres sterling. Qu’en est-il pour 2015 ?

Il devrait doubler.

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