Banque atlantique : cherche repreneur désespérément ?
Près d’une dizaine de prétendants ont été tentés par la reprise du groupe bancaire fondé par l’Ivoirien Koné Dossongui. Mais aucune négociation n’a encore abouti. Enquête sur une vente en cours depuis près de six ans…
Incorrigible ! Le très médiatique Bernard Koné Dossongui, patron d’Atlantic Financial Group (AFG, groupe Banque Atlantique), n’a pas fini de faire parler de lui. Alors que les discussions entamées en juillet 2011 avec le français Banque populaire-Caisse d’épargne (BPCE) pour la cession d’une partie de son groupe bancaire ne sont pas closes – mais semblent bien au point mort -, l’homme d’affaires a déjà changé son fusil d’épaule et vient d’engager des négociations avec de nouveaux candidats. Il faut dire que Banque Atlantique – son total de bilan de 1,355 milliard d’euros en 2010, sa présence dans huit pays, son bureau de représentation en France et son potentiel de croissance en Afrique de l’Ouest – attire de nombreux investisseurs. Au premier rang desquels deux marocains, qui se montrent aujourd’hui particulièrement intéressés : BMCE, qui détient déjà 59,4 % de Bank of Africa (BOA), présent dans une quinzaine de pays au sud du Sahara, et le groupe Banque centrale populaire (BCP) du Maroc, qui veut s’internationaliser.
Signe révélateur ou pure coïncidence ? L’homme d’affaires ivoirien a en tout cas effectué une visite éclair dans le royaume chérifien dans la semaine du 12 mars. D’où il a assuré à Jeune Afrique qu’un accord serait signé d’ici à la fin du premier semestre 2012 avec l’un des prétendants, tout en se gardant bien d’avancer un nom. Il ajoute qu’il n’est désormais plus question pour lui de céder la majorité du groupe, dont il estime la valeur à plus de 300 millions de dollars (229,8 millions d’euros), mais plutôt une participation minoritaire de blocage de l’ordre de 35 % du capital.
Groupe Atlantique en 2012
– Atlantic Financial Group
Ce holding financier (1,355 milliard d’euros de total de bilan en 2010) compte :
8 filiales bancaires en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale
1 société d’intermédiation financière (Atlantique Finance)
1 société d’ingénierie informatique (Atlantique Technologies SA)
1 société de transfert d’argent (Money Cash)
– Atlantic Insurance Group
1 société d’assurances (Stamvie)
Cette ouverture du capital, il cherche à la concrétiser depuis près de six ans. Plusieurs négociations ont déjà échoué à la dernière minute. En juillet 2011, lorsque le groupe a annoncé qu’il entamait des discussions avec BPCE pour céder la majorité (51 %) du capital de sa filiale ivoirienne, Banque Atlantique de Côte d’Ivoire (Baci), tout devait être bouclé en un mois. Huit mois se sont écoulés, et il n’y a toujours aucun accord. Si aucune des deux parties n’a officiellement indiqué avoir définitivement mis fin aux pourparlers, il ne fait plus aucun doute qu’ils n’aboutiront pas.
Scénario identique pour Intangis Holdings, un fonds d’investissement américain spécialisé dans le secteur bancaire. Approché en 2006, il signe un protocole d’accord exclusif prévoyant une prise de participation majoritaire (51 %) dans AFG. Concrètement, il s’agissait d’abord de restructurer le groupe ivoirien en fusionnant ses deux filiales, Baci et la Compagnie bancaire de l’Atlantique Côte d’Ivoire (Cobaci), qui opèrent sur un même marché. Le but ? Créer davantage de synergies et de cohérence dans la gestion du groupe. Le fonds américain devait ensuite y injecter quelque 50 millions d’euros pour en prendre le contrôle. Mais là aussi, Koné Dossongui, seul maître à bord, a donné son accord de principe puis a finalement renoncé à vendre sa banque… L’affaire s’est terminée en justice en 2011, et le groupe bancaire a été condamné à verser des dommages et intérêts à l’américain.
Opportunité
À peine les négociations avec Intangis Holdings abandonnées, l’homme d’affaires prenait contact avec Access Bank. Le groupe nigérian était alors en pleine expansion, et Banque Atlantique, avec son bel ancrage dans le marché ivoirien et le reste de la sous-région, lui offrait une bonne opportunité d’accélérer son développement. « Les Nigérians étaient moins regardants sur la santé financière d’AFG et misaient plus gros », rapporte un banquier de la place. À deux doigts de signer, les partenaires n’ont finalement pas trouvé d’accord.
L’homme d’affaire a souvent senti les bons coups. Même si ses choix n’ont pas toujours été payants.
Koné Dossongui est-il, dans le fond, vraiment prêt à vendre ? Le patron serait, selon certaines analyses, obnubilé par l’idée de renouveler le coup qu’il a réussi en 2005 en cédant par étapes la grande majorité du capital d’Atlantic Télécom à l’émirati Etisalat. Le principe consiste pour lui à attirer un actionnaire de référence opérationnel pour accroître la valeur du groupe puis à s’en retirer avec une belle plus-value.
Autre analyse, pas tout à fait divergente : Dossongui a souvent senti les bons coups en multipliant les investissements dans les secteurs porteurs, comme l’agro-industrie, l’immobilier, la banque, l’assurance et les télécommunications. Et il voudrait garder la possibilité de s’appuyer sur son groupe bancaire pour financer ses autres activités. Mais ses choix n’ont pas toujours été payants. De quoi tempérer l’ardeur d’un repreneur qui l’aurait comme associé. L’exemple le plus patent est celui d’Air Ivoire. Le businessman a versé une dizaine de milliards de francs CFA (une quinzaine de millions d’euros), via le Consortium des financiers ivoiriens, créé en 2008, pour prendre le contrôle (50,5 %) de la compagnie, finalement mise en faillite en 2011. Atlantic Insurance Group (AIG) ou encore ATMC (agro-industrie) et Alink Télécom (deux sociétés ayant appartenu à Dossongui avant d’être vendues) ont bénéficié de crédits alors que leur capacité de remboursement n’était pas démontrée au regard de leur situation financière difficile.
Activités interrompues ou cédées
– Consortium des financiers ivoiriens (CFI)
Monté par le groupe avec investisseurs privés ivoiriens pour prendre des participations, il a acquis en 2008 50,5% du captial de la Société Nouvelle Air Ivoire, liquidée en 2011
– Atlantique Télécom
Créé en 2002, ce pôle (Moov et Prestique Télécom) a été cédé en 2005 à L’émirati Etisalat
Opacité des filiales
Ces mauvais choix de gouvernance ont mis à mal les comptes du groupe. « Fin 2007, la quasi-totalité des filiales bancaires, en raison de leur situation déficitaire, étaient dans le collimateur de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest [BCEAO] », indique-t-on chez celle-ci. À cette époque, les créances douteuses qu’acceptait de prendre à sa charge l’un des acquéreurs étaient estimées à 28 milliards de F CFA (42,7 millions d’euros). Mais aujourd’hui, en raison de l’opacité de gestion, il est difficile d’en mesurer l’étendue. En mars 2010, il annonçait – sans donner plus de détails – avoir dépassé un total de bilan record de 1,2 milliard d’euros pour son exercice 2009. Selon nos informations, certains actionnaires minoritaires tels que la Société ouest-africaine de gestion d’actifs (Soaga) ont négocié leur sortie du capital, inquiets de la situation financière. Contactée, la Commission bancaire de l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA), organe régulateur du secteur, n’a pas souhaité divulguer les vrais chiffres du groupe.
Pour améliorer la gestion, l’arrivée d’investisseurs institutionnels a été envisagée. « Les dirigeants qui se sont succédé ont tenté de les attirer, mais sans y parvenir », affirme un analyste ouest-africain. Fin 2010, l’amélioration des résultats du groupe a incité la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) à prendre une participation de 10,7 % dans AFG pour un montant de 6 milliards de F CFA. La Société financière internationale de la Banque mondiale devait suivre. Elle était prête à investir 250 millions de dollars dans Banque Atlantique par le biais d’un autre groupe bancaire. Une fois encore, Dossongui a repoussé l’offre en engageant des discussions avec BPCE. Dans la foulée, le directeur général d’AFG, Charles Kié, a démissionné, comme l’avait fait son prédécesseur, Félix Bikpo, après l’échec du deal avec Access Bank. Pendant ce temps, la Baci, la plus grande filiale du groupe, demeure dans une situation financière délicate – Dossongui lui-même le reconnaît – et attend d’être renflouée. La solution viendra-t-elle du Maroc ?
Le nouveau pouvoir se méfie de Dossongui
Avec l’arrivée d’un nouveau pouvoir en Côte d’Ivoire, Bernard Koné Dossongui, 62 ans, traverse une mauvaise passe. Des proches collaborateurs d’Alassane Dramane Ouattara (ADO) ne lui pardonnent pas d’avoir soutenu l’ancien président Laurent Gbagbo, actuellement détenu à La Haye. Pour preuve : il a été écarté de la création d’Air Côte d’Ivoire par l’actuel président du conseil d’administration d’Aéroport international d’Abidjan (Aeria), le général Abdoulaye Coulibaly, qui en conduit le lancement. Koné Dossongui avait pourtant investi en 2008 une dizaine de milliards de francs CFA (une quinzaine de millions d’euros) dans la défunte Air Ivoire, qui a déposé le bilan en 2011.
Installé à Lomé (Togo) depuis début 2011, cet ancien député du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI, d’Henri Konan Bédié) saura-t-il s’appuyer sur ses bonnes relations avec Charles Konan Banny, l’ancien gouverneur de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), actuellement président de la Commission Dialogue, Vérité et Réconciliation, pour rebondir et redorer son image auprès du camp Ouattara ? Les revers qu’il a essuyés ces dernières années (faillite d’Air Ivoire, difficultés de la Banque Atlantique de Côte d’Ivoire…) l’ont affaibli. En 2010, Koné Dossongui pesait, selon ses dires, plus de 500 milliards de F CFA (762 millions d’euros). Et aujourd’hui ? S’il figure toujours parmi les hommes d’affaires les plus importants d’Afrique de l’Ouest, il est toutefois difficile de mesurer sa véritable puissance financière et la force de son réseau d’influence. Stéphane Ballong et Mieu Baudelaire, à Abidjan
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