« La Françafrique est un fantasme français », dixit la Françafrique

Ce n’est pas tous les jours qu’un homme politique africain peut s’exprimer dans la matinale radiophonique la plus écoutée de France, celle de France Inter.

Le Franco-Béninois Lionel Zinsou au Forum africain de Bercy, le 6 février 2015. © Bruno Levy pour J.A.

Le Franco-Béninois Lionel Zinsou au Forum africain de Bercy, le 6 février 2015. © Bruno Levy pour J.A.

image
  • Éric Mukendi

    Né à Kinshasa du temps du Zaïre, Éric Mukendi est arrivé en France en 1985, aujourd’hui, il enseigne le français dans un collège en banlieue parisienne.

Publié le 26 janvier 2016 Lecture : 3 minutes.

Cet honneur fut accordé récemment à Lionel Zinsou, Franco-Béninois, Premier ministre et candidat à la présidentielle au Bénin. Lors de cet entretien du 1er décembre 2015, M. Zinsou a dit : « C’est un fantasme français que la Françafrique! ». Ces propos n’ont pas fait réagir, ni les auditeurs, ni les journalistes présents dans le studio.

On est heureux de voir l’optimisme dont fait preuve M. Zinsou et nous le partageons

Lors de la même émission, M. Zinsou, ancien normalien, déclara aussi : « Désormais l’Afrique est en soi une puissance, […] les rapports de domination […] n’existent plus qu’à l’état résiduel. » On est heureux de voir l’optimisme dont fait preuve M. Zinsou et nous le partageons.

la suite après cette publicité

Mais à l’entendre, on se dit que les opposants ivoiriens vont être surpris d’apprendre qu’ils nourrissent un fantasme propre aux Français puisque ceux-ci soutiennent que la France a eu son rôle à jouer dans l’avènement du régime d’Alassane Ouattara.

En 2015, l’épineuse question de la modification de la Constitution et du calendrier électoral par référendum a vu en octobre, le ministre des Affaires étrangères du Congo-Brazzaville, Jean-Claude Gakosso venir rencontrer M. Laurent Fabius à Paris. Suite à cette visite, il a été répété, dans un premier temps, que la France ne s’opposait en rien à ce que le président Sassou Nguesso consulte son peuple. Cette information a pris une telle consistance, qu’un démenti de l’Elysée est venu ensuite l’infirmer.

Les opposants congolais qu’on peut croiser dans les rues de Paris ou qui postent des photos des manifestations populaires d’opposition au régime de Sassou Nguesso sur les réseaux sociaux, ont pourtant vécu cette décision comme un soutien apporté par la France, à son ami de 30 ans (de pouvoir) Denis Sassou Nguesso.

Ce fut aussi le cas d’Eva Joly qui s’est exprimée clairement sur la question. En 2015, la France intervient militairement au Mali et en Centrafrique. Ces exemples contrastent avec les propos de M. Zinsou, qui a travaillé dans des cabinets ministériels français dont trois ans dans le cabinet de Laurent Fabius (actuel ministre des Affaires étrangères) et qui avant d’être nommé Premier ministre du Bénin, dirigeait Africa Fondation International, une fondation soutenue par le ministère des Affaires étrangères de Laurent Fabius et le Medef International.

On a envie de dire : « La nouvelle ruse de la Françafrique, c’est de faire croire que la Françafrique n’est qu’un fantasme »

la suite après cette publicité

On en finit par donner raison à M. Zinsou: « La Françafrique est un fantasme… ». Et on continue à fantasmer. Il y a une réplique culte dans le film Usual Suspects : « La plus grande ruse que le Diable ait jamais réussi, ça a été de faire croire à tout le monde qu’il n’existait pas ». Adaptant, cette sentence aux propos de M. Zinsou, on a envie de dire : « La nouvelle ruse de la Françafrique, c’est de faire croire que la Françafrique n’est qu’un fantasme ».

Plus sérieusement, on attend des hommes politiques qu’ils soient responsables et tiennent des propos responsables. L’opinion publique française est connue pour peu s’intéresser à la politique africaine. C’est dommage que l’un des rares africains à qui on donne la parole avec une audience aussi importante évacue la question des relations « justes » entre la France et ses anciennes colonies, d’un revers de la main.

la suite après cette publicité

Quand l’argent du Golfe arrive en France, les hommes politiques et les médias disent leur crainte que cela entraîne une forme de sujétion. Avec les intérêts financiers colossaux de la France dans certains pays africains, l’entorse à la souveraineté que constitue le franc CFA et la présence militaire française en Afrique, peut-on vraiment affirmer que la Françafrique est finie et demander à être cru sur parole?

Sans préjuger de ses intentions, il me semble que Lionel Zinsou est difficilement crédible. À titre de comparaison, Laurent Gbagbo, tenant les mêmes propos, aurait plus de poids. Mais l’eau coulera sous les ponts avant que celui-ci ne soit autorisé à s’exprimer le matin sur France Inter.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires