Burundi : une crise politique, religieuse et mystique
Les Burundais se souviendront longtemps du passage à l’année 2016. Jamais depuis la dernière guerre civile de 1993-2005, le pays n’avait traversé une crise politico-humanitaire aussi catastrophique.
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Cécile Kyenge
Cécile Kyenge, originaire de RDC, est députée européenne et ancienne ministre italienne de l’Intégration. Elle a été chef de la mission d’observation de l’Union européenne pour les élections au Burkina Faso, en 2015, et membre observatrice de la délégation du Parlement européen pour la présidentielle de 2016 au Gabon.
Publié le 27 janvier 2016 Lecture : 4 minutes.
Au-delà des scénarios envisagés dans le mémo adressé au Conseil de sécurité des Nations unies par le chef des opérations de maintien de la paix, Hervé Ladsous, et dont le pire évoque une tournure ethnique du conflit actuel avec des incitations aux crimes contre l’humanité, crimes de guerre ou au génocide, l’Histoire retiendra les responsabilités du pouvoir en place.
Parmi les raisons invoquées dans la fuite en avant du président Pierre Nkurunziza, je voudrais attirer l’attention des lecteurs de Jeune Afrique sur une dimension de la crise burundaise dont les contours restent très difficiles à cerner, mais qui n’en reste pas moins importante – je le crains – pour expliquer en partie la situation en cours au Burundi. Cette dimension fait référence au syncrétisme politico-religieux qui touche les plus hautes sphères de l’État, et en particulier le couple présidentiel.
Mouvance évangélique
Du Nigeria à la Côte d’Ivoire, en passant par le Bénin, la République centrafricaine ou le Malawi, les chefs d’État africains influencés par la mouvance évangélique importée des États-Unis sont de plus en plus nombreux. Parmi eux, Pierre Nkurunziza, devenu pasteur évangéliste, n’a jamais caché sa foi en « Dieu tout-puissant ».
En atteste certains communiqués publiés sur le site de la présidence burundaise faisant référence à la « Semaine de prière et d’action de grâce » et des « croisades religieuses » que le couple présidentiel organise chaque année à travers tout le pays, dont celle en 2014 au cours de laquelle Nkurunziza a clôturé « une prière de bénédictions, tenant dans la main le drapeau national soutenu par son épouse », Denise Bucumi, elle-même pasteure d’une église évangélique.
Quelle idée doit-on se faire de la Res Publica au Burundi lorsque l’on sait que chaque Conseil des ministres débute avec une prière collective ?
Cette image résume à elle-seule la confusion qui est susceptible de régner au sommet de l’État burundais. Quelle idée doit-on se faire de la Res Publica au Burundi lorsque l’on sait que chaque Conseil des ministres débute avec une prière collective conduite par le Chef de l’État, que des prophéties avancent qu’il a été choisi par Dieu pour diriger le pays plutôt que par le peuple, que le club de football qu’il a fondé s’appelle Alléluia Club ?
Troquer si facilement le costume présidentiel pour celui de pasteur est pour le moins troublant. Dans la crise actuelle, cela prend une tournure inquiétante. Tout récemment, une députée burundaise n’a pas hésité à invoquer « la force qui a été donné par Dieu » au président burundais « pour résister contre toute opposition et les pressions occidentales ».
Dieu contre la Maprobu ?
Suivant cette logique, un doute s’impose : Dieu aurait-il suggéré à Pierre Nkurunziza de s’opposer au déploiement de la Maprobu (Mission africaine de prévention et de protection au Burundi) ? Poussant cette logique à l’extrême, on pourrait se demander si le massacre de jeunes civils et la répression d’opposants, de représentants de la société civile et de journalistes ne sont pas le fruit d’un dessein divin.
Malheureusement Pierre Nkurunziza a pris l’habitude de fouler au pied la Constitution adoptée par référendum en 2005
Il n’en est évidemment rien, car les responsables de la catastrophe qui est en cours devront répondre tôt ou tard de leurs méfaits à la justice internationale. En attendant, je partage l’inquiétude de l’ex ministre belge des Affaires étrangères, Louis Michel, qui récemment a fait part de son étonnement sur « le mysticisme un peu irrationnel » du chef de l’État burundais et « l’idée que l’on est au pouvoir par la volonté de Dieu ».
Si tel est le cas, il convient de citer l’article 1 de la Constitution burundaise, selon lequel « le Burundi est une République indépendante, souveraine, laïque, démocratique, unitaire et respectant sa diversité ethnique et religieuse ». Malheureusement Pierre Nkurunziza a pris l’habitude de fouler au pied la Constitution adoptée par référendum en 2005.
La foi ne peut influer sur la gestion de l’État
Les fois, toutes les fois, ainsi que la liberté de culte, un droit inaliénable dans les Constitutions africaines, ne peuvent en aucun cas s’immiscer dans les affaires d’une République laïque. Au Burundi, comme dans le reste de l’Afrique, des millions d’hommes et de femmes, et surtout de jeunes, fréquentent des églises évangéliques. C’est assurément leur droit. Certains sont même convaincus que ce que d’autres considèrent comme un fléau atténue les frustrations et la colère que peuvent générer les inégalités sociales et les conflits sur le continent africain.
Mais parmi ces jeunes chrétiens évangéliques, un certain nombre assument déjà ou assumeront dans un futur proche des responsabilités politiques importantes. Le cas du Burundi doit leur rappeler que la foi religieuse, aussi noble et grande soit elle, ne doit influer sur la gestion d’un État africain et prendre en otage ses citoyens.
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