Ahlaoui vs Zamalekaoui ou le combat des laïcités en France
Ahlaoui et Zamalekaoui sont deux figures bien connues en Égypte. Ce sont les supporteurs de clubs cairotes de football.
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Mohamed Sadoun
Mohamed Sadoun est haut fonctionnaire, enseignant, maître de conférences en culture générale.
Publié le 28 janvier 2016 Lecture : 3 minutes.
Le premier d’El Ahly. Le second du Zamalek. Leur rivalité est aussi ancienne qu’inexpugnable. Comme pour une religion, on ne devient pas supporteur de l’un ou de l’autre club, on a l’honneur de naître Ahlaoui ou Zamalekaoui et on bénit le ciel de ne pas nous avoir fait naître dans le camp adverse. Bien sûr, cette situation n’est pas propre à la ville du Caire. On la retrouve de manière quasi identique dans des villes comme Milan, Rome, Madrid et même à Casablanca ou Alger. Bref, partout où l’on retrouve le même cocktail fait de passions identitaires exacerbées par des divisions sociales et territoriales trop marquées.
Le Caire est en émoi deux fois par an les jours de derby. Pour Ahlaoui et Zamalekaoui, ce sont des jours de gloire que ces jours-là. Des jours où on prend plus de plaisir à la défaite des autres voire à leur humiliation qu’à la victoire des siens. Et bien sûr le perdant, c’est toujours l’arbitre. Il a toujours favorisé l’équipe adverse. Car vous comprenez, il ne nous aime pas. On dérange. On dérange qui ? On dérange quoi ? Peu importe pour Ahlaoui ou Zamalekaoui, on dérange signifie qu’on est important. C’est tout ce qui compte.
Quel rapport avec la laïcité me direz-vous ? Et bien la laïcité, c’est l’arbitre tout simplement. Celui qui va permettre à Ahlaoui et Zamalekaoui de continuer à coexister dans la même ville. La laïcité doit-elle être ouverte, permettant aux uns et aux autres de coexister pacifiquement dans leurs différences ou au contraire gommer tout signe d’appartenance au Ahlaouisme ou au Zamalekaouisme pour éviter les heurts ? Ces débats ne sont pas médiocres en eux-mêmes s’ils n’avaient pas pris récemment la forme d’une nouvelle irruption d’Ahlaouisme et de Zamalekaouisme.
D’un côté, l’équipe est menée par une célèbre philosophe rejointe par quelques anciens ministres. Le chant des supporteurs serait le suivant : « L’islamophobie est un droit car la critique d’une religion fait partie de l’esprit des Lumières. En revanche, la critique de la politique israélienne cache trop souvent un antisionisme primaire qui est lui-même un faux nez de l’antisémitisme. Donc critiquer Israël est immoral voire criminel ».
ce qu’ils ne savent pas, c’est que par leur attitude de supporteurs et non d’acteurs, ils se comportent indéfiniment comme des enfants
De l’autre le capitaine de l’équipe n’est autre que le président de l’observatoire de la laïcité entouré de quelques associations. Le credo des tifosi pourrait être celui-ci : « L’islamophobie est un nouvel antisémitisme donc si vous ne voulez pas qu’on soit antisémite, ne soyez pas islamophobe. En revanche, il est loisible de critiquer Israël car cela fait partie de nos obsessions ».
Ce nouvel antagonisme pourrait paraître grotesque s’il n’était pas tragique comme en témoigne la recrudescence des violences antijuives et antimusulmanes qui touchent des personnes bien réelles celles-là car, il ne faut pas l’oublier, Ahlaoui et Zamalekaoui sont aussi violents à l’occasion. Les policiers autour des stades sont là pour nous le rappeler.
Comme pour le football, les joueurs, ceux qui fixent les normes, se retrouveront au final dans des salons dorés avec une coupe millésimée à la main. Il y aura même l’arbitre. Leurs différends resteront au stade de la rhétorique tandis que Ahlaoui et Zamalekaoui, eux, continueront à s’invectiver par réseaux sociaux interposés. Car ce qu’ils ne savent pas, c’est que par leur attitude de supporteurs et non d’acteurs, ils se comportent indéfiniment comme des enfants. Ils guettent la réaction de parents occupés à se remplir à nouveau leur coupe millésimée. Si papa manifeste une inclinaison pour le frère aîné, le cadet se roulera par terre et se montrera agressif avec le préféré. Celui-ci se plaindra. Son frère recevra une punition. Le cadet aura la confirmation de ce qu’il pressentait : il dérange. L’aîné, lui, trouvera que la punition n’est pas suffisante et il aura la confirmation de ce qu’il pressentait : il dérange. Ce qu’ils ignorent aussi, c’est qu’ils ont largement dépassé l’âge adulte, un âge où on a théoriquement substitué la « morale d’esclave » envers le maître ou, pour le dire moins abruptement, le ressentiment à l’égard du parent défaillant pour une éthique de l’affirmation de sa propre norme, libre du regard ou de la reconnaissance des autres.
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