Sénégal : naissance d’un géant minier, au nord de Diogo
Le Sénégal s’apprête à donner naissance à la troisième mine de zircon et d’ilménite au monde. Située au nord de Dakar, près de Diogo, elle entrera en exploitation en 2013 et devrait représenter 7 % de la production mondiale.
Le mastodonte de 6 000 tonnes n’arrivera qu’à la fin de l’année, mais son emplacement est déjà délimité. Entre deux dunes de sable fin, des bulldozers s’activent pour réaliser le bassin (alimenté par une nappe d’eau souterraine) à partir duquel une barge extraira 48 millions de tonnes de sable par an dès 2013. La scène se passe à deux heures de route au nord de Dakar au Sénégal, près de la commune de Diogo.
Le village se prépare aussi à ce qui s’annonce comme l’une des plus grandes aventures minières du pays, après celles des phosphates, exploités par les Industries chimiques du Sénégal (ICS) dont le site n’est qu’à quelques kilomètres. On ne peut d’ailleurs guère ignorer les monticules anarchiques laissés par cette industrie. « À notre arrivée, il a fallu convaincre les populations que nous, nous laisserions le paysage dans un état compatible avec leurs activités agropastorales », explique Daour Dieng, chef du département social et communautaire de Grande Côte Opération SA (GCO).
Contrôlée par le français Eramet et l’australien Mineral Deposits, Grande Côte Opération SA exploitera la troisième plus grande mine au monde de zircon et d’ilménite
La société de droit sénégalais exploitera la troisième plus grande mine au monde de zircon et d’ilménite. GCO est contrôlé à 90 % par la coentreprise Tizir, propriété du français Eramet (50 %) et de l’australien Mineral Deposits Ltd (MDL, 50 %). Les 10 % restants ont été cédés gratuitement à l’État, conformément au code minier. L’exploitation des réserves, estimées à 3,2 milliards de tonnes, devrait fournir 7 % de la production mondiale pendant au moins vingt ans.
La zone concédée en 2007 (pour une durée de vingt-cinq ans) est une plage léchée par l’océan Atlantique, large de 4,5 km et longue de 107 km : elle débute à 50 km au nord de Dakar, se termine non loin de Saint-Louis et longe principalement Fass Boye, Mboro et Lompoul, en plus de Diogo. Le projet aura mobilisé 550 millions de dollars (environ 420 millions d’euros) sur deux ans, entièrement pris en charge sur capitaux propres.
Des minerais très recherchés
Le zircon est utilisé dans les écrans plasma, les matériaux de construction, l’industrie aérospatiale, etc.
L’ilménite sert dans l’industrie chimique, notamment pour produire du pigment blanc
Faux départ
Identifié à la fin des années 1980 par le groupe chimique américain DuPont de Nemours, le gisement n’avait pas été exploité. Avec la demande mondiale croissante, alimentée notamment par l’Asie, l’intérêt pour le zircon s’est accentué, poussant les sociétés minières spécialisées à trouver de nouvelles ressources. Parmi ces groupes (ils sont brésiliens, australiens et sud-africains principalement) figure MDL, producteur de zircon depuis les années 1960 en Australie. Arrivé au Sénégal en 2004, il signe un an plus tard deux conventions d’exploration avec les autorités, l’une pour le site aurifère de Sabodala, l’autre pour Diogo. L’État sénégalais le pousse à lancer d’abord l’extraction d’or (démarrée en 2009), mais il mène simultanément l’exploration de sa mine de zircon afin de préciser les données de DuPont de Nemours.
Quatre années, 13 000 forages et 80 millions de dollars plus tard, le projet, évalué initialement à 150 millions de dollars, atteint un demi-milliard avec la découverte d’ilménite. Incapable de se financer seul, MDL cherche alors un nouveau partenaire : le français Eramet fait son entrée fin 2011. « Pour la transformation de l’ilménite, il fournit ses usines, situées en Norvège, tandis que nous apportons la ressource, précise Bruno Delanoue, directeur général adjoint de GCO. Il est un investisseur, un partenaire industriel, et en définitive un client. »
À l’entrée du site, fermé par une grille, des candidats à une journée de travail font le pied de grue tous les matins. « D’ici à septembre, nous emploierons jusqu’à 1 000 personnes pour la phase de construction, poursuit Bruno Delanoue, puis 300 en permanence durant l’exploitation. » Derrière le portail, c’est un autre monde : la base de vie ressemble à un village propret (bureaux, cantine, logements). De larges routes en sable rougi par un arrosage quotidien (destiné à éviter la poussière) serpentent entre les bâtiments et des parterres de gazon. Sur la zone de production, il ne manque plus que la barge et l’usine de traitement.
Formation
Du haut des dunes apparaissent des dizaines de jardins maraîchers situés en dehors du site, dans la zone des Niayes. « L’eau y est à une faible profondeur ; c’est ce qui explique qu’il y a ici une forte activité maraîchère », raconte Clever Fonseca, directeur général de Tizir, et Brésilien tombé amoureux du pays. Selon lui, aucun de ces jardins n’est menacé. S’il aime détailler l’ampleur du projet, il préfère lister les actions sociales mises en place par GCO. « Nous dépensons 500 000 dollars par an dans l’éducation, l’électrification rurale, la santé, l’hygiène, l’environnement, assure-t-il. Mon ambition est de faire sur le site une grande production de noix de cajou, dont l’arbre est parfaitement adapté au climat et au type de sol… Vous verrez, j’y arriverai ! »
Pourtant, des protestations s’élèvent déjà à Dakar. On dénonce la vente de terres à prix bradés au minier et on s’inquiète des pollutions possibles. Accusations rejetées par les intéressés, qui préfèrent mettre en avant l’impact socioéconomique de GCO, la formation des employés par la société et le bon niveau de rémunération – un technicien est payé en moyenne 400 000 F CFA (610 euros) par mois, soit environ dix fois le salaire minimum. Ils soulignent aussi la réhabilitation du site : le sable aspiré par la barge est rejeté derrière elle une fois le minerai extrait ; au fur et à mesure que celle-ci progresse, la dune se reconstitue avec un sable plus blanc, « lavé », disent-ils. La végétation, replantée, parachève le travail.
Nerf de la guerre
Surtout, la mine ne sera pas le seul chantier. Afin d’évacuer le zircon et l’ilménite, GCO construira 22 km de lignes de chemin de fer pour rejoindre le réseau national. Les 100 km de voies existantes jusqu’au port de Dakar seront, de plus, réhabilités et exploités par la firme dans le cadre d’une concession avec l’État. « Nous utiliserons quatre sillons horaires de nuit, détaille Bruno Delanoue. Les ICS pourraient en utiliser autant. Le reste est à la disposition du train de banlieue notamment, moyennant un péage. » Le port sera également aménagé pour charger le minerai. « Dans cette activité, le transport reste le nerf de la guerre, estime le directeur général adjoint de GCO. L’avantage du Sénégal est d’avoir un port de qualité et d’être situé à proximité des principaux marchés que nous visons », à savoir l’Europe du Sud et l’Amérique du Nord.
Enfin, la centrale au diesel de 36 MW construite par le finlandais Wärtsilä (la première tranche est déjà achevée) pour produire l’énergie nécessaire à l’activité pourrait être connectée au réseau en cas de surplus. La mine éclairera-t-elle l’avenir de Diogo et des communes avoisinantes ? Les salariés comme les villageois y croient. À GCO de réussir.
L’or a la cote
Connu pour ses phosphates et peut-être demain pour son zircon, le Sénégal l’est moins pour son or. Pourtant, depuis la réforme du code minier en 2003, les investisseurs se bousculent, poussés par un prix de l’once multiplié par huit en dix ans. La région de Kédougou (sud-est du pays) a vu débarquer de nombreux groupes étrangers : Oromin, Sabodala Gold Operations (dont Mineral Deposits Ltd est encore actionnaire à 16 %), Randgold Resources… Au moins deux mines supplémentaires devraient ouvrir d’ici à moins de dix ans. Le pays produit actuellement 5 tonnes d’or par an, ce qui le classe au 13e rang en Afrique.
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