Attention aux dérives
L’Union africaine (UA) a donc tenu, à son siège d’Addis-Abeba, son sommet de début d’année. Les chefs d’État ou de gouvernement qui ont fait le déplacement se sont efforcés de statuer sur les questions du moment, préalablement examinées par leurs ministres des Affaires étrangères.
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Béchir Ben Yahmed
Béchir Ben Yahmed a fondé Jeune Afrique le 17 octobre 1960 à Tunis. Il fut président-directeur général du groupe Jeune Afrique jusqu’à son décès, le 3 mai 2021.
Publié le 4 février 2016 Lecture : 4 minutes.
Leur attention a été accaparée par les crises qui secouent le continent, à commencer par celle, sanglante et interminable, du Burundi.
L’avenir immédiat, celui de la Libye, où les États-Unis et la France s’apprêteraient à intervenir militairement, cette fois pour empêcher Daesh de s’y consolider, ne semble pas avoir été évoqué.
Le moyen et le long terme du continent ? Cet horizon-là n’a a fortiori pas été scruté.
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Est-ce le temps qui a manqué ? Ou bien faut-il conclure de cette carence qu’un sommet de deux jours rassemblant entre trente et quarante chefs d’État n’est propice qu’à l’examen de questions imposées par l’urgence ?
Constatons le fait et disons qu’il revient aux analystes d’éclairer la voie pour tenter de répondre à cette question : À quoi devons-nous faire attention pour éviter au continent de dériver ?
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I « Un portrait qui dérange »
L’un de ces analystes à la compétence reconnue se nomme Serge Michailof. Chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris), ancien de la Banque mondiale et de l’Agence française de développement (AFD), il a publié à la fin de 2015, sous le titre provocateur d’Africanistan, un livre que Jeune Afrique a déjà signalé, interview de l’auteur par Alain Faujas à l’appui.
Les dirigeants africains et ceux d’entre vous qui peuvent se procurer Africanistan ont intérêt à lire ce livre, dont Érik Orsenna a dit : « C’est un portrait qui dérange. »
Décrivant l’évolution de notre continent, l’auteur rappelle que « la croissance est revenue en Afrique et s’est fixée à un niveau significatif de 6 % environ. Cela a permis une amélioration des conditions de vie dans certaines villes et la formation d’une petite classe moyenne, tous phénomènes qui sont très positifs. Les grands exportateurs de matières premières, en particulier de pétrole, comme le Nigeria et l’Angola, ont profité de cette situation, tirés vers le haut par la fantastique croissance chinoise. D’autres pays, comme l’Éthiopie et le Kenya, ont bien réussi aussi, après avoir mené des réformes importantes sur le plan économique. […]
Mais aucun pays d’Afrique subsaharienne n’est véritablement sur la voie de l’émergence, qui suppose une profonde diversification de l’économie. La part de la valeur ajoutée par l’industrie dans le produit intérieur brut stagne depuis quarante ans. »
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« La menace démographique » est à ses yeux très grave : « Les pays du Sahel n’ont même pas encore amorcé leur transition démographique et refusent le contrôle des naissances. À supposer qu’ils s’engagent sur cette voie-là, trente ans s’écouleront avant que les résultats soient significatifs.
Le taux de fécondité est de 7,5 enfants par femme au Niger. Avec une telle croissance démographique, la population double tous les dix-huit ans.
Alors que le déficit alimentaire de cet État est déjà difficile à gérer avec 20 millions d’habitants, contre 3 millions en 1960, qu’en sera-t-il lorsqu’ils seront plus de 40 millions dans vingt ans ?
Même quand les pays consacrent au secteur de l’éducation jusqu’à 40 % du budget national, la croissance démographique est telle qu’ils ne peuvent assurer une éducation de qualité à tous les écoliers. […] »
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Il en arrive à cette conclusion : « Les jeunes se voient offrir des primes, des promesses de pillage et parfois des salaires attractifs pour rejoindre les rébellions. Faute d’options, la tentation est naturellement de les rejoindre. On évalue à 3 000 le nombre de jeunes Sahéliens qui ont déjà rejoint Daesh et d’autres groupes jihadistes en Libye. Que se passera-t-il quand ils reviendront ?
« Si ces pays continuent avec des institutions publiques inefficaces gangrenées par le népotisme et le clientélisme, les jihadistes, tôt ou tard, imposeront leur loi. »
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II Le prix du pétrole
Denrée rare, concentrée dans le sous-sol de pays souvent peu peuplés, le pétrole a vu son prix flamber en 1974. D’un choc à l’autre, il n’a presque jamais cessé de grimper, enrichissant scandaleusement ceux qui l’exportent, lesquels sont une minorité, taxant lourdement les consommateurs de cette indispensable source d’énergie : sans elle, pas d’industrie, pas de transports.
Mais la voilà brusquement devenue trop abondante et moins recherchée. Son prix est en chute libre depuis près de vingt mois : de plus de 100 dollars, le cours du baril est tombé aux environs de 30 dollars, soit une baisse qui dépasse 70 %.
Nous sommes ainsi passés d’un prix insupportable pour les acheteurs et qui déséquilibrait leurs budgets à un coût du baril si bas qu’il décourage la recherche et l’exploration, conduit des entreprises et des pays – le Venezuela et l’Azerbaïdjan les premiers – à la faillite.
Ceux-là mêmes qui, comme moi, ont dénoncé le prix trop élevé du pétrole, la « rançon » qu’il a constituée pour les acheteurs et la « malédiction » qu’il est devenu pour les exportateurs tirent aujourd’hui la sonnette d’alarme : ce prix est désormais à un niveau dangereusement bas, non seulement pour ceux qui le produisent et l’exportent, surtout lorsqu’ils sont, comme le Nigeria, l’Algérie ou l’Angola, très peuplés, mais aussi pour la stabilité mondiale.
À cet égard, l’Afrique est dans une situation particulière : elle est devenue l’un des continents qui exportent le plus de pétrole, et la vingtaine de pays africains exportateurs rassemblent la moitié de la population africaine !
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Le pétrole a donc perdu, à partir de la mi-2014, d’abord la moitié, ensuite les deux tiers de son prix. Une dégringolade aussi importante et aussi rapide est déstabilisante. Les consommateurs eux-mêmes n’ont pas réellement intérêt à contracter la mauvaise habitude de sous-payer l’énergie qu’ils utilisent.
En ce moment même, la Russie et d’autres pays exportateurs tentent de faire remonter le prix du pétrole en réduisant les quantités offertes. Leurs efforts sont à encourager, car si le prix du pétrole ne remonte pas progressivement mais sensiblement, la situation conduira à d’énormes faillites et à des explosions sociales aux conséquences imprévisibles.
Le juste prix du pétrole, supportable par ses consommateurs et rémunérateur pour ceux qui l’exportent, se situe aux environs de 60 dollars le baril, près du double de son prix actuel.
Plus tôt il l’atteindra, mieux cela vaudra pour nous tous.
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