Algérie : l’Académie berbère doit être loin de toute tutelle politique

L’officialisation du tamazight dans le projet de Constitution algérienne signe un moment historique. Acquis indéniable des sacrifices militants, elle bouleverse l’espace symbolique et chamboule les mythologies historiographiques et autres confusions identitaires sur l’Afrique du Nord ; Tamazgha, dite Maghreb, et ses États dits arabes.

Le régime algérien a longtemps propagé la peur de la langue autochtone. © Maina Marjany / Flickr / CC

Le régime algérien a longtemps propagé la peur de la langue autochtone. © Maina Marjany / Flickr / CC

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  • Ali Brahimi

    Militant amazigh et porte-parole du Mouvement citoyen pour les libertés et le développement.

Publié le 2 février 2016 Lecture : 3 minutes.

Méthodologie empruntée du Maroc, l’officialisation est définie dans ce projet de révision constitutionnelle comme un processus temporel qui sera balisé et supervisé par « un moudjamaâ » (pôle ou complexe) amazigh rattaché au président de la République.

Le projet de loi ne mentionne aucun délai pour la mise en place de cette officialisation, ni pour la démarche à suivre. Il se contente de dire qu’une loi organique arrêtera les conditions d’application de la disposition constitutionnelle.

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Les surprises du projet constitutionnel

Le terme « moudjamaâ » traduit dans la version française du projet par « Académie » – un mot pourtant usité en arabe – peut néanmoins cacher des surprises. Il est dit dans le projet de révision constitutionnelle que le moudjamaâ « s’appuie sur les travaux des experts ». N’en est-il pas composé ? Il est ensuite dit qu’il est « chargé de réunir les conditions nécessaires à la promotion du tamazight dans le but de l’instituer comme langue officielle par la suite ».

A priori et à s’en tenir au strict texte, l’Académie ne réunira pas les seuls académiciens. Le Constituant envisage-t-il d’y inclure (ou d’y enfermer?) un maximum de personnes ressources de la revendication et de la langue ? Envisage-t-il de choisir les académiciens selon une représentation idéologique de son choix ?

Tel que rédigé, l’organe semble viser à réunir les fonctions académique et institutionnelle du processus de promotion-officialisation de la langue sous la supervision du Président de la République.

Le régime algérien a longtemps propagé la peur de la langue autochtone

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La démarche retenue laisse paraître une timidité, voire une méfiance récurrente adossée à une incompétence certaine. La rédaction est fortement imprégnée de peurs et d’oppositions longtemps propagées par le régime parmi les citoyens arabophones sur une menace de la langue autochtone contre la langue arabe.

L’éclatement de la clause constitutionnelle « langue(s) » en deux articles, 3 et 3 bis est, en soi, révélateur de deux collèges linguistiques clairement et maladroitement soulignés par la proclamation d’une «langue officielle de l’État» qui est l’arabe et d’une «langue également nationale et officielle» qui est le Tamazight. Méfiance et souci de donner des gages sont attestés par le verbe « demeurer » (tadhalou, en arabe) réitérant l’officialité de l’arabe. La « promotion » du Conseil supérieur de la langue arabe dans une disposition constitutionnelle s’inscrit dans le même registre.

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Qui doit siéger dans l’Académie amazigh ?

Pour nous, l’Académie amazigh est une instance scientifique autonome du pouvoir politique et des partis chargée des tâches proprement linguistiques de standardisation, planification, enseignement, graphie (tifinagh ou latine), réunification de la langue… Sa composition doit émaner de l’université, des facultés de la langue amazigh, par élection académique et loin de toute tutelle politique. L’Académie amazigh doit être composée d’académiciens et d’universitaires reconnus de la langue et de la culture et civilisation amazigh, loin des charlatans de l’islamobaathisme (sic!) embusqués contre la cause qui a avorté leur projet hégémonique arabiste. Le rattachement à la Présidence de la République n’est utile que s’il capte les moyens nécessaires à l’ampleur du travail sans nuire à une indépendance nécessaire.

La loi organique déterminant les prérogatives de l’Académie doit faire l’objet d’une large consultation des compétences scientifiques, académiques et linguistiques présentes dans le pays et à l’étranger. La communauté universitaire amazigh et le Mouvement culturel berbère (MCB) doivent y être associés.

Quelle mission pour cette académie ?

Cette loi-cadre vitale doit définir les objectifs de la promotion-officialisation de tamazight et leurs différentes échéances, les moyens matériels, financiers et humains, les mécanismes de la co-officialisation avec la langue arabe, les étapes de l’extension géographique de son enseignement obligatoire, limité actuellement aux zones à fort peuplement amazighophone et aux citoyens amazighophones où qu’ils se trouvent.

Enfin, le processus d’officialisation se motive par un souci méthodologique scientifiquement acceptable mais il peut viser à différer indéfiniment la concrétisation de l’officialité proclamée.

Restructurer le mouvement amazigh

Aussi triste et révoltante que soit l’attitude des régimes nord-africains, il est clair que l’accession du tamazight à tous ses droits naturels et historiques sur son sol sera, pour longtemps, un combat politique dont les avancées et les délais dépendront de la force de mobilisation et de l’union de ses partisans.

C’est pour cela que nous avons lancé un appel solennel à la reconstruction unitaire du Mouvement culturel berbère pour accompagner et, au besoin, obliger le pouvoir à tenir ses engagements constitutionnels.                                                                 

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