Driss Bahaj : « L’Onep ne cherche pas la rentabilité à tout prix »
Pour l’établissement public, la priorité est d’étendre l’accès à l’eau potable dans les zones rurales. Un objectif que l’Onep entend atteindre grâce à des investissements conséquents et au soutien de l’État.
Accès à l’eau : le grand défi africain
Ingénieur formé au Maroc puis en France, Driss Bahaj dirige l’activité commerciale de l’Office national de l’eau potable (Onep) dans le royaume et à l’étranger. Travaillant notamment à établir le prix de l’eau là où l’établissement public est sollicité, il nous livre son point de vue sur le modèle économique et organisationnel le mieux adapté à la gestion de cette ressource.
Jeune Afrique : Au Maroc, la production, l’assainissement et la distribution d’eau sont gérés par des acteurs différents. Quel rôle exact joue l’Onep et où intervient-il ?
Driss Bahaj : L’Onep, qui est le premier producteur d’eau potable du Maroc, traite et distribue l’eau dans les régions rurales et les villes de taille moyenne de tout le royaume, ce qui représente 1,6 million de foyers clients. Nous assurons aussi la production de 90 % de l’eau potable pour 18 grandes villes, où la distribution et l’assainissement sont assurés par une régie municipale pour 13 d’entre elles et par un acteur privé qui en a la gestion déléguée pour les 5 autres, comme Veolia à Tanger et à Rabat ou Suez Environnement [via sa filiale Lydec, NDLR] à Casablanca.
Quelle est votre stratégie de développement pour améliorer vos services ?
En milieu urbain, notre priorité est de sécuriser les réseaux de distribution pour éviter les pertes, améliorer la qualité… et diminuer la facture. Pour cela, en 2011, nous avons investi 190 millions d’euros pour la réalisation de stations de traitement et de 660 km de conduites !
Grâce à un système de taxes, les villes épongent une partie des dettes des projets ruraux.
Et dans les campagnes, quelles sont vos priorités ?
Dans les zones rurales, nous voulons étendre l’accès de la population à l’eau potable. En un an, nous sommes passés d’un taux de couverture de 91 % à 92 %. Une progression qui peut sembler limitée par rapport à ce que nous faisions dans les années 1970, mais c’est un bon score car nous avons atteint un palier. Nous travaillons désormais à fournir de l’eau potable dans des zones rurales difficiles d’accès et, dans les villages où nous avons déjà installé une borne-fontaine, nous amenons l’eau courante dans les maisons. À cette fin, nous avons dépensé plus de 100 millions d’euros en 2011.
Pour atteindre ces objectifs, il faut des moyens financiers conséquents. Quel est votre modèle économique ?
Nous sommes une entreprise publique, nous ne cherchons pas la rentabilité à tout prix, mais un juste équilibre. Jusqu’en 1993, nous étions subventionnés par l’État, mais ce dernier a changé son mode de participation. Désormais, il co-investit avec nous dans les métiers ou les zones où l’exploitation est structurellement déficitaire sans son apport : les projets dans les zones rurales et le domaine de l’assainissement. De plus, selon un principe de solidarité nationale, les grandes villes, qui bénéficient d’un accès à l’eau moins cher en raison des économies d’échelle, épongent une partie des dettes des projets ruraux déficitaires grâce à un système de taxes.
Cette situation est-elle tenable à long terme ?
Pour le moment, grâce à l’aide de l’État et au système de péréquation entre villes et campagnes, au global, nous sommes tout juste bénéficiaires. Ce qui pourrait poser problème, c’est l’assainissement, un secteur déjà déficitaire d’environ 30 millions d’euros en 2011. L’aide de l’État est primordiale en la matière : il paie la moitié de chaque nouvelle station d’épuration, et la collectivité locale nous fournit un terrain. À long terme, il y aura de nouveaux défis à relever : avec des zones rurales moins peuplées et des réseaux urbains plus vieux, il faudra améliorer le système de financement.
Cette année, les contrats de Veolia à Tanger et à Rabat arrivent à échéance. Êtes-vous candidat à sa succession ?
Nous serons prêts à y aller si l’État nous y invite, toujours avec cette volonté d’atteindre un équilibre économique raisonnable, sans chercher la rentabilité à tout prix. Cela étant, je me garderai de critiquer le service assuré par les filiales de Veolia, qui comptent aussi parmi nos grandes clientes. La gestion publique de l’eau n’est pas aisée, surtout dans des villes qui se sont étendues très rapidement, sans aménagement des réseaux.
Vous êtes aussi actionnaire majoritaire de la Camerounaise des eaux, qui gère la distribution de l’eau potable à Douala et à Yaoundé. Comment sont répartis les rôles avec les partenaires locaux ?
Nous réalisons des missions d’assistance technique au sud du Sahara depuis trente ans, mais ce contrat d’affermage est notre première grande expérience de la gestion publique de l’eau à l’international. Nous avons en charge la distribution de l’eau, mais la production, le transport, l’assainissement et les extensions de réseau sont sous la houlette de [la société publique] Camwater. Certains investissements qui auraient dû être réalisés par Camwater ne l’ont pas été. Mais depuis quelques mois, nous sommes dans une dynamique positive : la société a débloqué des crédits pour réaliser les travaux.
Le contrat d’affermage, tel que celui de l’Onep au Cameroun, est-il plus approprié que celui de la concession complète pour les villes africaines en forte croissance ?
Chaque type de contrat a ses avantages et ses faiblesses. Pour mettre en place une bonne gestion de l’eau, il faut avant tout s’imprégner des réalités socioculturelles locales, ce qui est valable aussi bien au Maroc qu’au Cameroun ou en France. Il faut réussir à construire une relation durable, ce qui n’est pas facile car il peut y avoir des incompréhensions. Au Cameroun, le fait que nous soyons une société publique soucieuse du bien commun, dans le cadre d’une coopération Sud-Sud, joue en notre faveur.
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