Libye : intervenir ou non ?
Après l’Irak et la Syrie, la communauté internationale doit-elle intervenir en Libye ? Les États-Unis et d’autres pays, réunis mardi à Rome, envisagent sérieusement cette hypothèse. Dans quelles conditions ? Explication en six questions.
Quel débat sur l’intervention en Libye ?
Selon Mattia Toaldo, chercheur au European Council on Foreign Relations, une intervention militaire étrangère est « de plus en plus probable ». Car la communauté internationale s’inquiète fortement de « l’échec du processus politique et de l’escalade simultanée des activités du groupe État islamique en Libye ».
La communauté internationale veut en effet intervenir avant qu’il ne soit trop tard, c’est à dire « avant que le pays ne devienne un sanctuaire » pour les jihadistes, « avant qu’ils ne deviennent extrêmement difficile à déloger », a récemment averti un responsable américain de la Défense, cité par la presse américaine. « Il faut prendre des mesures militaires décisives pour contrôler l’expansion de [Daesh], de telle manière que cela appuie un processus politique à long terme » en Libye, a précisé lors d’une visite à Paris, le 22 janvier, le général Joseph Dunford, chef d’état-major interarmes américain.
La France se veut cependant beaucoup plus prudente sur le sujet. « Il n’est absolument pas question que nous intervenions militairement en Libye », a affirmé Laurent Fabius, mardi 3 février, en marge d’une réunion de la coalition internationale à Rome contre l’EI.
Quelles sont les forces de Daesh ?
Depuis la conquête de la ville de Syrte, à 450 km à l’est de Tripoli, le groupe terroriste État islamique (Daesh, selon son acronyme arabe) n’a cessé de renforcer son implantation en Libye. Il aurait aujourd’hui entre 3 000 et 5 000 combattants et tenterait d’y attirer des centaines de recrues étrangères.
« Ils sont là, sur près de 300 kilomètres linéaires de côtes, et ils se répandent. Et ils sont à 350 kilomètres de [l’île italienne de] Lampedusa. Lorsque le beau temps va arriver en Méditerranée, il y a des risques de passage de combattants », a mis en garde fin janvier Jean-Yves Le Drian, ministre français de la Défense .
Les pays africains s’inquiètent parallèlement de l’avancée de l’EI dans le sud, une immense zone désertique. Ce qui est « en particulier dangereux pour le Niger et le Tchad », selon le chef de la mission de l’ONU Martin Kobler.
Pourquoi un accord interlibyen est-il indispensable ?
Pour la plupart des pays favorables à une intervention militaire internationale, un accord politique en Libye semble encore un préalable indispensable. Il permettrait notamment la mise en place d’un gouvernement d’union nationale, qui ferait ensuite une demande d’aide internationale pour lutter contre le terrorisme.
En attendant, le gouvernement reconnu, installé à Al-Bayda, dans l’est du pays, sollicite déjà, en plus des raids aériens, « la levée rapide et sans retarder de l’embargo sur les armes », imposé par l’ONU depuis 2011.
Par ailleurs, les forces loyales à ces autorités, qui se présentent comme l’Armée nationale libyenne (ANL), affirment en effet être en mesure de renseigner les forces internationales sur les positions de Daesh, un facteur déterminant pour éviter des victimes parmi les civils.
Mais le soutien des autorités non reconnues internationalement, appuyées par Fajr Libya, une coalition de milices dont certaines sont islamistes, semble très incertain, surtout si l’accord politique parrainé par l’ONU échoue. Si la menace terroriste est jugée trop importante, la communauté internationale pourrait cependant décider à terme de se passer du soutien des autorités de Tripoli.
Mais comment intervenir ?
Pour l’instant, plusieurs options sont sur la table : elles vont de la possibilité d’une campagne de frappes aériennes en soutien aux forces libyennes comme en Irak ou en Syrie, à l’hypothèse du déploiement d’une force terrestre. « Mais cette dernière semble peu probable », avance Issandr El Amrani, directeur Afrique du Nord à l’International Crisis Group (ICG).
Pour M. Toaldo, une intervention « ressemblerait à celle en Syrie : des frappes, des drones et quelques forces spéciales sur le terrain ».
Signe de l’agitation des États-Unis sur ce dossier, Washington a envoyé ces derniers mois des experts pour évaluer la situation, et nouer le contact avec les forces locales. Il s’agit notamment de s’assurer du soutien des nombreuses milices qui se partagent le contrôle du territoire.
Où intervenir et avec quels pays ?
Selon les experts, les frappes étrangères se concentreraient d’abord sur la ville côtière de Syrte et ses alentours, la principale zone contrôlée par le groupe État islamique.
Elles viseraient aussi Derna, à 1 100 km à l’est de Tripoli, où les combattants de l’EI sont positionnés à la périphérie de la ville dont ils ont été chassés en juillet par des forces locales.
Si les États-Unis semblent décidés à participer à une éventuelle intervention, ils ne semblent pas forcément prêts à prendre la tête des opérations comme ils le font en Irak et en Syrie.
Les responsables américains lorgnent ainsi du côté de l’Italie, l’ancienne puissance coloniale, qui semble être prête, sous conditions, à diriger une opération internationale, avec probablement l’implication de la France et du Royaume-Uni et peut être de pays arabes.
Quelles sont les chances de réussite ?
Comme en Irak et en Syrie, le bien-fondé d’une intervention fait débat. « Nous ne croyons pas pour le moment à une solution militaire pour la crise libyenne. Cela compliquerait davantage la donne », a déclaré dimanche le commissaire Paix et sécurité de l’Union africaine (UA), Smaïl Chergui, en insistant sur la nécessité d’une solution politique.
Établissant un parallèle avec la Syrie, M. Toaldo ne pense pas qu’une intervention « puisse changer réellement la donne, sans la présence de solides partenaires au sol ».
Pour M. El Amrani, elle pourrait avoir « un impact positif » en « limitant l’expansion de l’EI, en épuisant ses ressources et en rendant plus difficiles ses tentatives d’incursion ou de destruction des installations pétrolières à l’est de Syrte ».
Mais l’expert de l’ICG prévient qu’une opération à grande échelle « serait susceptible de creuser les divisions politiques existantes ». « C’est pour cela qu’il est important d’obtenir le soutien des Libyens des différentes parties ».
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