Air France muscle son plan de vol

Engagée dans une bagarre sur les prix et une course aux services avec ses rivales d’Europe et du Moyen-Orient, Air France poursuit son offensive au sud du Sahara. Malgré un programme d’économies drastiques, elle augmente son offre de sièges à partir du 25 mars.

Air France souhaite faire d’Abidjan son hub régional avec la création d’Air Côte d’ivoire. © AFP

Air France souhaite faire d’Abidjan son hub régional avec la création d’Air Côte d’ivoire. © AFP

Julien_Clemencot

Publié le 13 mars 2012 Lecture : 7 minutes.

Abidjan, le 23 février. Dans une poignée d’heures, Alexandre de Juniac, PDG d’Air France depuis novembre dernier, s’envolera pour Paris au terme d’une mission à l’agenda particulièrement chargé. En vingt-quatre heures, il vient d’enchaîner une entrevue avec le président Alassane Ouattara pour parler de la future Air Côte d’Ivoire et une convention commerciale avec les équipes du Bénin, du Burkina Faso, du Togo, du Niger et, bien sûr, de Côte d’Ivoire. Pour celui qui fut le directeur de cabinet de Christine Lagarde au ministère français de l’Économie, mais aussi le directeur général adjoint du groupe d’électronique Thales, ce premier voyage en Afrique marque une volonté de poursuivre le développement de son entreprise sur le continent, l’une des zones du monde les plus dynamiques en matière de transport aérien. D’ici à 2014, la croissance annuelle moyenne du trafic devrait s’établir à 7,7 %, selon l’Association internationale du transport aérien (Iata), beaucoup plus qu’en Europe ou en Amérique du Nord. Surtout, la zone représente 14,7 % du trafic long-courrier du groupe Air France-KLM, soit 3,6 millions de passagers en 2011.

Avant de rejoindre l’aéroport, l’énarque et son état-major profitent de l’hospitalité de l’ambassadeur de France, dans le quartier résidentiel de Cocody. L’occasion de rencontrer d’importants clients de la compagnie. Autour de la table, les directeurs généraux d’Orange Côte d’Ivoire, Bicici (filiale de BNP Paribas), BGI Côte d’Ivoire (Groupe Castel) et le directeur de l’Association pour la promotion des exportations de Côte d’Ivoire. « Dites-moi ce que vous pensez des services d’Air France », lance Alexandre de Juniac. Les dirigeants ne se font pas prier. Tout y passe, du service trop peu individualisé en classe affaires à l’inclinaison des sièges pas toujours idéale, en passant par les tarifs, jugés trop chers et surtout imprévisibles (car gérés au jour le jour).

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Mais le patron d’Air France peut respirer : la cote de sa compagnie reste bonne. Sécurité et ponctualité constituent toujours de solides atouts sur le continent, même si la concurrence est, saison après saison, plus intense. Quant aux critiques, elles confortent le PDG dans sa volonté d’élever encore le niveau de services de la maison. Par exemple en valorisant davantage l’apport du service VIP, composé d’une dizaine de personnes, qui accompagne à Paris les clients africains les plus importants. Autre chantier déjà identifié : la rénovation des salons d’affaires en s’inspirant des modèles concurrents. « Avant de partir à Abidjan, j’ai envoyé une collaboratrice faire le tour des challengeurs en Angleterre et dans le Golfe pour collecter quelques idées », explique Alexandre de Juniac.

Pour améliorer la qualité, Air France peut aussi compter sur des « enquêtes mystère ». Près de 40 000 agents de la compagnie (dont plus de 1 000 en poste en Afrique, au sol ou dans les bureaux), sont ainsi susceptibles d’être inspectés par des enquêteurs incognito chargés d’évaluer la manière dont ils sont accueillis, renseignés et écoutés, dans les appareils et lors des escales. Ces inspections génèrent chaque année 1 330 rapports destinés à distinguer les bonnes et les mauvaises pratiques. Une démarche que de grands rivaux d’Air France comme Lufthansa ou Emirates n’appliquent pas à une si grande échelle. Mais la qualité est l’un des atouts forts de la compagnie française, alors que la concurrence s’intensifie.

Leadership contesté

Quasi hégémonique au début des années 2000 après les disparitions successives de Swissair, Sabena et Air Afrique, le groupe français, qui dessert avec son allié KLM 35 destinations subsahariennes, voit aujourd’hui son leadership remis en question de toutes parts. Lufthansa et sa filiale Brussels Airlines font le forcing depuis l’Europe vers le Togo, le Burkina Faso, le Bénin, souvent avec une politique de prix agressive, tandis qu’Emirates attaque à partir du Moyen-Orient. Sans oublier la montée en puissance des transporteurs continentaux comme Ethiopian Airlines ou South African Airways. « Comparé à Lufthansa et même à British Airways, Air France garde une longueur d’avance en Afrique, aussi bien dans l’aménagement des cabines que du point de vue du service ou de la nourriture servie à bord », estime toutefois Cheikh Tidiane Camara, président du cabinet de conseil Ectar, spécialisé dans l’aéronautique.

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Nous avons été les derniers à partir au moment de la crise et les premiers à revenir.

Autre preuve de l’importance du continent chez Air France, son refus de réduire la voilure malgré un régime drastique pour diminuer de 2 milliards d’euros sa dette dans les trois ans. Néanmoins, les équipes africaines devront, comme les autres contingents du groupe, accepter un gel des embauches et des salaires. Pour son programme « été 2012 » (du 25 mars au 28 octobre), Pierre Descazeaux, directeur général Afrique et Moyen-Orient, annonce une offensive sur la zone subsaharienne, avec une hausse de 4,9 % de l’offre de sièges, obtenue grâce aux baisses consenties au Proche-Orient et au Moyen-Orient (- 17,5 %), ainsi qu’en Amérique du Nord (- 6,5 %).

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drt

Les résultats 2011 du groupe Air France-KLM

24,36 milliards d’euros de chiffres d’affaires

– 809 millions d’euros de résultat net

+ 6,6% de trafic passagers..

Un surplus de trafic notamment à destination des pays pétroliers, que cible déjà Lufthansa. Air France prévoit d’ouvrir une liaison vers Port-Gentil (Gabon), reprend la desserte d’Abuja (Nigeria) précédemment exploitée par KLM et va augmenter le nombre de sièges vers Lomé (Togo), Malabo (Guinée équatoriale) et N’Djamena (Tchad). Sur un grand nombre de ses lignes, la compagnie profite par ailleurs de l’arrêt des vols de la compagnie libyenne Afriqiyah au sud du Sahara après la chute de Kaddafi.

Mais en ce début d’année, la fierté d’Alexandre de Juniac, c’est le quasi-retour à la normale de la ligne Paris-Abidjan, désormais desservie quotidiennement. « Nous avons été les derniers à partir au moment de la crise et les premiers à revenir. Cet été, nous prévoyons d’augmenter notre offre de 40 % par rapport à l’année dernière », se plaît-il à rappeler. À raison, car la ligne affichait un taux de remplissage de 86 % en janvier, l’un des meilleurs de la compagnie dans le monde.

Qu’en sera-t-il après l’arrivée prochaine de Brussels Airlines dans la capitale ivoirienne ? Pour consolider sa position, Air France proposera dès le mois prochain 30 % de ses sièges à ses prix les plus bas, entre 500 et 700 euros l’aller-retour. Un argument qui a ses limites. Comme sur toutes les destinations africaines, le trafic entre Paris et Abidjan est en effet largement alimenté par une clientèle professionnelle voyageant en classes affaires ou, de plus en plus, en Premium, une classe économique améliorée très appréciée. « Même si le prix est un critère important, ce n’est pas forcément le premier pour les hommes d’affaires, qui sont aussi attentifs au service ou à la qualité des correspondances offertes par la compagnie », précise Cheikh Tidiane Camara.

Une stratégie défensive au Maghreb

Contrairement au sud du Sahara, le Maghreb ne fait pas partie des cibles prioritaires d’Air France. La compétition y est trop forte, et les prix tirés vers le bas. Toutefois, pas question de rester passif face à la concurrence des compagnies nationales, des low-cost au Maroc ou des charters en Tunisie et, surtout, en Algérie. Pour résister, le groupe français mise beaucoup sur les vols partant de ses bases régionales, Marseille, Nice et bientôt Toulouse (avec des prix démarrant à 50 euros l’aller simple), même si pour le moment le succès est relatif : le taux de remplissage des vols vers le Maghreb est d’environ 60 %. Il est vrai que les destinations tunisiennes enregistrent toujours un trafic en retrait de 15 % à 20 % par rapport à la situation qui prévalait avant la révolution.

L’argument du service. « Nous ne voulons pas faire du low-cost. Avec nous, les passagers ont un siège numéroté, un repas à bord et il n’y a pas de supplément pour les bagages, précise Antoine Pussiau, directeur général Europe et Afrique du Nord d’Air France-KLM. Notre stratégie est double : à la fois répondre à une demande [à partir de Paris ou de la province, NDLR] qui ne repose pas uniquement sur une clientèle loisir, contrairement au low-cost, et alimenter notre hub de Roissy-Charles-de-Gaulle en développant de bonnes correspondances, par exemple vers l’Amérique latine ou la Chine. »

La possible acquisition d’Alitalia en 2013 viendrait aussi renforcer la présence du groupe Air France-KLM sur l’Afrique du Nord. Le transporteur italien propose en effet des vols depuis Rome et Milan vers le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, la Libye et l’Égypte. J.C.

Si la compagnie française place beaucoup d’espoirs dans la réussite d’Air Côte d’Ivoire (riposte à la création d’Asky Airlines), elle n’en explore pas moins d’autres pistes. Des alliances commerciales sont en cours de négociation avec Air Burkina et Air Mali, en plus de l’accord déjà effectif avec TAAG (Angola). Enfin, pour Air France, la résistance aux assauts des pavillons moyen-orientaux se joue également aux antipodes. « Une des réponses est d’offrir de bonnes correspondances vers la Chine, d’où l’intérêt des partenariats avec China Southern ou China Eastern », explique Étienne Rachou, directeur général délégué International et Pays-Bas du groupe Air France-KLM. Paris espère ainsi avoir plus d’un atout pour rester un passage obligé sur la route de l’Afrique. À moins que le salut ne vienne d’un rapprochement – évoqué ces dernières semaines – avec la compagnie émiratie Etihad.

D’autres pistes exploitées

Abidjan est une destination d’autant plus stratégique que le transporteur français sent qu’il a une carte à jouer en participant à la constitution d’Air Côte d’Ivoire, une compagnie à vocation régionale et domestique. L’objectif pour Air France, qui conservera in fine 20 % des parts, est de créer dans la capitale ivoirienne un hub permettant « d’éclater » le trafic passagers en provenance de France et, en sens inverse, d’apporter de nouveaux clients à la ligne Abidjan-Paris. Alexandre de Juniac a exprimé son souhait de voir, à terme, atterrir des Airbus A380 à Abidjan, un privilège pour le moment réservé à Johannesburg.

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