Économie africaine : l’année 2012 en questions
Alors que la planète va connaître un ralentissement de sa croissance, l’Afrique devrait poursuivre sa progression. Mais les révolutions arabes, la récession européenne et les variations du prix du pétrole peuvent fragiliser cette tendance.
Et s’il ne restait plus que l’Afrique pour confirmer de bonnes perspectives de croissance pour 2012 ? Cette année, la planète tournera au ralenti avec une croissance attendue de 2,8 % (3,2 % en 2011). Même la Chine s’essouffle. Affectée par une baisse de la demande, intérieure et extérieure, et sous la menace de l’explosion d’une bulle immobilière, l’économie chinoise progressera de « seulement » 8,7 % en 2012. C’est la première fois depuis 2001 que le taux de croissance du pays tombera sous la barre des 9 %. Idem pour l’Inde, dont le PIB ne progressera « que » de 7,7 %.
La locomotive régionale se remet sur les rails
À Abidjan, l’heure est à la relance. Le budget de l’État est en hausse de près de 110 milliards de F CFA en 2012 (1 million d’euros). Il est estimé à 3 160 milliards de F CFA, dont plus de 600 milliards seront consacrés à l’investissement. Tout le pays devrait être en chantier. Le réseau routier sera réhabilité. Dans les centres urbains, les infrastructures d’électricité et de santé et les équipements sociaux seront rénovés. La réalisation du troisième pont à Abidjan a déjà démarré, et sa livraison est prévue en 2013. La construction de l’autoroute Abidjan-Ouagadougou sera poursuivie, et les travaux de celle qui reliera la métropole économique à Accra ont déjà commencé. Dans le rail, la réhabilitation du chemin de fer Abidjan-Ouagadougou et son extension jusqu’à Niamey sont au programme. À l’étude : la construction du chemin de fer San Pedro-Man avec une possible extension jusqu’en Guinée. Pour satisfaire les besoins énergétiques croissants, les autorités augmenteront la production électrique d’environ 150 MW par an. Des grands travaux qui doperont la croissance ivoirienne prévue à près de 9 % cette année. Pascal Airault.
Une baisse de régime qui avait déjà tempéré l’ardeur des investisseurs internationaux en 2011. Selon la base de données de l’américain EPFR Global sur les flux des capitaux investis dans le monde, les fonds spécialisés dans le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine ont retiré 15 milliards de dollars (11,6 milliards d’euros) de ces marchés en 2011, et l’indice boursier MSCI « marchés émergents » a chuté de 21 % l’an passé.
L’exception africaine
Dans ce contexte, le continent fait figure d’exception. La croissance du PIB de l’Afrique sub-saharienne approchera les 6 % en 2012 (5,2 % en 2011), selon le Fonds monétaire international (FMI). En Afrique du Nord et au Moyen-Orient, la croissance atteindra 3,6 % (4 % en 2011). Mais rien n’est acquis. Au nord du continent, les économies marquées par les révolutions subiront encore les contrecoups de ces événements – le PIB de la Libye pourrait se contracter de plus de 50 % cette année – ainsi que les effets de la récession européenne. « Les pays africains vont souffrir si on ne prend pas en charge la crise de l’euro », a déclaré Christine Lagarde, directrice du FMI, à Johannesburg le 6 janvier. Plus largement, des interrogations persistent. Les cours des matières premières dépendront de la vitalité des demandes chinoise et indienne. Quant au pétrole, la planète consommera 90,3 millions de barils par jour (+ 1,4 % par rapport à 2011). Mais à quel prix ? Plus, ou moins, que la moyenne de 111 dollars le baril de l’an passé ? À lui seul, le blocus du détroit d’Ormuz – dont l’Iran agite le spectre – augmenterait le prix du baril de 25 à 50 dollars.
L’année 2012 sera déterminante pour l’Afrique. Plus que jamais le continent devra démontrer sa capacité à générer sa propre croissance pour soutenir son économie dans un environnement mondial très troublé. Jean-Michel Meyer
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Agro-industries : vers une révolution verte
« De la nourriture pour tous » : le chanteur sénégalais Youssou Ndour, candidat à l’élection présidentielle depuis le 2 janvier, promet l’autosuffisance alimentaire au pays de la Teranga, et pointe du même coup l’échec du président sortant Abdoulaye Wade. Malgré la Grande Offensive agricole pour la nourriture et l’abondance (Goana), lancée en 2008 au lendemain des émeutes de la faim, le pays dépense toujours 211 milliards de F CFA (322 mil-lionsd’euros) pour importer du riz.
La Côte d’Ivoire, elle, a affiché ses ambitions : « En 2012, nous consacrerons à l’agriculture 15 % du budget au lieu de 1,7 % actuellement », a déclaré le ministre de l’agriculture Mamadou Sangafowa Coulibaly. Sur le plan industriel, le singapourien Olam inaugurera dans le pays deux usines en février : l’une de transformation de noix de cajou à Bouaké, l’autre de lait en poudre à Abidjan. Enfin, l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (Agra) de Kofi Annan, présente dans quinze pays déjà, entend doubler les revenus de 20 millions d’agriculteurs d’ici à 2020 sur le continent. Michael Pauron
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Banques : coup de chaud dans la zone franc
La réforme du secteur bancaire dans la zone franc CFA (Afrique de l’Ouest et Afrique centrale) visant à porter le capital social minimum des établissements de 1 à 10 milliards de F CFA (15 millions d’euros) devrait franchir une autre étape cette année. De nombreuses banques veulent atteindre cet objectif, fixé par la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), au 31 décembre 2012. Conséquence : certains établissements en difficulté et incapables d’atteindre ce seuil devront trouver des repreneurs ou de nouveaux actionnaires. Parmi eux, la Banque régionale de solidarité, présente dans les huit pays de l’Union économique et monétaire ouest-afri-aine (UEMOA), et Bridge Bank, appartenant pour 85 % à l’homme d’affaires sénégalais Yérim Sow et opérant en Côte d’Ivoire et au Sénégal. À l’instar des quatre banques publiques en cours de privatisation au Togo (BTD, UTB, BTCI, BIA), d’autres établissements publics de la sous-région devront se rapprocher d’acteurs privés. Stéphane Ballong
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Consommation : les classes moyennes entrent en scène
Détruit pendant la révolution, l’hypermarché Géant de Tunis va rouvrir. Un mode de consommation qui illustre l’émergence des classes moyennes. Ainsi, Moez Zouari, détenteur en France des franchises Casino, Leader Price et Franprix, prévoit de s’implanter au second semestre 2012 en Tunisie et en Libye. Au Maroc, Label’Vie, après le rachat de Metro, poursuivra le déploiement des hypermarchés Carrefour. Le français Auchan et le groupe Mabrouk avec Monoprix seraient sur les rangs pour de futures ouvertures marocaines.
En grande distribution ou en commerce de détail, l’Afrique subsaharienne est loin d’une telle densité. Leader sur ces secteurs, le groupe Mercure International of Monaco (MIM) ouvrira au premier trimestre un supermarché sous l’enseigne Casino (le distributeur est associé à plusieurs partenaires) à Yaoundé. Et le Mali serait une future cible de MIM. Mais, officiellement, le groupe se consacre à l’essor de ses franchises, notamment Celio, City Sport, Aldo… Casino débarquera aussi à Abidjan au premier semestre 2012. Un projet du groupe ivoirien Prosuma, déjà principal acteur de la grande distribution dans le pays. Julien Clémençot
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Coton : on privatise au Mali
L’élection présidentielle au Mali, prévue le 29 avril, donne un coup d’accélérateur aux négociations sur la cession de 61% de deux filiales régionales (Sikasso et Kita) de la Compagnie malienne pour le développement du textile (CMDT) au chinois Yuemei. Les pourparlers étaient suspendus faute d’accord sur certains aspects techniques. Ils viennent de reprendre avec l’objectif de se conclure avant le scrutin. L’offre financière du groupe – qui n’a pas été révélée – avait déjà été acceptée par le Mali début 2011. Les deux autres filiales de la CMDT (Koutiala et Fana), également concernées par ce processus de privatisation, n’ont pas trouvé de repreneurs. S.B.
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Infrastructures : des chantiers vraiment à la hauteur
Malgré les 56 milliards de dollars (42 millions d’euros) investis en 2010, le continent manque cruellement d’infrastructures de qualité. Coup de fouet pour leur développement, onze projets ont été recensés à l’issue du G20 de Cannes, en France. Parmi eux, le site hydroélectrique d’Inga (RDC), capable de générer 40 GW, soit plus du tiers de l’électricité produite sur le continent. Également pointé : le West African Power Pool, qui permettra d’ici à 2015 de relier les réseaux électriques sur 1400 km entre la Côte d’Ivoire, la Guinée, le Liberia et la Sierra Leone, au bénéfice de 200 millions d’habitants. Au nord du continent, le Plan solaire méditerranéen développera une capacité de 20 GW d’énergie solaire pour 2020, dont le quart sera exporté en Europe. Et dans la région des Grands Lacs, un tronçon de chemin de fer de 500 km entre Isaka et Kigali contribuera en 2018 à désenclaver le Rwanda et le Burundi. Autant de projets qui bénéficieront dès fin mars de la plateforme numérique Sokoni, qui simplifiera la mise en relation des porteurs de projets avec les investisseurs internationaux. Fanny Rey
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Mines : grands projets gelés
Avec la nervosité des marchés financiers, l’année 2012 devrait être pauvre en projets miniers. « Ces dernières semaines, il est devenu difficile de mobiliser des fonds en Bourse, que ce soit dans l’exploration ou dans l’exploitation », indique Gabriel Fal de CGF Bourse, qui participe au montage de plusieurs projets en Afrique de l’Ouest. Si la majorité des cours des minerais reste à des niveaux élevés grâce à la demande chinoise, leur volatilité rend peu propices les investissements lourds, en particulier dans les pays africains riches en minerais mais instables politiquement, telle la RDC.
À l’image d’Areva, qui a repoussé l’exploitation des gisements d’uranium de Trekkopje (Namibie) et d’Imouraren (Niger), les premières exportations de fer – attendues dès 2013 – de Guinée n’interviendront pas avant mi-2015 pour le gisement du Simandou. Au Gabon, l’exploitation du fer de Belinga par le chinois CMEC, prévue en 2011, n’a toujours pas commencé. Quant au Sénégal, la production de fer à Falémé est encore bloquée par le conflit avec ArcelorMittal. Vu la conjoncture, ces dossiers seront difficiles à résoudre d’ici à fin 2012. Christophe Le Bec
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Pétrole : baril élevé, investissements relancés
Forte d’un prix du baril qui ne s’annonce pas en dessous de 100 dollars (77 euros environ), l‘activité pétrolière devrait être riche. Au large de la Côte d’Ivoire, d’abord, la mise au jour d’un champ le 7 décembre dernier par l’américain Vanco, le russe Lukoil et l’ivoirien Petroci donne une idée des attentes dans la région. Également au large d’Abidjan,Total devrait intensifier ses activités de forage. Le golfe de Guinée verra aussi le retour du Gabon dans l’exploration offshore grâce à deux contrats signés entre Gabon Oil et le franco-britannique Perenco. Les investissements devraient atteindre 40 millions de dollars (30,7 millions d’euros). Plus au nord, African Petroleum débutera l’exploration aux abords des côtes sénégalaises. La Mauritanie a signé des accords fin 2011 avec le britannique Tullow Oil et le français Total. Au Maghreb, la Libye devrait retrouver son niveau de production normal (1,6 million de barils par jour). Total, le chinois Cnooc et Tullow espèrent aussi trouver une issue favorable au projet du lac Albert en Ouganda, l’un des plus importants gisements du continent avec ses 2 milliards de barils potentiels. M.P.
Téléphonie : de nouvelles licences 3G
Cameroun, Algérie, Côte d’Ivoire, Mali… plusieurs États africains délivreront cette année de nouvelles licences 3G (haut débit mobile). Bamako devrait ouvrir le bal en confirmant ce mois-ci l’attribution d’un sésame au groupe burkinabè Planor, dont le projet bénéficie de l’expertise technique de Monaco Télécom. Avec Orange et Maroc Télécom, ils seront alors trois opérateurs à en bénéficier. À Abidjan, le choix n’est pas encore annoncé, même si le gouvernement laisse entendre qu’il donnera la priorité aux leaders du marché : Orange, MTN et Moov, au détriment de LAP Green Network et de Comium. L’Algérie devrait également passer au haut débit mobile. Reste le Cameroun, qui doit attribuer trois licences. Bharti a retenu l’attention des officiels, mais le fournisseur d’accès camerounais Ringo, appuyé lui aussi par Monaco Télécom, n’a pas dit son dernier mot. En marge de la compétition, le projet du footballeur Samuel Eto’o (Set’Mobile) fait figure d’ovni. Un opérateur dit virtuel (MVNO) utilisant le réseau d’Orange est évoqué… Réponse le 21 janvier. J.C.
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Bourses : enfin la fusion Libreville-Douala
Le rapprochement entre la Bourse des valeurs mobilières d’Afrique centrale (BVMAC, à Libreville) et le Douala Stock Exchange (DSX), resté lettre morte depuis son annonce début 2010, doit franchir une étape décisive cette année après le sommet des chefs d’État de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac) qui devrait se tenir fin janvier. Réticents jusque-là, les Camerounais sont désormais plutôt favorables au projet de fusion proposé par la Banque africaine de développement (BAD). Ce projet préconise la délocalisation du siège de la BVMAC à Douala (Cameroun) en raison d’une activité économique plus dense. Et l’installation des régulateurs du marché à Libreville (Gabon). « Si les chefs d’État donnent leur aval, comme prévu, il sera techniquement possible d’aller vers une fusion effective avant la fin de 2012 », affirme-t-on à la BVMAC. S.B.
Les élections présidentielles sont-elles un piège pour l’économie ?
Pas moins de sept élections présidentielles sont attendues en 2012. Quatre de ces rendez-vous électoraux, même si des reports ne sont pas à exclure, sont déjà programmés : Sénégal (26 février), Mali (29 avril), Sierra Leone (17 novembre) et Ghana (7 décembre) ; trois d’entre eux restent incertains : Angola (troisième trimestre 2012 ?), Kenya (décembre ?) et Madagascar. S’ils dégénèrent, ces événements risquent de malmener les économies, comme récemment en Côte d’Ivoire ou en RDC.
À la veille de l’échéance présidentielle de février, une étincelle peut embraser Dakar, tant l’insatisfaction de la population est grande (pouvoir d’achat, chômage élevé, délestages…). Ce ne sont pas les propos rassurants du Fonds monétaire international (FMI), le 19 décembre 2011, qui calmeront les Sénégalais : « En 2012, le rétablissement d’un approvisionnement suffisant en électricité, associé à d’importantes dépenses d’infrastructures énergétiques et routières, devrait doper la croissance, qui atteindrait 4,4 %.
Les questions économiques tiendront aussi une grande place dans l’élection malienne, surtout avec un jeu de l’alternance politique clairement établi. Selon le FMI, le pays connaîtra une croissance de 5,6 % en 2012 et une inflation inférieure à 2,5 %. Deux défis majeurs sont à l’ordre du jour : réussir enfin la restructuration de la filière coton et relancer le secteur minier en déclin (7,7 % du PIB en 2007 ; 5,4 % en 2010) avec l’exploitation de deux nouveaux gisements d’or (Syama et Gounkoto). À la différence du Mali, le retour aux urnes risque d’être plus tendu à Madagascar. Or une alternance démocratique réussie serait une excellente nouvelle pour l’économie du pays, exsangue depuis le coup d’État de mars 2009.
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