Tunisie : servir la révolution et non se servir d’elle !

Les récentes émeutes en Tunisie ont d’abord inquiété les Tunisiens, mais aussi nos voisins, surtout ceux du Nord, qui n’ont pourtant pas cessé de nous féliciter pour notre transition démocratique, jusqu’à nous gratifier d’un prix Nobel de la paix.

Des Tunisiens célébrant la révolution du 14 janvier. © Riadh Dridi/AP/SIPA

Des Tunisiens célébrant la révolution du 14 janvier. © Riadh Dridi/AP/SIPA

sahbibasly
  • Mohamed Sahbi Basly

    Ancien ambassadeur de Tunisie en Chine, président de la fondation WPDO pour la Méditerranée

Publié le 16 février 2016 Lecture : 3 minutes.

Censés aboutir à la mise en place d’un gouvernement stable disposant de cinq ans pour remettre la Tunisie en marche, les derniers scrutins législatif et présidentiel, d’octobre et de décembre 2014, n’ont pas eu les effets escomptés. Le désœuvrement et la pauvreté sont encore le lot quotidien du peuple. La classe moyenne, de son côté, qui a toujours été l’alliée du pouvoir en place, a vu son pouvoir d’achat s’éroder progressivement, de sorte qu’elle a aussi fini par prendre sa part dans le malaise social ambiant. De fait, depuis cinq ans, aucun appel d’offres international n’a été lancé pour des projets porteurs d’envergure nationale. Ceux en cours d’exécution depuis deux ou trois ans ont été décidés… sous Ben Ali.

Pourtant, de l’argent en quantité appréciable est entré en Tunisie depuis 2011, ajouté au matelas financier légué par l’ancien régime, mais ces fonds ont servi principalement à payer de nouveaux fonctionnaires, souvent inutiles, à indemniser les « prisonniers politiques » et les martyrs de la révolution, ainsi que leurs ayants droit, sans le moindre contrôle, à augmenter les salaires dans la fonction publique sans une meilleure productivité en retour. Plus grave, l’absence d’autorité est flagrante à tous les échelons de la hiérarchie administrative.

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Les raisons de cet échec sont en nous, classe politique, organisations professionnelles, médias, société civile, tous autant que nous sommes. Non, nous n’avons pas été à la hauteur de cet événement libérateur, car, au lieu d’aller à la rencontre des jeunes pour construire avec eux leur avenir et celui du pays, on s’est échinés à régler des comptes, à maquiller l’histoire, à renier notre identité. Nous avons assisté, au nom de la démocratie, à l’éclosion d’idéologies mortes et enterrées dans les pays mêmes qui les avaient vues naître – panarabisme, marxisme, islamisme – et qui continuent à brouiller le paysage politique du pays.

Les solutions ne manquent pas pour redresser le pays, tout comme les compétences

Les élections de décembre 2014 devaient mettre fin à cette cacophonie politique et sociale. Il n’en fut rien. Un an plus tard, le bilan est désespérant :

– le centre décisionnel est étrangement hésitant à tous les niveaux, comme les gouvernements précédents, excusables ceux-là car non ou mal élus ;

– la concertation et le dialogue entre les partenaires sociaux et les autorités sont inexistants. L’adoption d’une charte de bonne conduite et de bonne gouvernance n’en est que plus urgente ;

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– l’absence de vision à moyen et à long terme quant aux priorités à définir est totale ;

– le gouvernement est dépourvu de toute stratégie de communication. Or le peuple a besoin qu’on lui parle, qu’on l’éduque, qu’on lui dise la vérité, lui qui a toujours considéré l’autorité d’une manière générale comme sa boussole ;

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– enfin, sur le plan politique, la recherche du consensus à tout prix, conçu comme une étape nécessaire à la consolidation du processus démocratique et à la relance économique, a montré ses limites, et ce pour une raison toute simple : ce consensus n’est pas global. Il n’a concerné que trois ou quatre partis qui ont pu glaner quelques sièges au Parlement à l’issue d’élections où l’argent a été plus que déterminant. Si ce consensus avait été plus large, s’il avait rassemblé de vrais décideurs d’une compétence reconnue, il aurait été capable de concrétiser dans les faits la réconciliation nationale. Ces patriotes existent. Il faut les chercher chez les anciens serviteurs de la République et chez les nouveaux venus qui ont fait leurs preuves.

Les solutions ne manquent pas pour redresser le pays, tout comme les compétences. Un effort louable a été accompli sur le plan sécuritaire, il doit être souligné. La relance économique est possible si des mesures drastiques, pilotées ou supervisées par l’État, sont prises pour créer des emplois et redonner de l’espoir. Plusieurs démocraties ont su faire prévaloir l’intérêt du pays sur celui des partis. Nous citerons comme exemple l’Espagne, dont la transition démocratique a pourtant été bien plus sanglante et dont le premier gouvernement révolutionnaire était composé en grande partie d’anciens hauts fonctionnaires qui avaient servi sous Franco. Ce fut le cas de Manuel Fraga, qui créa par la suite le Parti populaire, aujourd’hui au pouvoir. En Tunisie, force est de constater qu’à ce jour on n’a pas su servir la révolution, mais on continue allègrement à se servir d’elle.

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