Livres : le roman algérien, miroir de la France

Vous êtes un écrivain algérien et vous souhaitez être lu à Paris ? Un conseil : intitulez votre prochain roman « Les Souffrances du jeune Berbère ».

L’écrivain algérien Boualem Sansal. © Thomas Lohnes/AP/SIPA

L’écrivain algérien Boualem Sansal. © Thomas Lohnes/AP/SIPA

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  • Fabien Mollon

    Fabien Mollon est premier secrétaire de rédaction au sein de l’hebdomadaire. Il signe également quelques articles sur l’actualité littéraire du continent.

Publié le 10 février 2016 Lecture : 2 minutes.

L’histoire ? Un Kabyle dont la foi musulmane serait mise à mal par la redécouverte de ses racines préislamiques et qui, ne sachant concilier ces deux identités, envisagerait le tabou ultime : le suicide. À n’en pas douter, les lecteurs européens vous sauront gré de cette référence à Goethe et de cette prise de distance par rapport à l’islam.

C’est en tout cas ce que laisse penser la façon dont est reçue, en France, la littérature algérienne. Celle-ci connaît un engouement dont on ne peut que se réjouir. Ainsi, en 2015, les deux seuls romans africains à se hisser parmi les 50 meilleures ventes dans l’Hexagone sont l’œuvre d’Algériens : 2084 (15e), de Boualem Sansal, et Meursault, contre-enquête (47e), de Kamel Daoud.

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Entre ces deux livres parus chez des éditeurs français et sélectionnés pour de nombreux prix littéraires (le premier a obtenu le Grand Prix de l’Académie française, le second, le Prix des cinq continents de la Francophonie), deux points communs : 1) leurs auteurs sont connus pour leur regard critique sur l’islam ; 2) ils font écho à un classique occidental, 1984, de George Orwell, pour l’un, et L’Étranger, d’Albert Camus, pour l’autre.

Ce qui pourrait passer pour une ouverture du lectorat et des milieux littéraires sur le monde ne serait-il finalement que le reflet des crispations identitaires à l’œuvre chez l’ancien colon ?

Ces convergences sont troublantes car elles entrent en résonance avec deux tendances qui traversent la société française : une interprétation dévoyée de la laïcité qui frôle parfois l’islamophobie et un repli sur les « valeurs sûres » du si mal nommé « Vieux Continent » – deux maux incarnés, sur le plan politique, par la montée du Front national. Si l’on analyse le succès de Sansal et celui de Daoud à l’aune de ce contexte, la littérature algérienne tend à la France un peu reluisant miroir : ce qui pourrait passer pour une ouverture du lectorat et des milieux littéraires sur le monde ne serait-il finalement que le reflet des crispations identitaires à l’œuvre chez l’ancien colon ?

Plus trivialement, on est en droit de se demander si la reconnaissance éditoriale, institutionnelle et commerciale de 2084 et de Meursault, contre-enquête ne participe pas d’une logique normative : le « bon Arabe », c’est celui qui se tient éloigné de la religion et qui a « assimilé » la culture européenne. Une analyse d’autant plus déprimante – on en convient – que ces deux livres méritent, par leurs seules qualités littéraires, le succès qu’ils ont rencontré. Mais sont-ils les seuls ?

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