Démocratie et autres leurres
Ceux de ma génération s’en souviennent bien. L’Organisation de l’unité africaine (OUA), la mère de l’actuelle Union africaine, avait un joli surnom : « syndicat de chefs d’État ».
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Tshitenge Lubabu M.K.
Ancien journaliste à Jeune Afrique, spécialiste de la République démocratique du Congo, de l’Afrique centrale et de l’Histoire africaine, Tshitenge Lubabu écrit régulièrement des Post-scriptum depuis son pays natal.
Publié le 14 février 2016 Lecture : 2 minutes.
Un qualificatif bien mérité. Car à cette époque-là – celle des guides providentiels et éternels, celle des partis uniques et des putschs à répétition -, ces messieurs se soutenaient mutuellement pour conserver le pouvoir confisqué. Vint alors le temps de la mue, avec les conférences nationales et la volonté d’enterrer l’ordre ancien. Des présidents furent élus de la façon la plus démocratique, sans la moindre contestation. Dans la plupart des cas, il s’agissait d’hommes nouveaux qui terrassaient des dinosaures autoproclamés. La démocratie était sortie de la fange du pouvoir arbitraire. Nous nous étions mis à rêver, convaincus que l’arbitraire et le despotisme étaient définitivement enterrés, même si, dans certains pays, la guerre avait pris le dessus sur la frénésie démocratique.
Un quart de siècle plus tard, la démocratie s’est-elle, tel un baobab, enracinée dans nos têtes de citoyens et dans celles de ceux qui nous dirigent ? J’en doute. À quelques exceptions près, le pouvoir est toujours au bout du canon et de la matraque. Comme dans les contes pour enfants, les ogres, jamais repus, ont trouvé un nouveau leurre : le changement, à leur seul profit, des Constitutions jusque-là consensuelles. Professeurs autoproclamés de science politique et de démocratie, ils veulent nous convaincre que leurs peuples sont tellement immatures que toute idée d’alternance est une hérésie.
L’actualité démontre que, dans plusieurs pays, la démocratie est poignardée. À la place de républiques, des chefferies s’installent
Encouragés par une armée de thuriféraires cyniques et boulimiques, ils nous font reculer d’une vingtaine d’années. Et nous voilà revenus, sous couvert de « démocratie », à l’ère des guides providentiels qui se taillent des Constitutions sur mesure. Et n’hésitent pas à invoquer la « volonté populaire » pour justifier la forfaiture. D’où cette question qui me traverse l’esprit : le pouvoir rend-il fou ?
Vous suivez, comme moi, la tragédie qui se joue au Burundi. J’avais du respect et de l’estime pour Pierre Nkurunziza. Au cours de ma carrière, j’ai eu à le rencontrer plus d’une fois. Je me souviens d’un homme apparemment humble qui, m’ayant vu un jour dans la foule à Bujumbura, n’avait pas hésité à s’approcher de moi pour me serrer la main. La dernière fois que je l’ai interviewé, c’était à Paris, le 14 mars 2013. Je lui avais demandé s’il serait candidat à la présidentielle de 2015. Réponse : « Si mon parti estime que je suis le candidat qui lui convient en 2015, conformément à la Constitution et au code électoral, je ne me déroberai pas à cette responsabilité. »
À ma question de savoir si, dans ce cas, ce ne serait pas une violation de la Constitution qui limite à deux le nombre de mandats présidentiels, Nkurunziza répliqua : « Seuls comptent les avis de la Cour constitutionnelle et de la Commission électorale nationale indépendante. » La suite est connue : le Burundi brûle. À l’Union africaine, c’est la parlotte. L’actualité démontre que, dans plusieurs pays, la démocratie est poignardée. À la place de républiques, des chefferies s’installent. Que dire ? Encore bravo, Messieurs et Mesdames les bonimenteurs !
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