Algérie : comment Bouteflika a imposé sa troisième révision constitutionnelle
Le Parlement algérien a adopté à main levée dimanche la nouvelle Constitution algérienne. Un texte que Abdelaziz Bouteflika aura amendé trois fois depuis qu’il est président, au gré de ses ambitions politiques.
L’affaire a été pliée en quatre heures et demie. Réuni en congrès extraordinaire au palais des Nations, sur le littoral algérois, le Parlement algérien (Assemblée et Sénat) a adopté, dimanche 7 février, à une très large majorité, la nouvelle Constitution. Non soumis à débat, le texte a été approuvé à main levée par 499 parlementaires alors que deux ont voté contre et 16 autres s’en sont abstenus. Les députés du Front des forces socialistes (FFS), parti d’opposition du défunt Hocine Ait Ahmed, a décidé de boycotter la séance, ayant déjà rejeté cette nouvelle Constitution dans le « fonds et la forme. »
Prenant la parole après le vote, le président du Sénat, Abdelkader Bensalah, a lu un message du président Bouteflika dans lequel ce dernier remerciait les parlementaires d’avoir plébiscité son projet. Préparé à l’avance, ce message présidentiel prouve, si besoin est, que l’issue de ce vote par voie parlementaire, plutôt que par référendum populaire, ne faisait pas l’objet d’un quelconque suspens.
Limitation du mandat présidentiel
Cette nouvelle loi fondamentale proposée par le président algérien, 79 ans en mars prochain, consacre le retour au principe d’un mandat présidentiel d’une durée de cinq ans, renouvelable une seule fois. Le texte prévoit également que le Premier ministre soit issu de la majorité parlementaire, ce qui n’a pas toujours été le cas depuis l’accession au pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika en 1999. L’actuel Premier ministre, Abdelmalek Sellal, en poste depuis septembre 2013, technocrate puis diplomate, n’a pas d’appartenance politique connue bien qu’il ait été récemment admis comme membre du Front de libération nationale (FLN). Par ailleurs, ce document plébiscité par le Parlement consacre le tamazight, la langue berbère, comme langue officielle.
C’est la troisième fois que le président algérien, réélu en avril 2014 malgré son AVC d’avril 2013, amende la Constitution de son pays. En mai 2002, une année après les émeutes sanglantes qui ont fait plus de 120 morts en Kabylie, il avait décidé de faire du tamazight une langue nationale. A l’époque, le Parlement s’était réuni en session extraordinaire pour adopter cet amendement, accédant ainsi partiellement à une vieille revendication du mouvement berbériste.
Une Constitution sur mesure
La seconde révision est intervenue en novembre 2012 lorsque le Parlement a été convoqué pour amender la Constitution de 1996 qui fût promulguée durant la présidence de Liamine Zeroual. Souhaitant se maintenir au pouvoir, Bouteflika avait ainsi fait amender l’article 88 qui limitait les mandats présidentiels à deux exercices. Dans la foulée de cette révision, le poste de Chef de gouvernement a été supprimé pour être remplacé par celui de Premier ministre qui devenait du coup simple « coordonateur » du programme présidentiel. Cette révision constitutionnelle de 2008, très contestée par l’opposition et par la société civile, avait permis à Abdelaziz Bouteflika de briguer un troisième mandat en avril 2009.
Depuis son retour au pouvoir en 1999 après une longue « traversée du désert », le chef de l’Etat algérien n’a eu de cesse de critiquer la Constitution de son prédécesseur. Adepte d’un pouvoir hyper présidentialisé, il estimait alors que celle-ci ne lui convenait pas. A ses proches collaborateurs, Bouteflika répétait souvent : « Qu’est-ce que c’est que cette Constitution où il y a deux têtes à l’exécutif ? Il ne peut pas y avoir deux programmes, celui du président et celui de son chef de gouvernement, que ce dernier soumet devant l’Assemblée. Cette Constitution ne me convient pas, mais je fais avec. »
Quelques concessions après le Printemps arabe
Les révoltes populaires de 2011 qui ont balayé les pouvoirs autocratiques en Tunisie et en Egypte on amené le président algérien à injecter de nouvelles réformes politiques. En avril 2011, dans un discours à la nation, il avait annoncé son intention de proposer à ses compatriotes une nouvelle Constitution. Ce n’était pas de gaieté de cœur, nous révèle encore son entourage. « Le président n’était pas chaud pour réformer la Constitution, donner plus de poids à l’opposition et consacrer l’alternance au pouvoir, nous confiait un haut responsable. Nous avions dû batailler pour le convaincre d’aller vers une plus grande ouverture démocratique. »
Deux rounds de consultations avec la classe politique ont été ainsi menés en juin 2011 par Abdelkader Bensalah, puis en juin 2014 par Ahmed Ouyahia, directeur de cabinet à la présidence, pour recueillir les avis de la classe politique et de ceux des personnalités de la société civile. Et c’est donc ce projet qui date de 5 ans, aujourd’hui encore, vivement contesté par l’opposition, qui a été adopté ce dimanche 7 février par le Parlement.
Cette troisième Constitution, sans doute l’ultime grand projet politique de la carrière de Bouteflika, intervient dans un contexte socio-économique pour le moins délicat. Durement touchée par la chute des cours du pétrole, principale source en devises du pays avec le gaz, l’Algérie voit ses revenus financiers fondre comme neige au soleil. La situation est à ce point inquiétante que les officiels n’hésitent pas à évoquer ouvertement le concept de « crise économique ». Conséquences : le gouvernement a adopté une politique d’austérité et de rigueur budgétaire qui se traduit par le gel de certains grands projets, la réduction de la facture des importations qui avaient culminé à 58 milliards de dollars en 2014 ainsi que par l’augmentation de certains produits de base, tels que les carburants, l’eau et l’électricité. A terme, les autorités envisagent de tailler dans les transferts sociaux qui coûteraient à l’Etat près de 19 milliards de dollars par an. Pis, l’idée de recourir à des emprunts extérieurs n’est pas écartée.
Quelle sera la prochaine étape de Bouteflika ?
La crise économique et ses éventuelles conséquences sur la paix sociale ne constituent pas les seuls motifs d’inquiétude des Algériens. La santé fragile d’Abdelaziz Bouteflika ainsi que le silence qu’il entretient sur son avenir politique ont ouvert la voie à une guerre feutrée au sommet de l’Etat autour de sa succession.
Maintenant que son projet d’une nouvelle Constitution a été concrétisé, des questions se posent. Bouteflika va-t-il nommer un nouveau gouvernement ? Va-t-il remanier l’équipe de Sellal ou continuer de lui manifester sa confiance ? Va-t-il annoncer des élections législatives anticipées alors que le renouvellement de l’Assemblée nationale est prévu pour mai 2017 ? Aujourd’hui plus que jamais, Bouteflika reste seul maître de son agenda.
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