Togo – Pascal Bodjona : « La procédure qui m’a conduit en prison est de toute évidence viciée »
Libéré samedi après un an et demi de détention continue, Pascal Bodjona, l’ancien ministre d’État, porte–parole du gouvernement et directeur de cabinet du président togolais, a accordé en exclusivité sa toute première interview à Jeune Afrique.
Quelques 525 jours de détention n’ont pas eu raison de l’imposante carrure de Pascal Bodjona, qui a retrouvé samedi 6 février au soir sa liberté et sa vaste demeure de Lomé.
L’un des plus célèbres prisonniers du pays a joué pendant longtemps les premiers rôles au sein de l’appareil d’État togolais. Premier directeur de cabinet du président Faure Gnassingbé, il a été ministre d’État, occupant le portefeuille de l’Administration territoriale (chargé de l’organisation des élections, notamment) jusqu’à son éviction surprise du gouvernement, en août 2012.
Ses ennuis judiciaires ont commencé quelques jours après son limogeage. Le 1er septembre 2012, il est placé sous mandat de dépôt dans une affaire de complicité d’escroquerie, où se mêlent les noms de Loïk Le Floch-Prigent, ancien PDG d’Elf, et Bertin Agba, un homme d’affaires togolais visé alors par la plainte d’un riche Émirati. Après une remise en liberté provisoire le 9 avril 2013, il retourne à la case prison en août 2014 pour n’en ressortir que ce 6 février – sans que la raison de sa libération n’ait été rendue publique.
Dimanche après-midi, la vaste demeure de l’ancien ministre était calme. Mais les traces des réjouissances de la veille étaient encore visibles. Une centaine de chaises disposées dans la cour et des affiches souhaitant la bienvenue au maître des lieux trônent encore fièrement.
Pascal Bodjona n’a pas tellement changé. Mais l’épisode de la prison a inévitablement laissé des traces. La douleur d’une « injustice » dont il estime avoir été victime le fait bondir de temps à autre lorsqu’il évoque le fond de l’affaire. Il s’emporte lorsqu’on lui demande s’il a touché de l’argent de l’Émirati auteur de la plainte contre lui : « Qu’on m’apporte la moindre preuve que j’ai reçu de l’argent de ce bandit ! »
Mais, en animal politique qu’il demeure, il sait aussi calmer le jeu et tend volontiers la main de la « miséricorde » aux personnes à l’origine de ses ennuis judiciaires.
Jeune Afrique : Comment vous portez-vous après 18 mois d’incarcération ?
Pascal Bodjona : Je me sens heureux de retrouver ma famille, ma brave et courageuse épouse, mes enfants ainsi que mes proches. C’est le moment de donner de ma chaleur aux personnes qui en ont été privées par cette incarcération que j’estime injuste. C’est une détention contraire à la volonté du législateur togolais. La procédure qui m’a conduit en prison est de toute évidence viciée. Il est absurde que sans circonstances nouvelles, un juge d’instruction fasse passer quelqu’un du statut de témoin sous serment à celui d’inculpé avec mandat de dépôt. Cet acte du juge est attentatoire à ma liberté et ne respecte aucunement le code de procédure pénale de notre pays.
Votre séjour en prison dans le cadre de cette affaire est-il définitivement terminé ?
Ma préoccupation n’est pas à ce niveau. Je n’aurai pas dû passer une seule seconde en détention. Mes accusateurs savent que je n’ai rien à avoir avec cette affaire. Il n’y a rien à dire. Je mets n’importe qui au défi d’apporter le moindre élément qui prouverait ma culpabilité et je demande même que le secret de l’instruction puisse être levé pour que la vérité soit connue de tous. Pourquoi ai-je été détenu ? On ne détient pas une personne pour chercher des indices. Pour mettre quelqu’un en examen, il faut disposer de preuves de culpabilité à son encontre. Ce qui n’est pas mon cas.
Vous avez été incarcéré à la prison de Tsévié (35 km au nord de Lomé). Quelles ont été vos conditions de détention ?
Une prison est une prison. Il ne s’agit pas d’un hôtel cinq étoiles. Je peux juste dire que ma condition était nettement meilleure que celle de mes concitoyens en détention. Il ne faut pas accuser pour le plaisir d’accuser. Je n’ai pas été dans des conditions inhumaines mais j’ai été privé injustement de ma liberté. Cela m’a causé un préjudice psychologique inestimable.
Vous restez convaincu que cette affaire n’était pas purement judiciaire, mais motivée par des considérations politiques ?
À ce jour je n’ai aucun élément crédible qui puisse me convaincre que cette procédure que je qualifie d’atypique puisse répondre à une quelconque motivation judiciaire. Et je ne suis pas seul à le penser puisque la Cour de justice de la Cedeao a reconnu que l’État togolais n’a versé aucun élément de nature à étayer la culpabilité de Pascal Bodjona et à justifier sa détention. Cela résume tout. Mais je laisse la qualification de mes ennuis à ceux qui m’ont accusé à tort.
Comment envisagez-vous votre avenir politique désormais ?
Je vais prendre le temps de me reposer et de me ressourcer. Mais mon avenir politique est certain. Je n’ai pas encore vu de nuages affirmer le contraire. Il s’agit d’un devoir citoyen de s’intéresser à la gestion et à la vie de son pays. Je n’ai pas subi tout ce préjudice pour disparaître ensuite tranquillement de la scène politique.
La cour de justice de la Cedeao se prononcera à nouveau sur votre cas le 10 février. Pensez-vous que la procédure devrait se poursuivre alors même que vous avez recouvré votre liberté ?
Je ne peux pas être fier de voir mon pays traîné devant les juridictions internationales. Mais mes conseils et moi-même nous sommes retrouvés dans la triste obligation de recourir à cette Cour du fait des multiples incongruités juridiques et des diverses violations de mes droits. Comme je vous le disais, le 24 avril 2015, la Cour a rendu un arrêt en ma faveur. Neuf mois plus tard, non seulement cette décision n’a pas été exécutée, mais la justice togolaise a continué à violer mes droits. Ma libération à elle seule ne suffit pas pour arrêter cette procédure, surtout qu’à l’heure où je vous parle aucune des parties n’a fait de démarche en ce sens. La procédure auprès de la Cour de justice de la Cedeao ne peut donc que se poursuivre car il s’agit bien d’œuvrer pour le droit et l’honneur de la justice de mon pays.
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