Abus sexuels en Centrafrique : cinq questions pour comprendre le scandale
Les Nations unies enquêtent sur de nouvelles accusations d’abus sexuels en Centrafrique, a-t-on appris mardi. Le scandale, qui a éclaté au grand jour en avril 2015, ne concernait au départ que des militaires français de la force Sangaris. Depuis, des allégations visent les Casques bleus de la Minusca, des soldats de l’Eufor ou encore de la Misca.
1. Quand le scandale a-t-il éclaté ?
Les premières allégations d’abus sexuels commis sur des enfants par des militaires français en Centrafrique remontent au printemps 2014. Elles sont arrivées aux oreilles des autorités onusiennes par une ONG locale du camps de M’Poko où vivent environ 120 000 réfugiés, près de l’aéroport de Bangui. Il faut attendre les révélations du quotidien britannique The Guardian un an plus tard pour que le scandale éclate au grand jour.
Sur les six témoignages recueillis par des enquêteurs du Haut commissariat des droits de l’homme, envoyés sur place mi-mai 2014, quatre seraient des victimes directes âgés de 8 à 11 ans. Les deux autres, âgés de 11 et 13 ans, auraient assisté au viol de leurs camarades par des soldats français et africains. Selon ces témoignages, les faits se seraient produits entre décembre 2013 et mai 2014, parfois de manière répétée, voire dans l’enceinte même de la base française. C’est le premier volet de l’affaire.
Le deuxième volet de l’affaire
Le deuxième, s’ouvre au mois de juin 2015. Cette fois, un Casque bleu de la Minusca, est mis en cause dans le viol présumé d’une enfant. La force des Nations unies en Centrafrique (la Minusca) a remplacé la force panafricaine déployée dans le pays (la Misca) au mois de septembre 2014.
Depuis les premières révélations, il ne se passe pas un mois sans que de nouvelles accusations ne soient portées à la connaissance de la Minusca. Selon l’ONU, 22 accusations d’abus sexuels pèsent sur Minusca.
Devant l’ampleur du scandale, le chef de la mission de l’ONU en Centrafrique, le général sénégalais, Babacar Gaye, présente sa démission au cours de l’été 2015, sous la pression du Secrétaire général des Nations unies. Loin d’être circonscrits au camp de M’Poko, des cas d’abus sexuels sont identifiés dans les rues Bangui, ou encore à Bambari, au nord-est de la capitale centrafricaine, et le flot d’accusation ne s’amenuise pas.
2. Que sait-on des accusés ?
Les soldats français de Sangaris
Au total, 14 militaires français ont été mis en cause pour viols présumés d’enfants en Centrafrique. Au printemps 2015, très peu d’entre eux avaient été identifiés, aucun n’avait encore été interrogé. Le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, avait convenu combien l’affaire était « complexe ».
« Depuis les faits allégués, la plupart des soldats ont quitté ce théâtre d’opération mais cela ne doit pas empêcher la justice de faire son travail avec célérité », avait-il expliqué, le 3 mai 2015, demandant, si d’aventure un soldat français s’était rendu coupable de tels actes, « qu’il se dénonce immédiatement ».
Ce n’est qu’au mois de décembre 2015 que, pour la première fois dans cette enquête, des militaires français sont été entendus par le parquet. Les quatre hommes interrogés sont membres d’un régiment d’infanterie basé à Colmar, dans l’est de la France. Il n’a pas été précisé dans l’immédiat s’ils avaient été auditionnés dans le cadre d’une garde à vue ou en tant que témoins.
Les Casques bleus de la Minusca
Pour l’heure, sept pays, ayant déployé des troupes ou des forces de police en Centrafrique, dans le cadre de la Minusca, seraient concernés. Il s’agit du Cameroun, de l’Égypte, du Gabon, du Maroc, du Rwanda, la République du Congo, la RD Congo.
Des soldats de la Misca et de l’Eufor
Trois soldats tchadiens et deux soldats équato-guinéens ont été accusés de viols sur mineurs dans le cadre des premières allégations révélées au printemps 2014. Ils appartiennent à la force panafricaine en Centrafrique (Misca) remplacée, le 15 septembre 2014 par la Minusca.
Plus récemment, le 29 janvier dernier, de nouvelles accusations de viols mettent en cause un contingent de la force de l’Union européenne (Eufor) en Centrafrique.
3. Combien d’enquêtes judiciaires sont en cours ?
En France, depuis juillet 2014
Une enquête préliminaire a été ouverte dès le mois de juillet 2014 par la section des affaires militaires du parquet de Paris, pour viols sur mineurs de moins de 15 ans.
Dès le mois suivant, des membres de la gendarmerie prévôtale, chargée des investigations, ont effectué, un déplacement en Centrafrique pour y commencer leur enquête. Il faut toutefois attendre le 7 mai dernier pour qu’une information judiciaire proprement dite soit ouverte. Les deux juges d’instructions, chargés de l’enquête, se sont rendus sur place dès le mois de juillet.
Depuis, le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a à nouveau saisi la justice française à deux reprises : en septembre dernier, après des accusations d’une jeune fille centrafricaine pour des faits remontant à l’été 2014 ; puis, en janvier, suite aux témoignages d’une fille et d’un garçon, âgés de 7 et 9 ans.
En Centrafrique, depuis mai 2015
L’affaire sitôt révélée, la Centrafrique a engagé des poursuites « contre des militaires soupçonnés de viol d’enfants à Bangui ». Le procureur de la République à Bangui, Ghislain Grésenguet, a été instruit pour l’ouverture d’une enquête.
En RD Congo, depuis août 2015
Le 20 août dernier, le ministre congolais de la justice a promis d’engager des poursuites à l’encontre de trois Casques bleus congolais de la Minusca qui seraient impliqués dans trois nouveaux cas de viols en Centrafrique. Mais, l’armée congolaise refuse de croire à la culpabilité de ses éléments présents sur le territoire centrafricain. Dès la fin du mois, une délégation de la RD Congo s’est rendue en Centrafrique pour enquêter sur ces accusations.
4. Y a-t-il eu des dysfonctionnements au sein de l’ONU ?
Dès les premières révélations, l’ONU a nié avoir voulu étouffer l’affaire.
Pourtant, au début du mois de juin 2015, le Secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, décide la mise en place d’une enquête externe afin d’y voir plus clair sur la façon dont l’ONU a géré toute cette affaire.
Leur réponse est univoque. Dans un rapport de plus d’une centaine de pages, publié le 17 décembre 2015, ils dénoncent l’ »échec flagrant »de l’organisation. « Les informations sur ces accusations sont passées de bureau en bureau (…) personne ne voulant prendre la responsabilité de traiter ces graves violations des droits de l’homme », affirme le texte, très critique envers l’ancien chef de la Minusca, Babacar Gaye, tout comme des responsables de l’Unicef à Bangui et du Haut commissariat pour les droits de l’homme de l’ONU « pour ne pas avoir transmis les accusations à leurs supérieurs hiérarchiques, ou ne pas avoir pris assez vite des mesures pour protéger ou aider les enfants ».
5. Quelles sanctions ont été prises depuis les premières révélations ?
Le 4 février dernier, la Minusca a décidé le rapatriement de 120 soldats de la République du Congo, après l’identification de sept nouvelles victimes présumées d’abus sexuels par des Casques bleus, dont cinq concernent des mineurs. « Ce rapatriement sera effectif après la conclusion de l’enquête », informe la Minusca par communiqué, tout en précisant que « dans l’attente, les soldats seront confinés dans leurs casernes ».
Un bataillon de soldats venus de RDC sera également rapatrié à partir du 25 février.
C’est l’une des plus sévères décisions qu’ait prise la mission onusienne, empêtrée dans le scandale d’abus sexuels en Centrafrique. Le 26 août dernier, le Gabonais Parfait Onanga-Anyanga, avait été placé à la tête de la Minusma, après le limogeage de son prédécesseur, le Sénégalais Bababar Gaye, au lendemain d’une nouvelle accusation de viol contre un Casque bleu.
Dès les premières conclusions de l’enquête réalisée au printemps 2014, « plusieurs haut gradés de la mission de la Misca ont été sanctionnés par leur État respectif et rapatriés de manière anticipée », avait noté le Haut commissaire aux droits de l’homme des Nations unies, Zeid Ra’ad Al Hussein.
L’ONU s’en remet aux pays contributeurs pour sanctionner leurs ressortissants coupables
Pour les Nations unies, il revient aux pays contributeurs « d’enquêter sur ces faits présumés contre leurs personnels en uniforme » et de « les traduire en justice » si les faits sont avérés ». Pour l’heure, seuls trois pays ont engagé des poursuites contre leurs ressortissants coupables : la France, la Centrafrique et la RD Congo.
Afin d’inciter les pays concernés, « les soldes de Casques bleus venant de 9 pays participant à la Minusca ont cessé d’être payées » a informé le chef de des opérations de maintien de la paix de l’ONU, Hervé Ladsous, au mois de septembre, à son retour de Centrafrique, sans donner plus de précision.
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