Printemps arabe : les banques font leurs comptes

La menace de créances douteuses plane sur les groupes d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. Malgré tout, l’Union des banques arabes reste optimiste et minimise l’impact des soulèvements sur le secteur.

Du fait de son exposition au secteur touristique, la situation de la Société tunisienne de banque (STB) pourrait se dégrader. © D.R.

Du fait de son exposition au secteur touristique, la situation de la Société tunisienne de banque (STB) pourrait se dégrader. © D.R.

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© Vincent Fournier pour JA

Publié le 23 mars 2011 Lecture : 5 minutes.

En Tunisie, en Égypte, au Yémen, à Oman, à Bahreïn ou encore en Libye, les troubles qui secouent le monde arabe auront des conséquences économiques. Les analyses y prévoient une croissance en berne, au moins en 2011. Le PIB égyptien devrait augmenter de 3 % en 2011, contre 5,8 % initialement prévus. En Tunisie, l’activité économique progressera au mieux de 1,5 % à 2 % selon le gouvernement, au lieu des 4 % à 5 % attendus.

Les banques ne seront pas épargnées. Fin février, l’agence internationale de notation Capital Intelligence a attribué à l’Arab Tunisian Bank (ATB) une perspective « négative » à propos de ses réserves en devises et de sa solidité financière. Au même moment, Fitch Ratings baissait la note d’ATB, de BBB+ à BBB. Et cette filiale à 64 % du groupe jordanien Arab Bank ne serait pas la seule dans cette situation…

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Après avoir bien résisté à la crise financière de 2008, les banques arabes seront-elles balayées par la vague de révolutions ? À Tunis, un banquier remet en cause la pertinence des notes des agences de notation : « Pour l’heure, il n’y a aucune publication, aucune donnée provenant des banques centrales, qui permettrait de faire une analyse sérieuse sur la santé des établissements de la région… Certes, on ressent un malaise, mais rien de plus. »

Pourtant, en Tunisie, quelques chiffres sont déjà tombés sur le montant des crédits accordés par le système bancaire au clan Ben Ali. Ainsi, sur un total de 2,5 milliards de dinars (1,3 milliard d’euros), ATB en détient 180 millions, ce qui représente 4,8 % de son portefeuille crédits. Les dirigeants de l’établissement ont beau se montrer rassurants sur sa capacité à récupérer ses créances, l’inquiétude subsiste. D’autres institutions comme la Banque de Tunisie, Amen Bank ou encore Attijari Bank sont aussi concernées.

Comme les banques tunisiennes, plusieurs établissements de la région pourraient se retrouver en possession de créances douteuses. D’après Lilia Kamoun, analyste à Tunisie Valeurs, « de nombreuses PME, fragilisées par le ralentissement économique, se retrouveront dans l’incapacité de rembourser leurs dettes vis-à-vis des banques ». La situation de la Société tunisienne de banque (STB) pourrait se dégrader, cet établissement étant exposé à 50 % au secteur touristique, très affecté par les troubles.

Les groupes émiratis dominent. Créée en 1974, l’Union des banques arabes (UAB) compte 430 membres. Selon les données de l’organisation, le secteur reste dominé par les établissements des Émirats arabes unis : fin 2010, les 51 banques émiraties géraient un total d’actifs estimés à 430 milliards de dollars (325 milliards d’euros). Viennent ensuite l’Arabie saoudite et l’Irak, avec respectivement 367 milliards et 262 milliards de dollars d’actifs gérés. L’Égypte, premier pays d’Afrique du Nord, vient en quatrième position, avec un secteur bancaire dont le portefeuille d’actifs pèse 223 milliards de dollars, devant Bahreïn (216 milliards), le Qatar (144 milliards) et le Koweït (143 milliards). L’Algérie et le Maroc suivent, avec respectivement 102 milliards et 100 milliards de dollars. S.B.

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GEL DES AVOIRS LIBYENS

En outre, le gel des avoirs à l’étranger de la Libye par l’Union européenne et les Nations unies laisse planer de grandes incertitudes sur l’avenir de certaines banques ayant des actionnaires libyens. Le fonds souverain Libyan Investment Authority (LIA), qui gère quelque 65 milliards de dollars (environ 47 milliards d’euros), détiendrait des participations dans une douzaine de banques arabes.

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North Africa Commercial Bank, basée au Liban, est par exemple détenue à 99,5 % par la Libye, et la Banque arabe tuniso-libyenne de développement et de commerce extérieur à 50 %. Fin 2010, la Banque centrale libyenne a porté à 59,3 % sa participation dans l’Arab Banking Corporation, basée à Bahreïn, et dont le président Mohamed Layas est également patron du LIA… L’éventuel départ de Kaddafi, acculé sur le plan international, remettrait en cause l’actionnariat de tous ces établissements ainsi que leur solidité financière.

Toutefois, Adnan Ahmed Yousif, président de l’Union des banques arabes (UAB) et PDG du groupe bahreïni Al Baraka, est formel : « L’impact de ces crises ne sera pas majeur sur les banques arabes. » De passage à Paris où il a présidé le premier Sommet bancaire francophone organisé par l’UAB, le 4 mars, il a assuré que la grande majorité des établissements que compte son organisation ont « des fondamentaux suffisamment solides pour traverser sans grandes difficultés ces troubles ».

En 2010, les banques arabes ont réalisé un bénéfice net de 35 milliards de dollars, soit 1 milliard de plus que l’année précédente. Généralement soutenus par leurs États, ces établissements disposent pour la plupart de moyens colossaux. L’année dernière, ils ont réalisé un total de bilan de 3 600 milliards de dollars, avec des dépôts estimés à plus de 1 800 milliards.

Et ce n’est pas fini. Au pays des pharaons, l’activité bancaire s’annonce radieuse. Le cabinet d’études RNCOS, basé à New Delhi, table sur une hausse de 9 % des prêts aux ménages égyptiens entre 2012 et 2014, soutenus par une forte demande de crédits à la consommation, de crédits auto et de crédits logement, grâce un contexte économique rendu plus favorable par la révolution. Sur les dix premiers mois de 2010, les banques du pays ont géré des actifs combinés de plus de 230 milliards de dollars, avec des dépôts de 163 milliards. Les chiffres de l’UAB indiquent que le secteur bancaire égyptien a enregistré durant la même période une hausse de ses actifs d’environ 22 %, tandis que le capital cumulé de ses établissements a progressé de 20 %, soit l’un des taux les plus élevés du monde arabe.

UNE AUBAINE POUR LE PRIVÉ

Autre motif d’optimisme sur lequel les analyses s’accordent : les révolutions pourraient conduire à un changement du mode de gouvernance des établissements bancaires. Selon Adnan Ahmed Yousif, « les États doivent se désengager des banques au profit d’acteurs privés ». Et en Tunisie, où les trois premiers établissements (STB, Banque nationale agricole et Banque de l’habitat) sont détenus par l’État, des opportunités pourraient se présenter rapidement aux investisseurs.

Anticipant le phénomène, la Société nationale d’investissement (SNI), conglomérat marocain dont le roi est l’actionnaire majoritaire, a annoncé début mars son intention de céder une partie des 48 % qu’elle détient dans Attijariwafa Bank, qui a réalisé un résultat net de 407 millions d’euros en 2010 (+ 3,3 %). La SNI envisage de ramener cette participation entre 15 % et 20 %. Attijariwafa Bank est la première banque du Maghreb et celle qui a la stratégie continentale la plus avancée, avec une présence dans une vingtaine de pays africains. Mais, douzième dans le classement des banques arabes, elle est encore loin d’égaler ses cousines du Golfe.

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