Les disparitions forcées, nouveau fléau de l’Égypte

La semaine dernière, Giulio Regeni, un étudiant italien, a été retrouvé mort au Caire. Son corps portait des traces de torture et l’Italie exige désormais que toute la lumière soit faite sur les circonstances de sa disparition. Au total, depuis mi-mai 2014, environ 2000 cas de disparitions forcées ont été recensés.

Un rassemblement en l’honneur de Giulio Regeni devant l’ambassade d’Italie au Caire, samedi 6 février 2016. © Amr Nabil / AP / SIPA

Un rassemblement en l’honneur de Giulio Regeni devant l’ambassade d’Italie au Caire, samedi 6 février 2016. © Amr Nabil / AP / SIPA

Publié le 9 février 2016 Lecture : 3 minutes.

« Giulio Regeni était l’un des nôtres. Il a été tué comme l’un des nôtres », affichait une pancarte en arabe à l’entrée de l’ambassade italienne du Caire samedi.

En cette fin de journée pluvieuse, une cinquantaine de personnes s’est réunie devant l’institution diplomatique avec des fleurs, des bougies et des messages, brandis face à la presse, pour rendre hommage au jeune doctorant retrouvé mort quelques jours auparavant.

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« Nous sommes tristes, c’était un garçon brillant qui aimait l’Égypte », assure Kamel. « Il était inspiré par ce pays, comme beaucoup de gens à travers le monde depuis la révolution du 25 janvier. Il avait envie de transmettre nos inquiétudes et nos espoirs, c’est une perte énorme pour nous et pour l’Italie. »

Il n’y a aucun doute que ce jeune homme a été lourdement battu et torturé »

Rapatrié le même jour, le corps de l’étudiant de 28 ans, retrouvé dans un fossé en périphérie du Caire a été autopsié une seconde fois par les enquêteurs italiens pour tenter de déterminer les circonstances de sa mort. « Il n’y a aucun doute que ce jeune homme a été lourdement battu et torturé », a confirmé Maurizio Massari, ambassadeur d’Italie en Égypte.

Les conclusions italiennes n’ont pas encore été rendues publiques, mais pour une partie de la société civile, et les activistes des droits de l’homme, ce meurtre porte la signature incontestable des violences policières. « Ca ressemble très fortement aux pratiques du gouvernement, il a disparu en centre-ville, une zone totalement contrôlée par la police et les militaires. Des agresseurs n’auraient pas pu l’enlever sans que personne ne remarque quoi que ce soit », affirme Mohamed Lotfy, directeur de l’Egyptian Commission for Rights and Freedoms (ECRF).

« La plus grande probabilité, c’est qu’il ait été arrêté par les autorités, qu’il ait été torturé pour obtenir des informations, comme c’est très courant, et qu’il en soit mort », tranche-t-il, « ils se seraient ensuite débarrassé du corps pour faire croire à un crime crapuleux ou un enlèvement d’un groupe terroriste. »

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Cette pratique, courante en Égypte, existe dans le silence le plus complet des chancelleries occidentales. Elle a pris une ampleur sans précédent ces deux dernières années, mais si ce scénario est confirmé dans le cas de Giulio, c’est la première fois qu’elle touche un ressortissant étranger

Un phénomène en forte hausse

Depuis mi-2014, l’ECRF a recensé environ 2000 cas de « disparitions forcées ». Touchant principalement les membres des Frères musulmans, le phénomène s’est accentué en 2015 : 340 cas, pour la seule période août-novembre 2015. Arrêtées de manière arbitraire, chez elles, dans la rue ou à leur travail, les personnes visées se volatilisent, parfois pendant plusieurs mois, avant de réapparaître dans des prisons de haute sécurité, parfois libres mais sommées de ne pas raconter ce qui leur est arrivé. Parfois mortes. « En janvier, c’est la 4e personne que l’on retrouve dans ces circonstances après avoir disparu pendant plusieurs jours », rappelle Lotfy.

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Quelles en sont les raisons ?

« La disparition a pour but de faire gagner du temps pour des interrogatoires poussés », affirme Lotfy, « les personnes sont systématiquement torturées pour obtenir des aveux divers : sur les personnes qu’elles fréquentent, sur des possibles manifestations à venir, sur des sources, des informations qu’elles détiennent ou qu’elles transmettent. » À ce titre, les islamistes et les Frères musulmans, ennemis numéro 1 du pays, en sont les premières cibles, mais les militants libéraux anti-régime, les académiciens et les journalistes se révèlent être aussi des proies privilégiées.

« Ce ne sont plus seulement des gens considérés comme marginaux ou islamistes qui sont visés », assure Lotfy. « L’objectif est de répandre la peur dans la société ». Obsédée par les théories du complot, l’Égypte veut colmater toute critique qui puisse venir de l’intérieur et imposer le silence à ceux qui diffuseraient des informations négatives sur le pays.

Que répondent les autorités aux accusations ?

Jusqu’à présent, le gouvernement d’Al-Sissi avait opté pour le déni, « pendant longtemps, les autorités ont affirmé que les disparus avaient rejoint Daesh, mais ça ne marche pas puisque des personnes sont vues en prison ou réapparaissent et affirment avoir été détenues. Elles ne peuvent pas dire que la personne n’était pas chez eux », tranche Lotfy. En début d’année, le National Council for Human Rights (NCHR), une association qui se revendique indépendante (ses membres sont élus par le Parlement) a remis un rapport aux autorités dénonçant cette pratique, listant une centaine de noms. Le ministre de l’Intérieur a assuré prendre la situation avec beaucoup de sérieux et confirmé que « la sécurité ne serait atteinte qu’avec le respect des droits humains ». Mais les familles de disparus attendent toujours des réponses claires à ce jour.

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