Maroc : comprendre le Conseil de régence en cinq questions-clés
Adoptée le 6 février en conseil des ministres, la loi organique relative au Conseil de régence permet au pouvoir monarchique de verrouiller sa succession. Avec néanmoins quelques nouveautés par rapport à la tradition.
C’est l’un des projets de loi les plus attendus depuis l’adoption de la Constitution de 2011. La loi organique instituant le Conseil de régence, adoptée le 6 février en Conseil des ministres, vise à pallier toute vacance du pouvoir royal pour décès ou incapacité à régner. Comme dans d’autres systèmes monarchiques dans le monde, la mission de ce conseil est d’accompagner un roi mineur jusqu’à l’âge de sa majorité. Le texte atterrira au Parlement d’ici quelques mois. Décryptage en 5 questions-réponses.
De qui ce conseil est-il composé ?
Composé de 16 membres, le Conseil de régence est dirigé par le président de la Cour constitutionnelle. À ses côtés, siègent les présidents des deux chambres du Parlement, le secrétaire général du Conseil supérieur des oulémas (autorité religieuse), le président-délégué du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire et le chef du gouvernement. C’est la première fois dans l’histoire du Maroc que le chef de l’exécutif est si étroitement associé à la destinée de l’État. Mais comment s’assurer de son impartialité si le conseil de régence devait choisir un autre chef de gouvernement à l’issue d’un processus électoral ? « Cela ne pose aucun problème puisque les décisions du conseil sont prises après un vote », explique Mustapha Sehimi, professeur de droit public et politologue.
Mis à part les représentants des institutions constitutionnelles, le roi choisit 10 membres pour siéger dans ce Conseil dont la liste a, par le passé, toujours été confidentielle sauf pour les habitués du sérail. Va-t-il communiquer cette fois-ci sur leurs noms ? En tout cas, il est de coutume que le roi puise d’abord dans le cercle de ses conseillers les plus proches, avec une ouverture sur des personnalités marocaines connues pour leur intégrité et qui lui sont, surtout, loyales.
Dans l’histoire du Maroc, le Conseil de régence est-il déjà entré en fonction ?
Sur la base d’un texte constitutionnel, cela n’est jamais arrivé. La première trace d’un conseil de régence date de la Constitution de 1977 et depuis, le pouvoir monarchique est assuré sans interruption. En revanche, il est déjà arrivé dans le passé qu’un sultan alaouite soit mis sous tutelle. Le plus connu est Moulay Abdelaziz qui fut proclamé sultan en 1894 à l’âge de 14 ans mais n’exerça réellement sa fonction qu’à la mort de son régent Ba Hmad en 1900. Ce dernier légua au jeune roi une gestion publique des plus confuses que le roi, lui même n’ayant pas la carrure d’un chef d’État, réussit à aggraver en précipitant le Maroc dans les bras du protectorat français.
En instaurant un conseil de régence diversifié, la monarchie a tiré les leçons du passé. Sans compter que l’option d’un Régent unique, auquel pourraient s’identifier les Marocains, risquerait de casser le caractère héréditaire de la succession monarchique qui se transmet de père en fils.
Quels sont les pouvoirs du Conseil de régence ?
Le Conseil de régence exerce tous les pouvoirs dévolus à la monarchie excepté ceux relatifs à la révision de la Constitution mais aussi, élément nouveau, « les prérogatives dévolues au roi en vertu des textes législatifs », peut-on lire dans le communiqué du cabinet royal. On comprend bien que le Conseil ne peut pas réviser la Constitution puisqu’un organe de transition ne peut pas décider d’une réforme institutionnelle de l’État. En revanche, comment interpréter le fait qu’il ne puisse exercer « les prérogatives dévolues au roi en vertu des textes législatifs » ? Pour les politologues interrogés, cette phrase restera un mystère, tant que le projet de loi organique n’aura pas été rendu public.
Par ailleurs, il faut apporter une précision au pouvoir militaire du Conseil de régence. Le président de ce Conseil hérite bien du titre de chef suprême des Forces armées royales mais sa présidence se fait à titre symbolique. Il n’est pas question d’engager le Maroc dans des guerres, ni de décréter des changements importants dans l’armée. Son rôle se limite a gérer administrativement l’institution militaire.
À quel âge le roi mineur peut-il régner?
Depuis la Constitution de 1962, la majorité du roi était de 18 ans jusqu’à la révision du 23 mai 1980, où elle a été ramenée par Hassan II à 16 ans. Son fils, Mohammed VI, venait tout juste d’avoir cet âge. Un conseil de régence ne servait donc à rien, d’autant que Hassan II en avait aussi profité pour éliminer tout adversaire indésirable, notamment son frère Moulay Abdellah, à qui il avait purement et simplement retiré le titre de président du Conseil de régence pour le donner au président de la Cour suprême. Dans un Maroc qui connaissait un contexte politique trouble (grèves, coups d’État…), Hassan II s’était taillé une Constitution sur mesure.
Lorsque la Constitution de 2011 a été adoptée, l’âge de majorité a été ramené à 18 ans, avec une nouveauté : jusqu’à ses 20 ans, le jeune roi continuera à être épaulé par « ses régents protecteurs » mais à titre consultatif.
Le roi sous tutelle a-t-il quand même des pouvoirs?
Même s’il est encore mineur, le futur roi hérite du titre de Commandeur des croyants. On a peut-être du mal à accepter qu’un enfant préside les prières du vendredi ou les veillées religieuses du Ramadan, mais il faut savoir que la fonction de la Commanderie des croyants ne tire pas sa légitimité de la Constitution, comme nous l’explique Mustapha Sehimi. Elle se base sur l’acte d’allégeance, la Beyâa, une cérémonie annuelle où tous les officiels de l’État se prosternent devant le souverain, lui signifiant leur approbation à sa commanderie religieuse. Pour une monarchie alaouite qui tire sa légitimité de sa descendance du prophète, la Beyâa est un héritage dynastique incontestable. C’est pourquoi, malgré les multiples protestations appelant à la suppression de cette cérémonie jugée moyenâgeuse, la monarchie ne pourra pas faire de grandes concessions à ce sujet. Pour la simple raison qu’elle en tire sa propre légitimité religieuse.
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