Procès Hissène Habré : la guerre des avocats de la défense
Trois avocats commis d’office plaident ce jeudi l’acquittement de Hissène Habré, contre la volonté de leur client. Au grand dam de ses avocats officiels.
Ils sont confrères ennemis. Les uns, qui bénéficient de la confiance de Hissène Habré, ont dû remiser au placard leur robe d’avocat pour se conformer à la volonté de leur client de boycotter son procès. Les autres, commis d’office par le président de la Chambre africaine extraordinaire (CAE) d’assises pour assurer la défense de l’ancien président tchadien, n’ont jamais pu s’entretenir avec l’accusé, qui refuse d’être défendu devant une juridiction qu’il ne reconnaît pas.
Les premiers plaident depuis plusieurs mois dans la salle des pas perdus du tribunal de Dakar ou sur le site internet dédié à Hissène Habré. Aux seconds revient la tâche délicate de plaider devant la chambre d’assises, jeudi 11 février, l’acquittement d’un client qui a observé le silence depuis l’ouverture de son procès, en dépit des lourdes accusations portées contre lui.
« Une expertise juridique, dans l’intérêt de la justice »
« Nous sommes en quelque sorte chargés d’effectuer un audit, une expertise juridique, dans l’intérêt de la justice », résume Me Abdou Gningue, qui défend Hissène Habré avec deux confrères du barreau de Dakar, Mounir Balal et Mbaye Sène. Malgré les vives critiques dont ils ont fait l’objet de la part des pro-Habré, qui les considèrent comme des « complices » du grand complot politico-judiciaire qu’ils n’ont de cesse de fustiger, les trois avocats se sont efforcés, depuis le début des audiences, en septembre, de défendre ce client atypique qui a poussé à son paroxysme la défense de rupture.
« Nous comptons plaider l’acquittement car nous avons de bonnes raisons de contester la responsabilité personnelle ou hiérarchique qu’on cherche à imputer à Hissène Habré« , explique Me Gningue. L’avocat français de Hissène Habré, Me François Serres, a suivi la majeure partie du procès dans la salle n°4 du Palais de justice, mais pas depuis le banc de la défense. Quotidiennement, au troisième ou quatrième rang du public, à proximité du fan-club de l’ex-président tchadien, il écoute et prend des notes. Lors des pauses, ce « mandataire de couloirs » – comme le surnomment ironiquement ses confrères de la partie civile – « plaide pour l’opinion internationale », par médias interposés.
Human Rights Watch, la bête noire du clan Habré
Selon les jours, il stigmatise les autorités sénégalaises (qui ont rendu le procès possible depuis l’élection de Macky Sall, en 2012), le régime de N’Djaména (dénoncé comme le deus ex machina du procès Habré, pour avoir financé les CAE à hauteur de 30%), les témoins qui ont défilé à la barre de septembre à décembre 2015 (accusés, pour certains, de faux témoignages), les magistrats de la Cour ou du Parquet (décrits comme des « marionnettes » venues cautionner une condamnation décidée d’avance) et, surtout, les ONG internationales, au premier rang desquelles Human Rights Watch, la bête noire du clan Habré.
Le 8 février, tandis que les avocats des parties civiles prenaient la parole devant la Cour, François Serres publiait, sur le site internet officiel de Hissène Habré, une plaidoirie de 29 pages dans laquelle il s’efforce de démontrer « l’illégalité » et « la partialité » des CAE. Son confrère sénégalais Ibrahima Diawara, plus discret et moins vindicatif, a fait de même, avec un document de 17 pages. Le 10 février au soir, après que le procureur général a requis la perpétuité contre l’ancien maître de N’Djaména, François Serres continuait de plaider face aux caméras dans un palais de justice presque désert, dénonçant, parmi tant d’autres choses, l’attitude de ses confrères commis d’office, qui ont finalement renoncé à déposer des requêtes en nullité.
« Bourdonnements » et « effets de Serres »
Pris en étau entre les critiques des avocats de la partie civile et celles émanant de ses confrères ennemis mandatés par Hissène Habré, Abdou Gningue s’en tire par des jeux de mots. Lorsque William Bourdon, mardi, s’est acharné à démolir à la barre le mémoire déposé par la défense, il s’est levé pour interpeller le président Gberdao Gustave Kam : « Me Bourdon ne cesse de bourdonner à nos oreilles ! » Et lorsqu’on l’interroge sur les anathèmes prononcés par les avocats officiels de l’ancien président tchadien, il hausse les épaules et épingle « les effets de Serres ».
Jeudi 11 février, Abdou Gningue compte aller au bout de son « sacerdoce » : plaider pour un client qui ne lui a jamais adressé la parole et qui « ne reconnaît ni la légalité ni la légitimité des Chambres africaines extraordinaires ». Ce n’est donc pas au nom de Hissène Habré mais au nom de la justice que lui-même et ses deux confrères tenteront d’obtenir de la cour un improbable acquittement.
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