Mines : l’Afrique veut sa part du gâteau
Accroître les recettes publiques, créer des emplois nationaux y compris aux postes de direction, imposer les entreprises locales… Les États ont décidé de reprendre la maîtrise de leurs gisements pour en faire profiter les populations.
Un vent de patriotisme économique souffle sur les mines africaines. Dans les allées du salon Mining Indaba, qui a rassemblé 7 200 décideurs miniers du 6 au 9 février au Cap, en Afrique du Sud, les mots « révision contractuelle », « africanisation » et même « nationalisation » revenaient en boucle dans les conversations. En particulier à la sortie des conférences de ministres africains ayant un discours ferme (RD Congo, Afrique du Sud) à l’égard des investisseurs miniers, désignés comme les mauvais élèves du développement local.
Avec un boom des prix des minerais depuis 2009, le « scandale géologique » du continent n’est plus supportable pour les États richement dotés. Les autorités publiques, mais aussi les décideurs africains du secteur, s’indignent : « Notre continent détient plus du tiers des réserves mondiales de minerais. Une proportion qui monte à plus de 70 % pour certaines ressources comme le fer, le manganèse, le platine ou la bauxite. Malgré ce potentiel, l’Afrique représente moins de 10 % de la production mondiale minière », s’insurge le Sénégalais Mouhamadou Niang, chef de la division industrie et services à la Banque africaine de développement (BAD).
Evasion fiscale
Une colère partagée par le Ghanéen Sam Jonah, charismatique président d’AngloGold Ashanti jusqu’en 2006 : « Le Ghana produit de l’or depuis près d’un siècle… Et en dépit de cette longue expérience, les mines pèsent moins de 2 % dans l’économie nationale ! » regrette ce proche de l’ancien président John Kufuor, aujourd’hui conseiller économique des présidents sud-africain, Jacob Zuma, et nigérian, Goodluck Jonathan. Malgré l’intérêt des groupes internationaux pour les gisements africains, la production de minerais a reculé en 2011 dans neuf des treize pays miniers les plus importants du continent, d’après une étude d’Ernst & Young. En RD Congo, l’activité minière ne contribue qu’à 3,6 % du PIB et n’a injecté que 274 millions d’euros dans les caisses de l’État en 2007 (dernier chiffre connu). La production de la compagnie katangaise Gécamines est passée de plus de 450 000 tonnes de cuivre à la fin des années 1980… à 21 000 t en 2011. « Il faut se rendre à l’évidence : les 29 coentreprises signées avec des partenaires privés internationaux n’ont pas donné les résultats que nous escomptions », regrette Ahmed Kalej Nkand, administrateur directeur général du groupe.
Plusieurs pays ont annoncé une révision des codes miniers et des audits des contrats en cours d’éxecution
Le voisin zambien, avec sa « ceinture de cuivre », ne fait pas mieux : le secteur minier ne représente que 1,3 % de son économie, tandis que les recettes minières n’ont rapporté que 367 millions d’euros en 2008, avant l’instauration de nouvelles taxes. À Lusaka, les techniques d’évasion fiscale des groupes Glencore et First Quantum, dénoncées par un collectif d’ONG en juin dernier, ont défrayé la chronique. Quant à la Guinée, elle n’exporte aujourd’hui pratiquement que de la bauxite brute, avec seulement 117 millions d’euros de recettes pour l’État en 2005. Ses réserves de fer – les plus importantes du continent – attendent toujours d’être exploitées. L’australien Rio Tinto, détenteur de licences sur le mégagisement du Simandou depuis 1995, n’a pas démarré la production. Et les projets de raffineries d’aluminium sont toujours en stand-by.
Même l’Afrique du Sud, l’un des pays du globe les mieux dotés en minerais (avec des réserves valorisées à 1 900 milliards d’euros), voit ses revenus miniers diminuer chaque année. « Dans les années 1970, les mines contribuaient à 21 % du PIB et à plus de 600 000 emplois. Aujourd’hui, nous sommes tombés à 6 % du PIB [9,1 % selon Ernst & Young, NDLR] et 400 000 salariés. Ce n’est pas acceptable », lance Trevor Manuel, ministre chargé de la Planification auprès de la présidence.
Monter au capital
Guinée, Zambie, Afrique du Sud, Mali, Burkina Faso et Ghana… Face à cette situation, tous ont annoncé des révisions de leurs codes miniers et des audits des contrats en cours d’exécution. Les États veulent augmenter les taxes et royalties, bénéfiques pour les caisses publiques, mais pas seulement. Sous la pression des populations, notamment en période électorale, leur objectif prioritaire est de favoriser l’emploi, la sous-traitance, les infrastructures et la transformation locale. Pour parvenir à leurs fins, en pesant sur la stratégie des miniers présents sur leur sol, les États montent dans le capital des sociétés minières. À Bamako les autorités entendent faire passer leur participation de 15 % à 25 %, tandis qu’à Conakry l’État s’adjuge 15 % d’actions gratuites.
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« Depuis 2003, nous avons accordé 420 permis miniers en RD Congo, mais les conditions de vie des populations n’ont pas changé. Il est temps de mettre en place de nouvelles dispositions », affirme le ministre Martin Kabwelulu Labilo à Mining Indaba. Parmi les mesures envisagées, des incitations fiscales pour encourager la transformation locale des minerais. Au Burkina Faso, des mesures similaires sont en préparation. « Nous comptons adopter un nouveau code minier en 2012. Il doit rester attractif pour les investisseurs mais permettre également que les populations des localités où les sites sont exploités bénéficient davantage des retombées », confie Lucien Marie Noël Bembamba, ministre de l’Économie et des Finances.
Sur le front de l’emploi, le nombre de salariés africains des compagnies minières est encore faible, particulièrement aux postes de management. « Quand j’étais président d’AngloGold Ashanti, nous avions réussi à faire émerger des cadres africains de haut niveau. Mais aujourd’hui, ils restent encore ultraminoritaires. Avec le boom minier, on observe un retour en force des expatriés, parce que les compétences locales ne sont pas assez nombreuses, regrette Sam Jonah. Les groupes africains qui pourraient doper les compétences locales se comptent encore sur les doigts d’une main. En dehors des sociétés sud-africaines, aucune compagnie ne compte vraiment au niveau international. » « Des écoles des mines existent sur le continent, mais elles ne sont pas suffisamment reconnues internationalement. Il vaudrait mieux qu’elles soient moins nombreuses mais d’un meilleur niveau, notamment en matière financière », estime pour sa part Boubacar Bocoum, responsable du secteur minier à la Banque mondiale.
Sous-traitance
Pour améliorer la contribution du secteur au développement local, États et institutions misent sur la sous-traitance de proximité : « Autour des mines, il est possible de développer un réseau de PME. Elles peuvent intervenir tant dans le domaine minier – les sociétés de forage – que dans des métiers annexes : les firmes de BTP pour la construction de routes, le terrassement et les bâtiments ; les sociétés de transport pour acheminer le personnel ou les minerais ; les sociétés de restauration ; l’artisanat local… Les possibilités sont très nombreuses », assure Mouhamadou Niang, de la BAD.
« Les groupes internationaux comprennent désormais qu’ils ont tout intérêt à développer une logistique locale, même si cela prend plus de temps. C’est bon pour leurs relations avec les autorités et les populations, mais aussi pour leur réputation sur les marchés internationaux, qui leur demandent des comptes sur ces questions. Et c’est aussi économique : acheter local coûte moins cher », indique Jenna Slotin, directrice de projet de Peace Dividend Trust, une organisation basée à Ottawa qui travaille à étoffer l’approvisionnement local des groupes miniers. « Quand on prend le temps de former les PME aux processus logistiques, le taux de sous-traitance locale peut grimper considérablement », indique la Canadienne, qui travaille sur ces questions avec BHP Billiton au Liberia.
La plupart des groupes miniers interrogés à Mining Indaba comprennent ces nouvelles exigences des États. « Ils sont prêts à payer plus de taxes, à avoir plus d’obligations sociales et environnementales, du moment que les règles du jeu ne changent pas tout le temps. Ce qui n’est pas apprécié, ce sont les tergiversations de certains gouvernements, le manque de clarté dans les négociations », juge l’avocat britannique John Ffooks, spécialiste des contrats miniers. Les déclarations abruptes et l’instabilité des réglementations minières font fuir les investisseurs. « On ne peut pas attendre qu’un groupe minier dépense des milliards de dollars sur une longue période s’il est dans l’incertitude », prévient Sam Jonah.
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