Première guerre mondiale : la bataille de Verdun, tombeau de milliers d’Africains
Le 21 février 1916, il y a tout juste un siècle, la bataille de Verdun débutait. Elle restera comme le plus sanglant affrontement de la première guerre mondiale. Parmi les 500 000 victimes, des milliers d’Africains, tirailleurs « sénégalais » ou « algériens ».
À Verdun, dans les tranchées les plus meurtrières de la Grande guerre, l’humanité a montré ce qu’elle avait de pire. Et les Africains, enrôlés dans une boucherie qui n’était pas tout à fait la leur, en ont payé le prix fort. Même s’il est difficile de savoir avec exactitude combien de « tirailleurs » ont péri aux alentours de Verdun, le chiffre se compte évidemment en milliers.
On estime que, de 1914 à 1918, 250 000 soldats d’Afrique subsaharienne ont combattu en France, quand le même nombre était enrôlé dans tout le Maghreb, sans compter les soldats de Madagascar ou de Djibouti. Au total, ce sont près de 700 000 hommes des colonies, y compris asiatiques, qui ont été mobilisés.
Parmi les tirailleurs du Maghreb, 48 000 soldats sont morts ou ont disparu tandis qu’on en comptait 27 000 parmi ceux originaires d’Afrique subsaharienne. Quant au nombre de blessés, souvent gazés, amputés ou défigurés, il est encore plus grand.
« Ce qui pour nous est la France, pour eux est l’étranger »
Il y avait pourtant bien eu des voix pour s’élever contre ce recrutement, souvent forcé, dans les colonies. Le socialiste Jean Jaurès était ainsi choqué par cette idée « de les jeter d’emblée, par grandes masses, au premier rang de vos troupes européennes ». « Ce qui pour nous est la France, pour eux est l’étranger », ajoutait-il.
Mais, si plusieurs soulèvements éclatèrent lors des recrutements, notamment en Haute-Volta, rien ne devait empêcher la France de se munir de troupes fraîches. Parmi elles, un certain Abdoulaye Ndiaye, enrôlé de force au Sénégal en 1914, puis envoyé en Champagne «pour défendre la patrie française».
Abdoulaye Diop, tirailleur sénégalais, une légion d’honneur et 750 francs par trimestre
Après un entraînement sommaire, il découvrira Verdun, ses canons et ses gaz asphyxiants. Rescapé, le tirailleur mourra dans un Sénégal indépendant le 10 novembre 1998, peu après avoir été décoré de la Légion d’honneur, à 104 ans, et avoir reçu une maigre pension de 750 francs par trimestre jusqu’à ses vieux jours.
À ses côtés dans les tranchées de Verdun, un autre tirailleur, « algérien » celui-ci. Un parmi tant d’autres sans grade de l’infanterie : Amira Ben Khellop. Membre du régiment de marche des tirailleurs et du 9e régiment de tirailleurs algériens, dont la devise était « Le plus haut », il sera « tué à l’ennemi », selon l’expression consacrée, dans la Meuse, le 10 mars 1916, sous le commandement du lieutenant-colonel Tassy de Montluc. Il repose aujourd’hui dans la tombe 577 du « carré musulman » de Douaumont.
Des soldats à part
Cet héroïsme des tirailleurs, la France aura bien du mal à l’assumer. Construit en 1932, l’Ossuaire de Douaumont, qui rassemble les restes anonymes d’un certain nombre des 500 000 soldats tombés à Verdun, ne mentionne aucun Mohamed, Amira ou Abdoulaye. Le président Jacques Chirac a bien inauguré en 2006 un monument aux morts musulmans à Verdun, et son successeur, François Hollande, a dévoilé, en 2014 à la Grande mosquée de Paris, une plaque aux musulmans de la Grande guerre morts pour la France.
Mais qui se souvient, un siècle plus tard, des deux bataillons de tirailleurs sénégalais, le 36e et le 43e, qui prirent part à l’assaut de Douaumont, des deux compagnies de tirailleurs somalis qui avaient également été réquisitionnées, de Sidi Samaké, recruté à Bamako, de Diata Fofana, mandingue venu de Kita ? Qui se remémore encore les circonstances du sacrifice de Merouani Ben Salah, membre du 3e régiment de marche des tirailleurs, recruté à Constantine et tué à l’ennemi le 15 juillet 1916 dans la Meuse, à 34 ans ?
Venus en France, de gré ou de force, à l’assaut des troupes allemandes autant que d’un maigre pécule, la promesse d’une nationalité française en tête, l’immense majorité d’entre eux a été oubliée. Tout juste célèbrera-t-on leurs exploits, au lendemain de la guerre, dans un style colonialiste inimitable, comme ici dans L’Histoire du 1er régiment de marche de tirailleurs algériens :
« Pour toi, petit tirailleur, tombé gravement au champ d’honneur, pour toi nous écrivons ces quelques pages. (…) De 1914 à 1919, les tirailleurs du 1er régiment ont maintenu glorieusement les vieilles traditions d’héroïsme et de sacrifice. Ils ont confirmé les qualités particulières de leur race : endurance physique, mépris de la souffrance et de la mort, confiance absolue en leurs chefs, fidélité au drapeau. Fanatiques, ils ont combattu avec toute leur énergie, avec tout leur cœur, et ils ont su conquérir l’admiration et le respect de tous ».
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