Sénégal : Macky Sall, histoire d’une promesse impossible à tenir

C’est un sentiment mêlé d’étonnement et d’admiration qu’a suscité le président Macky Sall en réitérant, au moment de sa prise de fonction, le 2 avril 2012, son engagement de réduire de sept à cinq ans le mandat présidentiel que venaient de lui confier les Sénégalais.

Macky Sall, à Dakar, en septembre 2014. © Youri Lenquette/J.A.

Macky Sall, à Dakar, en septembre 2014. © Youri Lenquette/J.A.

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  • Madiambal Diagne

    Madiambal Diagne est journaliste, directeur général du groupe Avenir Communication et président de l’Union internationale de la presse francophone.

Publié le 19 février 2016 Lecture : 5 minutes.

Une promesse de campagne formulée quelques semaines plus tôt, dans l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle qui l’avait opposé au président sortant, Abdoulaye Wade.

À l’époque, la question du mandat du président de la République cristallisait toutes les passions. La vague de contestation autour de la candidature du président Wade à un troisième mandat avait même endeuillé la campagne électorale. À la veille du second tour, Macky Sall ne s’était pas contenté d’annoncer qu’il rétablirait le quinquennat : il entendait appliquer cette mesure à son premier mandat. On apprendra par la suite que cette initiative lui aurait été inspirée par le député Imam Mbaye Niang, l’un des acteurs de sa coalition électorale, précédemment impliqué dans les Assises nationales tenues par l’opposition à Abdoulaye Wade entre 2008 et 2009 – dont les conclusions préconisaient de grandes réformes des institutions.

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Cette annonce pouvait alors apparaître comme une idée de génie, puisqu’elle faisait l’unanimité au sein de la classe politique. Le candidat Macky Sall allait en retirer un gain substantiel : contrairement à son challenger, lui-même ne chercherait pas à s’accrocher au pouvoir. Cet engagement symbolique ne pouvait que motiver davantage tous les candidats malheureux du premier tour qui avaient déjà annoncé leur ralliement face à Abdoulaye Wade.

Élu avec plus de 65% des suffrages, Macky Sall allait continuer de porter cet engagement en sautoir, renouvelant sa promesse à chaque déclaration publique. Un engagement inédit dans le monde, qui lui vaudra d’être félicité, voire adulé. En novembre 2012, il est applaudi à tout rompre par les participants au Forum des leaders de médias africains (AMLF). Deux ans plus tard, il provoquera le même enthousiasme lors des Assises de l’Union internationale de la presse francophone, à Dakar. François Hollande comme Barack Obama le citeront en exemple pour ce geste qui, il faut bien l’admettre, détonnait grandement en Afrique. Dans les coulisses de la conférence internationale « Investir dans l’UEMOA », qui s’est tenue à Dubaï en septembre 2014, certains chefs d’État africains viendront d’ailleurs « chambrer » gentiment leur pair.

Tout le monde, pourtant, n’était pas acquis à cette initiative. Tandis que le débat tenait en haleine la classe politique et les juristes, Macky Sall a dû faire face à une rébellion montante chez ses propres partisans. Leurs sorties répétées, hostiles à la réduction de son premier mandat, avaient le don de l’irriter. Dans Le Quotidien, le 13 avril 2015, il confiait : « Je suis franchement agacé par un tel débat qui prend origine au sein de mon propre parti. [C’]est inacceptable, car je ne reviendrai pas sur ma parole. »

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Le 10 mai 2015, à Pointe-à-Pitre (Guadeloupe), Macky Sall s’est entretenu avec la délégation française conduite par le président François Hollande à l’occasion de l’inauguration du Mémorial ACTe, un monument commémoratif de la Traite négrière. L’incrédulité de ses interlocuteurs était manifeste. Le président de l’Assemblée nationale française, Claude Bartolone, semblait ne pas comprendre l’entêtement de Macky Sall à vouloir réduire son premier mandat. Il lui a notamment rappelé l’exemple du président Jacques Chirac, qui avait initié l’adoption du quinquennat mais qui, pour autant, était allé au terme de son septennat.
À plusieurs reprises, j’ai eu moi-même à évoquer le sujet en privé avec le chef de l’État. Si j’étais séduit par sa détermination à respecter son engagement, je ne manquais pas d’être dubitatif. Lorsque je lui faisais part de mes craintes que son projet ne pose un problème de constitutionnalité, il m’assurait que tel ne serait pas le cas. Le texte, disait-il, serait rédigé de manière à éviter cet écueil.

Personne, dans son entourage, ne s’est levé pour défendre le principe de la réduction du mandat

C’est après l’étape de la Guadeloupe que j’ai senti que le doute commençait à gagner son esprit. De nombreux juristes lui faisaient remarquer que cela pourrait constituer un fâcheux précédent de manipuler la durée d’un mandat en cours. Dans son propre camp, les récalcitrants devenaient de plus en plus nombreux, jusqu’à son cercle proche. Moustapha Cissé Lô, vice-président de l’Assemblée nationale, se montrait le plus tonitruant parmi les partisans de Macky Sall opposés à cette perspective. Il chercha un jour à me convaincre de me joindre à lui pour « travailler au corps » le chef de l’État. Je ne pus que lui faire part de l’inflexibilité manifestée par ce dernier, ajoutant que les prises de position publiques ne pourraient que le braquer.

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À Ouagadougou, Harouna Dia, un proche conseiller de Macky Sall, m’expliqua à son tour les raisons de sa préférence pour le septennat. Macky Sall devait se sentir bien seul. Personne, dans son entourage, ne s’était levé pour défendre le principe de la réduction du mandat. L’ancienne Première ministre, Aminata Touré, tout comme son successeur, Mahammed Boun Abdallah Dionne, étaient eux aussi adeptes du septennat.

Parmi les partenaires du Sénégal, certaines voix firent savoir à Macky Sall que la réduction de son mandat n’était point leur préoccupation et que les projets économiques et sociaux engagés depuis son élection avaient besoin de temps pour mûrir. Le ministre de l’Économie, des Finances et du Plan, Amadou Ba, revenait de ses déplacements à Washington où à Paris porteur des mêmes confidences : ses interlocuteurs ne souhaitaient pas que l’effervescence électorale vienne entraver l’activité économique du pays. La directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), Christine Lagarde, conforta ce sentiment lors d’une visite à Dakar. Certaines de ses déclarations furent alors perçues comme une incitation à aller au terme du septennat.

En octobre 2015, le président Sall relança nos échanges sur la question. Nous étions tous deux convaincus qu’en cas d’élection présidentielle en 2017, il serait en mesure de l’emporter dès le premier tour. « Si vous tenez tant à respecter votre parole, alors démissionnez en 2017! », lui lançai-je. Il déclina la suggestion, un peu agacé : « Comment pourrais-je créer un tel risque d’instabilité politique! » Avant de poursuivre : « Ça n’aurait pas de sens de démissionner puis de se présenter devant les électeurs pour leur demander de me réélire. Mon coiffeur me disait qu’il trouvait absurde de renoncer à deux années de mandat pour en solliciter un nouveau. » La remarque débrida l’atmosphère.

Ce soir-là, son rêve fou s’est brisé

Macky Sall me confia alors : « Le 31 décembre 2015, je présenterai le projet de réforme de la Constitution. Je me tiendrai à mon engagement et je soumettrai le projet au Conseil constitutionnel. Je me conformerai à ce que le Conseil me dira. » Il me rappela au passage qu’il avait été le premier à avoir publiquement reconnu la décision du Conseil constitutionnel qui avait validé, en janvier 2012, la troisième candidature controversée d’Abdoulaye Wade. Alea jacta est.

Quelques jours plus tard, Malick Gakou, le leader du Grand Parti, m’interpela : « Alors, que compte faire ton ami ? » Ma réponse, embarrassée, semble l’avoir déçu : « Je ne sais pas trop. Il veut respecter sa parole mais il lui serait difficile d’aller à l’encontre d’un avis négatif du Conseil constitutionnel. » Pour Malick Gakou, la véritable question était politique, et non juridique.

Consultés pour avis, en janvier, le président de l’Assemblée nationale, Moustapha Niasse, et les cinq sages du Conseil constitutionnel ont estimé unanimement que la réduction du mandat en cours de sept à cinq ans serait contraire à l’esprit de la Constitution. Le 16 février 2016, Macky Sall en a donc tiré les conclusions, en annonçant qu’il entendait poursuivre son mandat jusqu’à son terme, en 2019. Ce soir-là, son rêve fou s’est brisé.

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