Élection présidentielle au Niger : un climat sous tension, des lendemains incertains
Cette tribune a été co-écrite par Jean-Hervé Jézéquel et Hamza Cherbib, assistant de recherche de l’International Crisis Group.
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Jean-Hervé Jézéquel
Jean-Hervé Jézéquel est directeur du projet Sahel à l’International Crisis Group (ICG).
Publié le 19 février 2016 Lecture : 5 minutes.
Dimanche 21 février 2016, les Nigériens se rendront aux urnes pour élire leur prochain dirigeant et devront choisir entre l’actuel président Mahamadou Issoufou et 14 autres candidats. L’élection d’Issoufou en 2011 avait mis un terme à une transition démocratique relativement pacifique suite au coup d’État militaire de 2010. Sa victoire, obtenue grâce à une alliance au second tour avec d’autres ténors de la scène politique nigérienne, avait suscité une vague d’optimisme dans le pays et restauré la confiance des principaux partenaires du Niger.
Longtemps figure de l’opposition, à la tête d’un parti de militants, Issoufou s’est fait élire sur la base d’un projet ambitieux, le programme de la Renaissance, qui suscitait l’espoir de la population en promettant développement économique, fin de l’insécurité alimentaire et lutte contre la corruption et l’impunité. Cinq ans plus tard, l’atmosphère de cette nouvelle élection présidentielle, et plus particulièrement l’attitude générale vis-à-vis de la candidature du président Issoufou, a bien changé. L’espoir de renouveau est largement retombé. La majorité des Nigériens n’ont plus guère confiance dans une classe politique vieillissante, qu’elle soit issue du pouvoir ou de l’opposition. Le régime, qui en a conscience, apparaît focalisé sur son maintien au pouvoir et sur la défense de ses intérêts. Ce climat pré-électoral tendu augure de lendemains plus difficiles qu’en 2011.
À la décharge du président Issoufou, le contexte régional a bien changé depuis 2011. Le chaos libyen au nord, la crise malienne à l’ouest et l’extension inquiétante de Boko Haram au sud-est constituent autant de menaces fragilisant la stabilité du pays. Face à cela, le régime a progressivement mis au second plan son programme de la Renaissance pour privilégier les aspects sécuritaires, encouragé en cela par ses partenaires occidentaux. Le budget de la défense a fortement progressé alors que ceux des secteurs sociaux n’ont pas connu le même envol.
Même s’il tente aujourd’hui de défendre son bilan, le projet présidentiel n’a pas débouché sur un changement substantiel du mode de vie des Nigériens. Les services publics sont toujours très insuffisants, l’espace politique reste marqué par la corruption. Là aussi, à la décharge du président Issoufou, la tâche était gigantesque dans ce pays classé dernier sur l’indice du développement humain. Il est dès lors apparu plus facile d’afficher un bilan positif sur la défense à court terme des intérêts sécuritaires plutôt que d’insister sur les résultats en matière de développement socio-économique à long terme.
À ce bilan mitigé s’ajoute une détérioration de la situation politique interne. Depuis deux ans, le régime s’enferme progressivement dans une lente dérive autoritaire. Il a d’abord consacré beaucoup d’énergie à affaiblir les partis d’opposition en suscitant des scissions. Ces derniers mois, il a ensuite multiplié harcèlements et arrestations, même temporaires, à l’égard d’opposants, de journalistes et de militants de la société civile. La situation au Niger n’est certes pas aussi préoccupante que dans d’autres pays de la région mais il est inquiétant de voir un régime, élu avec un soutien populaire fort en 2011, instrumentaliser aujourd’hui l’argument sécuritaire pour neutraliser toute critique interne.
L’arrestation en novembre dernier d’Hama Amadou, ancien président de l’Assemblée nationale, principal opposant à Issoufou, justifiée par son implication présumée dans une affaire de trafics d’enfants, le contraint aujourd’hui à mener campagne depuis sa prison. Que Hama Amadou soit coupable ou non, cette affaire n’est pas le meilleur signal de la bonne santé du système politique nigérien.
En décembre, l’annonce d’une tentative avortée de coup d’État militaire, fondée ou non, a jeté un peu plus de doute sur la stabilité de la septième République du Niger, un pays marqué par plusieurs interventions de l’armée dans l’espace politique. Bien que l’histoire récente n’est pas été marquée par de fortes violences électorales, les émeutes meurtrières en janvier 2015 à Niamey, Zinder et Agadez, expressions d’un mélange de colère sociale, d’indignation religieuse et de sentiment anti-français suite à des propos maladroits du président sur l’affaire Charlie Hebdo, témoignent d’un potentiel de violence non négligeable pouvant être manipulé.
La fébrilité actuelle du pouvoir face à la rue est en partie le résultat de sa propre stratégie pour neutraliser toute opposition. Une partie de ceux qui contestent le pouvoir, au sein de l’armée, des milieux radicaux ou des partis politiques, sont aujourd’hui convaincus que le changement viendra de la rue et non pas des urnes.
Malgré ce contexte pré-électoral tendu, le pouvoir n’a pas joué la carte de l’apaisement en déclarant que le président Issoufou sortirait « vainqueur par K.O. » dès le premier tour des élections, un fait sans précédent si ce n’est après le coup d’État de 1996 et l’élection contestée du général Ibrahim Baré Maïnassara. Quant à l’opposition, si ses demandes d’expertise internationale ont permis de corriger un certain nombre d’erreurs dans le processus électoral, son refus d’accepter le vote par témoignage pour les électeurs ne disposant pas de papiers d’identité, une pratique courante lors des précédentes élections, ne montre pas plus une volonté d’apaisement.
Par leurs querelles incessantes, le parti au pouvoir comme l’opposition prennent non seulement le risque d’élections sous tension mais ils contribuent également au discrédit croissant de la classe politique aux yeux de la population. Même si le président Issoufou est réélu, il devra assumer un second mandat sur des bases plus fragiles que le précédent, sans l’élan populaire qui l’avait porté au sommet en 2011.
Mis à part l’Organisation internationale de la Francophonie, la représentante spéciale pour l’Union européenne et le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU en Afrique de l’Ouest, les autres partenaires du Niger, en particulier les alliés militaires occidentaux, sont restés silencieux face à la lente dégradation du climat politique. Pour ces pays, la stabilité à court terme du Niger l’emporte sur la nécessité de garantir un système politique ouvert. Et pourtant, pour prévenir la montée de l’extrémisme violent qui menace la région du Sahel, le meilleur rempart réside dans la capacité des États à retrouver la confiance des populations en les représentant et en défendant leurs intérêts. Au-delà du scrutin de dimanche prochain, c’est peut-être là le véritable enjeu pour le Niger.
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