Photographie : à Paris, une exposition sur des hammams tunisiens en voie de disparition
Le cycle TunICIe, organisé par l’Institut des cultures d’Islam (ICI), met à l’honneur la Tunisie pendant un semestre, avec pour premier volet l’exposition photographique « Regards posés : hammams de la médina de Tunis ».
À travers l’objectif de 19 photographes tunisiens et étrangers, les visiteurs sont invités à s’immerger au cœur de l’ambiance si particulière des hammams traditionnels, dans les dédales de la médina, dans l’intimité et la convivialité qui caractérisent ces lieux pleins d’histoire(s). Des lieux en voie de disparition.
Des photographies toutes issues du fonds photographique « Actions citoyennes en Médina ». Créé dans le cadre d’un projet original de mobilisation citoyenne pour la sauvegarde des bains historiques de la ville de Tunis, ce fonds a été lancé il y a trois ans par l’association tunisienne L’Mdina Wel Rabtine (Médina et Faubourgs).
Décidé à protéger et redonner vie à ce riche patrimoine culturel et historique, aussi bien en Tunisie que dans le reste du Maghreb, Ahmed Zaouche, spécialiste du patrimoine matériel du Maghreb et secrétaire général de l’association, a répondu aux questions de Jeune Afrique.
Jeune Afrique : Pourquoi avoir tenu à organiser cette exposition en France ?
Ahmed Zaouche : Cette édition parisienne cherche à rendre visible un pan singulier du patrimoine culturel tunisien afin d’en assurer une meilleure reconnaissance et de mobiliser des soutiens additionnels au projet de sauvegarde des hammams de la médina de Tunis.
L’exposition s’accompagne ainsi d’une riche programmation comprenant notamment des conférences et une table ronde, qui a mobilisé des chercheurs, des spécialistes du patrimoine, des artistes ainsi que des représentants de l’UNESCO afin de réfléchir à des modalités originales de sauvegarde des hammams. Une autre exposition devrait voir le jour au Palais de l’UNESCO avant l’été 2016.
Avez-vous constaté des changements concernant ces hammams depuis le lancement du projet ?
Depuis le lancement du projet, dont l’exposition photographique n’est qu’un volet, l’association a favorisé une meilleure connaissance et une plus grande reconnaissance du patrimoine des hammams en Tunisie.
Une base de données inédite a été créée : plus de 400 images, des relevés d’architectures, des interviews avec les propriétaires des hammams, huit vidéos ou encore un conte audio.
Par ailleurs, les autorités tunisiennes semblent vouloir se mobiliser : les ministres de la Culture et du Tourisme ont pris part à l’événement, de même pour l’Office national du tourisme tunisien soutient aujourd’hui l’exposition parisienne.
Pour autant, aucun hammam n’a encore été concrètement sauvé. La deuxième phase du projet, plus opérationnelle, a pour ambition de conduire une opération pilote de réhabilitation des hammams et d’accompagner des propriétaires dans le développement et l’amélioration de l’exploitation économique et culturelle de ce patrimoine.
Quels sont les rôles de l’UNESCO et du gouvernement tunisien dans ce plan de sauvegarde des hammams ?
La Commission nationale française pour l’UNESCO a accordé son patronage à l’exposition. C’est un label prestigieux qui reconnaît la qualité de notre initiative et nous donne une plus grande visibilité. Les hammams historiques sont d’ailleurs situés dans la médina de Tunis, un site classé par l’UNESCO depuis 1979.
L’UNESCO apporte une assistance technique et des instruments pour penser les projets de réhabilitation. Toutefois, les ressources de l’organisation sont limitées et ne permettent pas de financer les opérations de restauration.
Quant à l’État, ses moyens financiers sont encore plus faibles. Et bien souvent, contrairement à l’Égypte, les hammams appartiennent à des privés. On voit mal l’État exproprier à tour de bras pour finalement ne pas avoir les moyens nécessaires pour gérer ce patrimoine. L’État peut apporter un cadre juridique de protection de ces hammams et faciliter une dynamique d’investissement.
La responsabilité est donc partagée entre État, investisseurs privés, société civile et institutions internationales.
Pourquoi ce manque d’intérêt croissant sociétal et financier pour les hammams traditionnels? Quelles solutions proposez-vous pour aider à leur redonner vie ?
Dans la tourmente politique, sociale et économique que traverse la Tunisie, le sauvetage des hammams n’est pas vraiment une priorité nationale. La richesse et la diversité de ce patrimoine sont encore sous-estimées faute d’études et de recherches antérieures. Rares sont les initiatives qui ont démontré les plus-values économiques, culturelles et sociales de la sauvegarde de ce patrimoine.
Parmi les principales raisons de ce désintérêt : l’évolution des sociabilités et de l’expérience du bain collectif, le rapport au corps, à l’autre et à l’altérité ayant beaucoup évolué. Les hammams se trouvent aussi souvent dans des tissus historiques enclavés, paupérisés et difficiles d’accès. Il faut également citer le passage du chauffage au charbon vers le chauffage au gaz, imposé à Tunis dès les années quatre-vingt-dix, ce qui a fait flamber les charges de fonctionnement (plus de 1500 dinars par mois). Cela grève directement l’activité des hammams dont les prix d’entrée ne peuvent dépasser 1,700 millimes.
L’interdiction du prêt des serviettes par les hammams à la suite d’une épidémie de gale, l’impératif de revêtir les hammams de céramiques traditionnelles et d’autres mesures hygiénistes bien intentionnées ont accéléré la chute de l’activité des propriétaires de hammams, et particulièrement ceux situés dans les quartiers les plus enclavés de la vieille ville.
Trois ingrédients nous semblent nécessaires pour sauver ces lieux : une volonté, une vision ou un projet et des moyens financiers.
À court et moyen terme, l’association Lmdina Wel Rabtine s’est donnée pour objectifs de motiver et d’accompagner techniquement les propriétaires ou tenanciers de hammams historiques à optimiser la gestion de leurs biens, en suggérant par exemple des améliorations au niveau des services et de la génération de revenus, en aidant à organiser des animations culturelles ou encore en les mettant en relation avec d’autres gestionnaires de hammams.
À long terme, l’association souhaiterait pouvoir aider des investisseurs privés à acquérir un hammam et en faire un véritable chantier laboratoire. Il s’agirait de réviser l’usage des lieux et de drainer un public plus large, notamment étranger. Un hammam peut facilement abriter des espaces de restauration, une discothèque, un café culturel, une salle de conférences et de projection, voire même un musée.
Les mêmes problèmes se posent-t-ils dans le reste du Maghreb ?
C’est un phénomène qui concerne l’ensemble des pays méditerranéens. Au Caire, où les savants de Bonaparte ont relevé 77 hammams à la fin du XVIIIème siècle, il ne subsiste que sept bains. À Tunis, il n’ y en a plus que 26 sur les 50 répertoriés au début du siècle. Cette disparition remonte à quelques décennies, bien qu’elle semble aujourd’hui s’accélérer.
L’Université d’Al-Qods, par exemple, a mené deux initiatives pilotes de réhabilitation de Hammam El-Ain et Hammam Al-Chifaa à Jérusalem. Ces lieux ont été transformés en centres d’exposition et de médiation culturelle et ils constituent un véritable enjeu de reconnaissance patrimoniale et identitaire.
Au Maroc, une expérience originale de hammams écolos chauffés à l’énergie solaire a vu le jour et cela peut aussi intéresser nos hammams tunisois afin de diminuer les coûts d’exploitation.
L’exposition « Regards posés : hammams de la Médina de Tunis » s’installe à l’ICI de Paris jusqu’au 3 avril 2016 et des visites guidées gratuites de l’exposition sont prévues les 27 février et 20 mars 2016.
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