Tunisie : quand le groupe horloger Swatch poursuit une ONG anti-corruption en justice
« Quelle heure est-il ? Certainement pas le moment de poursuivre des militants anti-corruption en justice », peut-on lire depuis quelques jours sur les réseaux sociaux. Et pourtant, c’est bien l’affaire qui oppose en Tunisie l’organisation I Watch au groupe international Swatch.
Le groupe horloger suisse Swatch a en effet porté plainte contre l’organisation tunisienne de lutte contre la corruption I Watch, l’accusant de vouloir s’approprier son nom de marque. Retour sur cette affaire « David contre Goliath », dont la première audience est fixée au 9 mars 2016.
Un problème d’« horlogerie »
Fondée en 2011, au lendemain de la révolution tunisienne et de la chute du président Zine el-Abidine Ben Ali, l’organisation non-gouvernementale I Watch œuvre à garantir la transparence dans la vie publique et économique tunisiennes et se bat pour la restitution des avoirs du clan Ben Ali en Suisse.
Et en tant que garante de la transparence, I Watch a pour règle de tout révéler. Même la plainte qui vient d’être déposée à son encontre suivant l’enregistrement de son nom à l’Institut national de la normalisation et de la propriété industrielle (INNORPI).
Le 14 février 2016, l’organisation tunisienne a en effet partagé sur les réseaux sociaux une convocation de justice en arabe du tribunal de première instance de Tunis, signée par le groupe Swatch. Motif : un nom déposé un peu trop proche du sien.
« La marque [Swatch] est présente sur les marchés tunisiens depuis plusieurs années et jouit d’une excellente réputation. (…) il s’agit là d’une violation de la loi », peut-on lire, entre autres, dans cette lettre.
Les réactions, aussi bien nationales qu’internationales ne se sont pas faites attendre. Parmi elles, l’organisation Transparency International (partenaire d’I Watch en Tunisie), qui dénonce cette « incroyable » affaire.
Unbelievable! @Swatch is suing our Tunisia chapter (@IwatchTn) because they have "watch" in their name #NotOnMyWatch pic.twitter.com/YYgD5EL7MK
— Transparency International (@anticorruption) February 17, 2016
Incroyable! Swatch porte plainte contre notre partenaire en Tunisie parce son nom est composé du mot « watch ».
https://twitter.com/Munalita/status/698934074220670976
Wealthy watch company @Swatch sues #Tunisia anti-corruption watchdog @IwatchTn... while #Switzerland still hasn't returned stolen wealth
— Yasmine Ryan (@yasmineryan) February 17, 2016
La riche compagnie de montres Swatch porte plainte contre l’organisation anti-corruption tunisienne I Watch… Alors que la Suisse n’a toujours pas restitué les richesses spoliées (du clan Ben Ali).
Contacté par Jeune Afrique, Bastien Buss, un des porte-paroles de Swatch, a envoyé la déclaration officielle du groupe par mail : « Swatch Group a initié une démarche d’opposition de marque à l’égard d’I Watch, cette entité s’étant entre autres enregistrée dans la catégorie «horlogère» (classe 14). »
Mouhab Garoui, directeur exécutif d’I Watch, rappel et insiste quant à lui sur le nom complet de son association, c’est-à-dire « I Watch organization », sans portée commerciale et donc bien différent des activités de l’horloger suisse.
Quant à la catégorie d’enregistrement choisie, il a tenu à préciser sur une radio locale que celle de l’horlogerie est large, et que la raison pour laquelle l’organisation a choisie celle-ci est la mise en place d’outils internet capables de mesurer les promesses d’hommes politiques, tels que le « Essid-meter » ou le « Sebsi-meter ».
Affaire à suivre
« De manière générale, si quelqu’un tente de déposer un nom un peu trop proche d’une marque que nous avons protégée, alors nous formons une opposition. ISWATCH est un nom déposé par nos soins depuis 2007 et SWATCH depuis 1981. Par principe, nous nous devons de défendre nos intérêts partout dans le monde, aussi contre des noms similaires », nous a également envoyé Bastien Buss.
Swatch group réclame, entre autres, un dédommagement de 100 000 dinars tunisiens (environ 50 000 euros) pour tort moral, 2000 dinars (environ 1000 euros) pour couvrir les frais d’avocat et 1000 dinars (environ 500 euros) d’amende par jour de retard de paiement une fois le jugement prononcé. En cas de victoire, la marque exige aussi que la décision de justice soit publiée durant trois jours dans deux quotidiens tunisiens, un francophone et l’autre arabophone.
La société suisse demande-t-elle également que l’organisation tunisienne change de nom en cas de défaite ? À cette question, le porte-parole indique que le groupe refuse de s’exprimer d’avantage sur cette affaire, « la procédure étant en cours ».
Si l’ONG venait à perdre ce procès, Mouhab Garoui avoue ne pas savoir encore comment arriver à réunir les sommes demandées par Swatch. En cas de victoire par contre, « I Watch n’hésitera pas à porter plainte contre Swatch afin d’être indemnisée pour atteinte à l’intégrité de l’organisation », a-t-il prévenu à la radio.
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