Retour sur la « polémique Kamel Daoud » en trois questions

Suite aux vives réactions suscitées par ses articles sur les événements de Cologne, Kamel Daoud a annoncé sa retraite journalistique. Une décision qui continue de faire parler, à coups de tribunes, d’éditos, de lettres ouvertes et par collectifs interposés.

L’écrivain algérien Kamel Daoud © Wikimedia Commons/Claude Truong-Ngoc

L’écrivain algérien Kamel Daoud © Wikimedia Commons/Claude Truong-Ngoc

Publié le 25 février 2016 Lecture : 4 minutes.

Kamel Daoud n’en est pas à son premier pavé dans la mare. Mais son dernier semble pourtant peser plus lourd que les autres… au point de faire déborder le vase.

Dans sa tribune intitulée « Cologne, lieu de fantasmes », publiée fin janvier dans Le MondeLa Reppublica, et le New-York Times, l’auteur algérien revient sur les agressions sexuelles commises la nuit du 31 décembre dans la ville de Cologne (Allemagne).

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Accusé de relayer des idées « islamophobes », il prend finalement la décision de se retirer des médias « sous peu » pour «s’occuper de littérature ». « Je vais aller écouter des arbres ou des cœurs. Lire. Restaurer en moi la confiance et la quiétude. Explorer. Non pas abdiquer mais aller plus loin que le jeu de vagues et des médias », a-t-il écrit dans une lettre publiée le 20 février. Ironie du sort, pour celui qui venait de recevoir le prix Jean-Luc Lagardère du meilleur journaliste de l’année.

Mais pourquoi une telle polémique ? Retour sur les tenants et les aboutissements de cette histoire qui dure.

Qu’est-ce qui gêne dans ses propos ?

Pendant la nuit du nouvel an, des centaines d’agressions sexuelles (dont des viols) ont été commis sur trois places publiques allemandes. Premiers sur le banc des accusés : les migrants, des hommes « issus de l’immigration », « d’origine arabe et nord-africaine ». Ces hommes n’ont pourtant pas encore tous été officiellement identifiés à la date d’aujourd’hui.

Revenant sur ces événements, Kamel Daoud adopte, tout en restant prudent sur l’identité des agresseurs, une approche culturelle et religieuse en évoquant, entre autres, le sexe comme étant « la plus grande misère dans le ‘monde d’Allah’ ». Il met ainsi en parallèle le rapport tabou à la femme « niée, refusée, tuée, voilée, enfermée ou possédée », l’Islam et l’immigration. Trois thèmes épineux, un rapprochement prédestiné à faire des étincelles.

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Ce que certains ont dénoncé suite à la publication de ces tribunes, c’est un risque de diabolisation de la communauté musulmane dans les pays occidentaux, une tendance à la généralisation et aux préjugés, qui ont déjà la vie dure.

Dans le New-York Times, il estime qu’« aujourd’hui, avec les derniers flux d’immigrés du Moyen-Orient et d’Afrique, le rapport pathologique que certains pays du monde arabe entretiennent avec la femme fait irruption en Europe. (…) Le grand public en Occident découvre, dans la peur et l’agitation, que dans le monde musulman, le sexe est malade. »

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Qui dénonce ce qu’a écrit de Kamel Daoud ?

La réponse ne se fait pas attendre. Le 12 février, une tribune collective intitulée « Les fantasmes de Kamel Daoud » paraît. Historiens, sociologues, anthropologues, ou encore politistes accusent Kamel Daoud de « recycle[r] les clichés orientalistes les plus éculés », d’ « alimenter les fantasmes islamophobes d’une partie croissante du public européen, sous le prétexte de refuser tout angélisme », et de « livre[r] une série de lieux communs navrants sur les réfugiés originaires de pays musulmans ».

Parmi ces signataires, Noureddine Amara, doctorant en histoire à Oran, a ajouté : « Cologne attendait une contre-enquête, et vous nous avez livré votre théorie sur le monde. Vous faîtes le constat d’une impossibilité de savoir, mais vous plaquez à une réalité contingente une hypothèse que le génie de vos mots fait trôner en vérité irrésistible. »

Le journaliste américain Adam Shatz, qui avait été amené à rencontrer l’auteur algérien, l’a également interpellé dans une lettre ouverte en écrivant : « C’est difficile d’imaginer que tu pourrais vraiment croire ce que tu as écrit. » C’est suite à ces accusations que Kamel Daoud a décidé d’arrêter, dit-il, le journalisme.

Quant à l’ethnologue Jeanne Favret-Saada, elle a écrit : « Ce n’est pas que le constat qu’il établit me paraisse faux : il existe, de fait, un problème massif de relation entre les immigrés/réfugiés et les femmes des pays où ils émigrent. Mais, d’une part, Daoud l’exprime avec une insigne maladresse, en recourant aux clichés les plus éculés sur la sexualité de l’Arabe -le « musulman ». D’autre part, on ne voit pas au nom de quoi il pourrait demander, par exemple aux femmes d’Europe, de prendre sur leurs genoux des bambins « musulmans » au sexe turgescent, et de leur enseigner les bonnes manières. »

Sur quels soutiens peut-il compter ?

Dans Le Point, un des journaux pour lequel écrivait Kamel Daoud, son directeur Étienne Gernelle s’insurge contre « la meute et les lâches » : « C’est bien là le fardeau de Kamel Daoud : devoir supporter en Algérie les fanatiques de la religion et en France les imbéciles gaucho-régressifs. »

Au rang de ses défenseurs, l’ex-chroniqueur du Quotidien d’Oran peut aussi compter sur l’activiste du mouvement Femen Inna Shevchenko, qui explique « pourquoi il faut soutenir Kamel Daoud », les philosophes Alain Finkielkraut et Michel Onfray, la militante Sérénade Chafik, la journaliste et écrivaine tunisienne Fawzia Zouari ou encore la journaliste Sophie Bélaïch.

L’écrivain sénégalais Mohamed Mbougar Sarr s’est aussi exprimé en déplorant le fait que « Kamel Daoud a su résister à une fatwa, mais c’est une tribune d’universitaires qui l’aura atteint. (…) il faut croire que le mépris intellectuel qu’on vous jette à la face est parfois plus dévastateur que la promesse du meurtre. »

Sans oublier le journal algérien El Watan, qui rappelle dans un article que « comme toutes les autres, la société algérienne a plus que jamais besoin des Kamel Daoud pour mieux disséquer les maux qui la traversent et malmener des certitudes mortifères ».

Avant de tirer sa révérence, Kamel Daoud revient néanmoins au-devant de la scène médiatique avec une nouvelle réponse dans la version papier du Point datée du 25 février 2016, en commençant ainsi : « Quand la mer s’agita, les marins décidèrent que c’était la faute de Jonas et le jetèrent par-dessus bord. »

Et d’ajouter : « Entre l’Occident qui a peur et le monde d’Allah qui fait peur, cet intellectuel peut être tenté par le silence ou être soumis à l’inquisition de quelques pétitionnaires qui l’accuseront d’avoir provoqué la tempête.  (…) Je dénonce ce que je subis non pas pour plaire, ou attaquer, mais parce qu’il s’agit de ma liberté. »

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