Paul Derreumaux : « BOA a joué les pionniers »
Le fondateur de Bank of Africa, 64 ans, passera le relais en 2011 à Mohamed Bennani, homme fort du marocain BMCE Bank. L’occasion d’un bilan et d’un regard acéré sur l’évolution d’un secteur clé.
Paul Derreumaux : Nous venons d’arrêter nos comptes consolidés : en 2009, nous avons poursuivi notre progression. Le total de bilan franchit le seuil des 2,5 milliards d’euros [2,3 milliards en 2008, NDLR], les dépôts sont supérieurs à 1,9 milliard, le produit net bancaire a progressé modestement, à 163 millions d’euros. Quant au bénéfice net consolidé après impôts, il a atteint 35 millions d’euros, en baisse de 36 % par rapport à 2008, mais de seulement 16 % si on déduit des profits de 2008 les plus-values exceptionnelles engrangées cette année-là par notre filiale d’investissement.
Pourquoi ces résultats mitigés ?
Notre activité reflète la réalité d’une crise qui a eu un impact sur les économies et donc sur les banques du continent. Les bénéfices de toutes les banques d’Afrique sont en fort repli. D’où leur volonté de renforcer leur politique de rigueur en maîtrisant les coûts et les risques. La crise a notamment diminué la qualité de notre portefeuille, avec un taux d’impayés des entreprises en hausse.
Quelle crise ? Le FMI dit que l’économie repart…
Fin 2008, le FMI nous annonçait une croissance zéro pour l’Afrique. Il s’est trompé. Là, il nous dit que l’économie repart. Or je suis convaincu que si le continent a un taux de croissance moyen de 4 % ce sera bien…
Comment vous adaptez-vous ?
Nous maintenons une politique d’extension géographique. Les places sont à prendre maintenant. Notre stratégie continentale nous demande toutefois encore plus de rigueur et d’effort interne. Nous ne changeons pas de cap, mais nous tenons plus fermement le gouvernail, car notre bateau évolue sur une mer agitée. Concrètement, il nous faut appliquer toutes les règles de bonne gestion et réaliser des efforts majeurs pour optimiser nos coûts d’exploitation. Ensuite, comme notre portefeuille tend à se dégrader, nous devons obtenir des entreprises qu’elles respectent leurs engagements et réserver le crédit à celles qui ont la capacité de faire face à la crise.
Ceux qui accusent les banques africaines de ne pas financer les entreprises ont donc raison ?
Non, déjà, près de 80 % de nos encours sont dans des entreprises et seulement 20 % auprès des particuliers. Cependant, il ne faut pas oublier que notre première responsabilité est de gérer l’épargne et les fonds que l’on nous confie. Les banques ont changé. Elles sont ambitieuses, actives et en compétition, y compris pour financer les PME. Si ce créneau nous intéresse, nous cherchons aussi à préserver notre existence et notre rentabilité.
Comment évolue le secteur ?
Il s’est décloisonné depuis trois à quatre ans. Des acteurs aux ambitions continentales ont émergé, comme notre groupe en s’alliant avec la BMCE. On trouve ensuite des banques régionales, dont certaines ont l’ambition d’atteindre le niveau continental. Seuls les Sud-Africains restent mystérieux, car ils sont peu sortis de leurs bases durant cette période. Enfin, il reste des banques nationales. Certaines resteront à l’intérieur de leurs frontières en occupant des niches, d’autres s’arrimeront à des groupes régionaux ou continentaux.
Comment se profile 2010 pour BOA ?
En mai, nous avons ouvert une filiale à Paris, BOA-France, qui s’intéressera aux flux financiers réalisés par les personnes physiques entre l’Europe et nos douze pays d’implantation. On parle d’un marché de 1 milliard d’euros. En avril, nous avons ouvert une filiale bancaire en RD Congo. Nous y créerons trois agences d’ici à la fin de 2010 et cinq en 2011. Il faut aller vite. En 2008, le pays comptait 50 000 comptes bancaires, il y en a plus de 200 000 aujourd’hui. Nous avons aussi ouvert début 2010 une société de gestion d’actifs à Abidjan, BOA Asset Management, et nous travaillons actuellement à une implantation au Togo. Nous serons alors présents dans tous les pays de l’UEMOA, hormis la Guinée-Bissau. Nous souhaitons enfin nous implanter plus fortement en Afrique centrale et continuer à nous étendre en Afrique anglophone. Nous sommes par exemple dans quatre pays de l’East African Community (Kenya, Ouganda, Tanzanie et Burundi), il nous reste à trouver une opportunité au Rwanda. Nous avons enfin deux à trois projets d’implantations nouvelles d’ici à la mi-2011.
La cotation de BOA Côte d’Ivoire a été le moment fort du début d’année. Quel bilan en tirez-vous ?
L’opération a été un grand succès. En janvier 2010, il y a eu une sursouscription de 190 % lors de l’offre publique de vente. C’est la première fois, m’a-t-on dit, qu’il y a eu une suspension de cote le premier jour d’une introduction. À 23 000 F CFA [35 euros, NDLR], le titre avait franchi la limite haute de variation du cours de 7,5 %. Aujourd’hui, le cours est à plus de 30 000 F CFA.
Qu’attendez-vous de l’opération ?
Nous allons faire ce que font trop peu de sociétés qui sont cotées à Abidjan : lever des capitaux. Deux émissions d’actions nouvelles sont prévues d’ici à décembre 2010. Elles nous permettront d’augmenter le capital social de 2 autres BOA cotées. Nous voulons aussi être présents sur des secteurs qui nécessitent des ressources à moyen terme, comme le financement de l’habitat. Nous reviendrons donc sur le marché obligataire avant la fin de 2011.
Où en est le marocain BMCE Bank dans le capital du groupe ?
BMCE en détient environ 45 % et doit porter sa participation à plus de 50 % en 2010. Tout devrait être finalisé au quatrième trimestre. Une augmentation de capital est par ailleurs en cours et se terminera fin août, ce qui augmentera le capital nominal de notre holding de 10 millions et ses fonds propres de 34 millions. Il s’agit de la première de quatre tranches qui doivent aboutir dans les trois ans à une augmentation du capital de nos fonds propres d’environ 135 millions d’euros.
Quel sera l’impact de cette prise de contrôle ?
Rien ne changera dans la stratégie et dans les équilibres fondamentaux entre les actionnaires. BOA restera un groupe privé, professionnel, intéressé par toutes les catégories de publics, avec un actionnariat à majorité africaine, une ambition continentale, et ouvert aux partenaires institutionnels. C’est une stratégie gagnante.
Est-ce aussi simple ? Le groupe BMCE est en pleine réorganisation.
Il faut plutôt poser la question au Président, M. Benjelloun.
Allez-vous quitter votre poste de PDG ?
Mohamed Bennani [60 ans, administrateur et directeur général délégué de BMCE, NDLR] me succédera au 1er janvier 2011. C’est un très bon professionnel.
Où serez-vous le 1er janvier 2011 ?
Je serai à Bamako, je profiterai de quelques jours de vacances… Quant à ma nouvelle fonction, je ne sais pas. Il est fort possible que je reste pour contribuer à construire l’avenir du groupe, sous d’autres formes.
Quel regard portez-vous sur trente ans passés à la tête de BOA ?
En 1982, les créateurs avaient essentiellement en tête un projet original, une ferme volonté et le souhait de créer le plus de BOA possible. Nous ne pouvions imaginer que nous serions présents si vite dans douze pays, avec un tel poids. Nous avons joué les pionniers. Nous avons été les premiers à sortir de l’UEMOA, à faire de la monétique par nos propres moyens et, ce dont je suis peut-être le plus fier, à étendre nos activités à l’Afrique anglophone en 2004. Nous avons aussi été les premiers, en 2007, à conclure un accord interrégional en nous associant avec un groupe marocain. Je ne connaissais pas M. Othman Benjelloun avant 2007, mais j’ai rencontré un homme qui partage cet esprit de pionnier et qui a la même vision : bâtir un groupe à l’échelle africaine.
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