Aux origines du racisme

Au commencement était le centre.

Photo d’illustration – Manifestation contre le racisme au Maroc devant le parlement, en septembre 2014, après le meurtre d’un Sénégalais à Tanger. © Abdeljalil Bounhar/AP/SIPA

Photo d’illustration – Manifestation contre le racisme au Maroc devant le parlement, en septembre 2014, après le meurtre d’un Sénégalais à Tanger. © Abdeljalil Bounhar/AP/SIPA

  • Marcel Zang

    Marcel Zang est né au Cameroun. Écrivain, poète et auteur dramatique, il a fait paraître nombre de ses textes dans des journaux, magazines, revues. Sa dernière publication : « Pure vierge » (Ed. Actes Sud-papiers).

Publié le 1 mars 2016 Lecture : 5 minutes.

Parlant du centre, le dictionnaire des symboles dit ceci : « Les images de centre et d’axe, dans la dynamique des symboles, sont corrélatives et ne se distinguent que par leur point de vue : une colonne vue de son sommet est un point central ; vue de l’horizon, à la perpendiculaire, elle est un axe. Ainsi le même lieu sacré, qui recherche toujours la hauteur, est-il à la fois centre et axe du monde. » (Jean Chevalier et Alain Gheerbrant)

Le symbolisme du centre permet de mettre en relief deux de ses attributs : le premier c’est le centre défini comme Principe, c’est-à-dire, étymologiquement, « commencement », « origine », puis fondement, siège, foyer de rayonnement et de convergence. Le second trait est la correspondance entre le centre et l’axe « qui recherche toujours la hauteur ».

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Cette dernière propriété explique pourquoi tout centre a tendance à se croire « supérieur », à réduire tout ce qui n’est pas de son champ d’appartenance, tout ce qui est autre, extérieur au centre. Celui qui n’est pas soi est un obscur, un singulier pluriel, un « étrange » – donc « inférieur ». Il faudrait trébucher sur ce « donc »; cette conjonction est censée lier deux éléments : l’antécédent « étrange » et le conséquent « inférieur »; pourtant, à s’y pencher, rien n’indique une causalité directe entre ces deux termes : l’étrangeté n’implique pas nécessairement l’infériorité.

Ce n’est pas parce qu’il est différent, étrange, autre, qu’il est inférieur

Mais c’est ainsi : ce n’est pas parce qu’il est différent, étrange, autre, qu’il est inférieur ; c’est parce que étant étrange, différent, autre, il s’expose comme centre, nouveau centre – par l’attention qu’il crée (« Qu’est-ce que c’est ? »), donc susceptible de subvertir le centre en place, de le décentrer – qu’il représente une menace, qu’il suscite la méfiance, l’angoisse, la peur, l’hostilité, voire le rejet, la répulsion ou le mépris (refus délibéré de prise en regard), et ce d’autant plus que le centre en place se sent peu sûr de son fondement.

Alors penser l’étrange, penser le différent, penser l’autre comme inférieur résulte tout simplement d’une logique abdominale, d’une réaction de défense, car il y va de la survie du centre. Comme on le voit, c’est un problème d’ordre géométrique, une question de pouvoir, d’espace vital. Comme il n’existe qu’un seul centre, on luttera donc pour la conquête et la préservation du centre, de son centre, centre du monde.

Instinct de conservation. Naturel. Toute personne, comme chaque peuple, se réclame et se pose comme centre ; et, dans un groupe, celui qui le plus haut lève le doigt attire l’attention et devient centre; de même est centre celui qui détient la parole, et celui qui donne la parole, et centre celui qui prend la parole, et centre encore celui qui initie à la parole, et centre aussi celui qui s’oppose à la parole – tous objets d’attention et, dans le même temps, maîtres du « commencement », premier attribut symbolique du centre.

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Ainsi celui qui détient le « commencement » (source, origine, géniteur, initiateur, inventeur, créateur, premier en ceci ou en cela) peut à juste titre s’en prévaloir pour revendiquer et conforter sa position de centre, centre du monde, aliéner le reste, conchier l’autre et jouir du sommeil du « supérieur ». « Sed gloria primis » (la gloire appartient aux premiers). C’est pourquoi le contrôle du « commencement » a de tout temps constitué un enjeu capital et n’a cessé d’engendrer des rivalités civilisationnelles, des réécritures, des occultations, des détournements, des falsifications, des guerres, des luttes implacables, souterraines, idéologiques (être le premier, être à la source, être le créateur, être l’absolu producteur de croyances, de savoirs, de techniques, de morale, de valeurs universelles, etc.).

Entre parenthèses, le mot « racisme » vient du latin « ratio » qui signifie rapport de deux grandeurs

Entre parenthèses, le mot « racisme » vient du latin « ratio » qui signifie rapport de deux grandeurs et aussi ordre chronologique (Ève est née de la côte d’Adam, n’est-ce pas ? Cette antériorité confère donc à Adam la prééminence, la position de centre, puisqu’il détient le « commencement ». L’homme précédant la femme dans l’ordre de la création, rien de plus « naturel » et légitime qu’il ait ainsi le pouvoir et soit l’élément dominant). Et comme la notion de « commencement » est intimement liée à l’origine, à la pureté (« chaste »; « sans mélange »), on comprend dès lors que le centre ne peut être que pur, tandis que l’impur et le sexe sont associés à l’étrange, au différent, à l’altérité, tout comme le Mal.

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C’est toujours l’Autre qui porte le sexe et l’introduit dans le centre, souillant l’espace de pureté. Si le « Je » est pur, le « Je-u » lui est impur ; si le connu est pur, l’inconnu est impur ; si le plein est pur, le vide est impur ; si l’Identité est pure, la Différence est impure ; si Le Même est pur, l’Autre est impur ; si L’Un est pur, le Multiple est impur ; si le dedans est pur, le dehors est impur ; si la raison est pure, l’émotion est impure (on sait que l’émotion naît du vide, de l’Autre). Ce n’est en fin de compte et rien d’autre, tout le long, qu’une histoire de pur et d’impur.

Du point de vue de l’homme blanc par exemple l’image du Noir et de la femme a toujours été entachée de sexe et d’impureté

Et c’est ainsi que du point de vue de l’homme blanc par exemple – centre et pureté par excellence et pour l’heure – l’image du Noir et de la femme a toujours été entachée de sexe et d’impureté (des « personnes du sexe », comme on désignait les femmes naguère ; des « gens de couleur » ou gens à « gros sexe » ou « qui ont le rythme dans la peau », comme on dit encore des Noirs et des métis aujourd’hui – la couleur et le rythme étant mélange et alternance des différences, autrement dit impureté).

C’est bien pour cela que la mythologie judéo-chrétienne détourna la Faute originelle, née de l’introduction du langage et du contact avec l’Autre, pour frapper le Noir de malédiction et imputer à la femme la responsabilité du péché de chair et de la Chute – confinant ainsi hors du monde de la pureté, hors du centre, les deux humanités les plus dangereuses à ses yeux, humanités porteuses de sexe et du Mal. Et voilà comment du même jet « divin », le père-Noir, la compagne de toujours et l’altérité furent boutés hors du cercle du pouvoir, hors du jardin édénique, et promis aux flammes éternelles. Exit le nombre, le langage et l’altérité. Bienvenu au totalitarisme, à la xénophobie et au racisme. Car au commencement étaient l’Un et la pureté.

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