Tunisie : le groupe Loukil met l’accent sur l’international

Présent dans treize pays africains, le groupe diversifié tunisien Loukil compte sur l’étranger pour se développer.

Le siège historique de l’entreprise, en plein centre de Tunis. © ONS ABID pour J.A.

Le siège historique de l’entreprise, en plein centre de Tunis. © ONS ABID pour J.A.

Julien_Clemencot

Publié le 3 février 2012 Lecture : 5 minutes.

Décembre 2011 : Walid Loukil reçoit au siège historique du groupe, un immeuble sans luxe, rue de Carthage, en plein centre de Tunis. Comme toujours, le jeune dirigeant sait mettre son visiteur à l’aise. Entré dans l’entreprise en 1998, il pilote aujourd’hui l’empire familial – 28 sociétés – avec son frère Bassem. « En fonction des problèmes, chacun joue sa partition, explique une ancienne relation d’affaires. Walid, c’est l’ambassadeur, tandis que l’aîné est plutôt chargé de monter au front si besoin est. Mais pour toutes les décisions stratégiques, les deux se soumettent à l’approbation de Mohamed, leur père. »

Essor en Afrique

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Pour l’heure, la famille Loukil attend, comme tous les patrons tunisiens, de voir quelle direction va prendre le pays. Les élections viennent de porter les islamistes d’Ennahdha au pouvoir ; mais même si les discours officiels se veulent rassurants, en 2012 l’actualité du groupe sera surtout orientée vers l’international.

Depuis deux ans, il a accéléré son essor en Afrique, du Mali à la Côte Ivoire (réseaux télécoms, mécanique, matériel agricole, etc.). « C’est une décision du fondateur, avant même la révolution », explique Walid Loukil, artisan du développement sur le continent, quand son frère supervise en priorité le marché algérien. Et c’est hors des frontières qu’il place le plus d’espoir pour les mois à venir. « D’ici quelques semaines, nous attendons une réponse de Sonatrach pour la fabrication de réservoirs de pétrole », illustre l’industriel.

Car contrairement à ce que pensent certains observateurs tunisiens, les Loukil ne se contentent pas d’être de prospères commerçants, distributeurs des automobiles Mazda et Citroën, des produits d’électronique grand public Panasonic, des ordinateurs Acer ou encore du matériel électrique Legrand. Ils sont avant tout des industriels. D’ailleurs, une bonne part de leurs 3 600 salariés travaille dans les usines de Sfax, de Sousse et de Menzel Bourguiba à la conception de superstructures industrielles, de transformateurs électriques ou d’articles en inox, du robinet à la casserole.

À 72 ans, le fondateur est moins présent, mais pas question pour lui de passer la main

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Patriarche

Pour mieux comprendre le fonctionnement du groupe, passé de 152 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2006 à 367 millions d’euros en 2010, il faut descendre deux étages au sein du quartier général et pénétrer dans le bureau du fondateur. À 72 ans, Mohamed Loukil n’assure plus qu’une matinée de présence quotidienne, mais pas question pour lui de passer la main.

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Originaire de Sfax, fils d’un commerçant textile, l’homme a d’abord visé une carrière au sein du ministère de l’Agriculture après des études d’ingénieur. Mais l’échec, en 1969, du système des coopératives agricoles mis en place par le ministre du Plan, de l’Économie et des Finances, Ahmed Ben Salah, sonne le glas de ses ambitions dans l’administration. Critiqué pour y avoir participé, Mohamed Loukil démissionne. En 1970, il devient directeur commercial du distributeur français de matériel agricole Montenay. Deux ans plus tard, le voilà directeur central, autorisé à assister au conseil d’administration. Les résultats obtenus – il a multiplié par six les revenus de la société – le poussent, fin 1976, à créer sa propre affaire en achetant un garage spécialisé dans les véhicules d’occasion. Novateur, il est alors le premier à se tourner vers l’Asie pour commercialiser les tracteurs japonais Kubota puis Kawasaki.

« Vendre, c’est facile. À mes yeux, devenir un industriel avait plus de valeur », confie-t-il. En 1981, le jeune patron réalise son rêve en inaugurant sa première usine de matériel agricole, à Sfax. L’unité de production, qui s’étend désormais sur 76 000 m2, est toujours l’un des joyaux de la maison Loukil. Sur les dix-huit derniers mois, 22 millions de dinars (11,3 millions d’euros) ont été investis pour la mettre à niveau. Mas d’éolienne, pylônes pour les réseaux télécoms, bennes, remorques… Elle s’est progressivement diversifiée, comme le groupe. « La Tunisie est un petit pays, et donc un petit marché », justifie le patriarche. Ses fils ont aussi aidé à étoffer le portefeuille d’activités. Formé aux États-Unis, Bassem est par exemple à l’origine de l’essor du groupe dans l’informatique dès 1992, via la commercialisation de matériel et de logiciels. Avec son frère, il a également misé sur la téléphonie mobile, en représentant Samsung mais aussi en développant, à partir de 2000, une enseigne baptisée Fono (34 points de vente), qui propose à la fois des ordinateurs et des téléphones. La famille Loukil a, depuis, récidivé en créant en 2009 une seconde chaîne de magasins, Elektra, tournée vers les univers de l’image, du son et de l’électroménager.

Comment piloter un ensemble aussi hétéroclite ? « Je n’ai jamais lésiné sur la qualité de mes collaborateurs, souligne Mohamed Loukil. Le groupe emploie 500 diplômés du supérieur. » Surtout, le président s’appuie depuis 2007 sur une véritable « police des polices », Loukil Management Conseil, chargée de procéder à des audits des filiales, ainsi que d’étudier les possibilités de développement et d’apporter une expertise pour le recrutement. Avec à la clé des décisions parfois radicales, comme le débarquement en 2010 du directeur général de Sacem (fabrication de transformateurs électriques, de panneaux solaires, etc.) en raison de mauvais résultats.

Acharnement

La réussite du conglomérat n’a pas été sans attirer l’attention de l’autocrate Ben Ali. Mais Mohamed Loukil jure ne jamais avoir été proche du pouvoir. La réalité, comme pour beaucoup de grands patrons tunisiens, est évidemment plus complexe, et la relation avec le palais de Carthage a été faite de hauts et de bas. Ainsi la reprise de la marque Citroën en 2006, contre l’avis du président d’alors, s’est-elle soldée par plusieurs années d’acharnement administratif et fiscal. Pas moins de dix-sept contrôles ont été diligentés pour passer au peigne fin les affaires du groupe. « Les inspecteurs du fisc avaient leur propre bureau dans nos locaux », se souvient Bassem. De mauvaises relations que les frères parviendront à aplanir. En 2009, ils seront même candidats (malheureux) à l’attribution de la troisième licence de téléphonie mobile, en association avec Mohamed Sakhr el-Materi, gendre de Ben Ali, et le groupe Turkcell.

Un an après la révolution, la famille Loukil est loin de regretter les anciennes pratiques. La période n’a pourtant pas été simple pour le groupe. Plusieurs de ses activités (vente de matériel de BTP en tête) ont enregistré des chutes de chiffre d’affaires allant de 40 % à 60 %. Un contexte qui l’a poussé à s’endetter plus qu’à l’habitude. Pour le conglomérat, 2012 devrait en conséquence être une année d’économies et de rationalisation des gammes, avec l’abandon probable de certains produits comme les fertilisants. Afin d’assurer la pérennité de son groupe, Mohamed Loukil envisage aussi d’introduire 30 % du capital en Bourse : « Un bon moyen d’apporter encore plus de rigueur dans nos standards. » Sans parler du prestige procuré par une telle opération, qui ne déplairait pas au fondateur.

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