Esclavage et réparations : des associations guadeloupéennes assignent l’État français
Le tribunal de Pointe-à-Pitre devait examiner ce vendredi l’assignation déposée contre l’État français par plusieurs associations guadeloupéennes. En cause : l’indemnisation des colons, au moment où la France abolissait l’esclavage, au détriment des victimes de ce crime contre l’humanité.
À l’heure d’abolir définitivement l’esclavage, en 1848, la France n’avait pas indemnisé les esclaves, mais uniquement les esclavagistes. Aussi depuis quelques années, la question – sensible – des réparations financières qui pourraient être versées par la République françaises aux descendants d’esclaves ne cesse de rebondir.
« L’Assemblée nationale réglera la quotité de l’indemnité qui devra être accordée aux colons », stipulait l’article 5 du décret-loi du 27 avril 1848. Un an plus tard, la loi d’indemnisation des colons fixait leur préjudice, pour la perte de 247.810 esclaves, à la somme de 123.784.426 de francs or. L’équivalent de 4,4 milliards d’euros, selon l’historien et écrivain Claude Ribbe, spécialiste de cette période.
Réparation
En mai 2015, Liyannaj Kont Profitasyon (LKP Guadeloupe), l’Union générale des travailleurs de Guadeloupe (UGTG), la Fondation Frantz-Fanon, et le Collectif de l’ouest de Sainte-Rose et environs (Cose) déposaient une assignation contre l’État français pour demander réparation des « politiques criminelles de colonisation et de mise en esclavage en Guadeloupe ». Dans leur requête, les organisations réclament la désignation d’un « collège d’économistes, d’historiens, de démographes et d’agronomes chargé de fournir tous les éléments d’appréciation du préjudice économique et social causé aux populations de Guadeloupe ». Elles entendent également obtenir la condamnation de l’État français au « paiement d’une provision de 200.000 euros à chaque requérant afin de constituer un organe de travail dédié à l’étude et à l’évaluation du préjudice ». Une première audience devait se tenir ce 4 mars, à 8 heures locales, au tribunal de Pointe-à-Pitre.
Questions prioritaires de constitutionnalité
Au-delà de cette requête, l’assignation des associations guadeloupéennes s’accompagne de deux Questions prioritaires de constitutionnalité qu’elles entendent voir transmises au Conseil constitutionnel. Selon elles, l’inégalité de traitement entre anciens esclaves et anciens colons dans les textes de 1848 et 1849 sont en effet contraires aux dispositions de la Constitution. Il convient donc de les abroger, « avec toutes les conséquences que cela suppose ».
« Leur démarche a le mérite de rappeler que l’indemnisation des esclavagistes, en 1849, était illégitime, estime Claude Ribbe. Mais il ne va pas être simple de démontrer juridiquement qu’elle était illégale, car le tribunal risque de se retrancher derrière le principe de non-rétroactivité des lois civiles. »
Jusque là des démarches qui n’ont pas prospéré
En janvier 2013, Rosita Destival, une descendante d’esclaves d’origine guadeloupéenne avait engagé une démarche similaire. Elle avait assigné l’État pour crime contre l’humanité, faisant valoir l’inconstitutionnalité des lois de 1848-1849 et demandant réparation du préjudice subi. Huit ans plus tôt, déjà, le Mouvement international pour les réparations (MIR), rejoint par 64 descendants d’esclaves, avait saisi le tribunal de Fort-de-France d’une requête visant à obtenir réparation, invoquant la reconnaissance de l’esclavage comme crime contre l’humanité par la loi Taubira, en 2001.
Des démarches qui, jusque-là, n’ont pas prospéré. Pour l’État français, la loi Taubira est purement mémorielle et n’évoque qu’une réparation « symbolique » et « morale ». Le 10 mai 2013, lors de la journée commémorative de l’abolition de l’esclavage, François Hollande avait lui-même évoqué « l’impossible réparation » des traites négrières et de l’esclavage, prônant plutôt, en guise de repentance, « la paix des mémoires réconciliées ».
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