(In)Tolérance africaine
Étrange objet que ce sondage sur le degré de tolérance en Afrique rendu public le 2 mars par Afrobarometer, réseau de recherche conjoint d’inspiration sud-africaine et américaine, qui n’en est pas à son coup d’essai en la matière.
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 7 mars 2016 Lecture : 3 minutes.
Réalisée dans trente-trois pays du continent, cette enquête d’opinion, présentant apparemment toutes les garanties de sérieux, débouche sur la conclusion suivante : si on est jeune, urbain, aisé, subsaharien, éduqué et connecté, on est plus tolérant. Si on est âgé, musulman, maghrébin, rural et ressortissant d’un pays ethniquement et religieusement homogène, on l’est moins.
Ainsi se trouverait vérifiée la « théorie du contact », élaborée il y a soixante ans par le psychologue Gordon Allport, selon laquelle les brassages de populations diverses réduiraient ipso facto les préjugés entre groupes. Globalement et en dépit des disparités régionales, le niveau de tolérance des Africains serait d’ailleurs particulièrement élevé, à l’exception (fâcheuse) d’un sentiment homophobe partagé par la grande majorité des personnes interrogées : 97 % des Sénégalais, 89 % des Camerounais, 85 % des Tunisiens et des Marocains, 82 % des Ivoiriens feraient ainsi des cauchemars à l’idée d’avoir des voisins homosexuels.
Quid des expulsions massives d’étrangers et des discours xénophobes ?
Cet aveu de culpabilité (qui n’en est pas une aux yeux des sondés, tant l’homophobie reste décomplexée sur le continent) serait-il le seul espace de sincérité de cette très médiatique enquête ? C’est possible, tant les réponses semblent parfois dictées par le politiquement correct. Exemple : plus de 90 % des Gabonais, des Burundais, des Ivoiriens, des Camerounais, etc., jurent qu’ils accueillent les immigrés à bras ouverts, acceptent volontiers les confessions différentes et n’ont aucun problème avec les membres d’autres ethnies que la leur.
Quid des expulsions massives d’étrangers et des discours xénophobes ? Quid des conflits entre autochtones et allochtones pour les terres ancestrales ? Quid de la stigmatisation des mariages interethniques et du traitement discriminatoire réservé aux Africains non nationaux dans les ports, les aéroports et les quartiers des capitales ? Quid des « nations ethniques » gravées dans le marbre constitutionnel en Éthiopie et au Nigeria au nom de la fédération ? Certes, on dira à raison que le colon a figé et théorisé la notion d’ethnie, que les pouvoirs qui lui ont succédé l’ont instrumentalisée et que, si le multipartisme s’est souvent transformé en machine à sécréter de la tribalité, c’est aux politiciens qu’en incombe la faute.
Quitte à remettre en question les résultats en trompe-l’œil de ce type de sondage, ils ne sont ni plus ni moins tolérants que les autres
Mais, qu’on le veuille ou non, les Africains sont les premiers acteurs de leur histoire et les premiers comptables de leurs propres errements. Quitte à remettre en question les résultats en trompe-l’œil de ce type de sondage, ils ne sont ni plus ni moins tolérants que les autres. Y compris, hélas, la jeunesse, fonds de commerce des afro-optimistes béats. Certes, face à la majorité réduite aux stratégies de survie, une minorité de jeunes urbains tiennent le discours du business, de la réussite et de l’égalité des chances. Avant, souvent, de tirer parti du système dès que l’occasion en est donnée au profit de leur famille et de leurs proches. On ne se méfiera d’ailleurs jamais assez de ces enquêtes d’opinion où le sondé donne la réponse que, selon lui, le sondeur attend. En Afrique, où il n’est pas rare de participer au meeting du candidat au pouvoir avant d’assister, avec le même enthousiasme apparent, à celui de son rival, on ne livre pas le fond de sa pensée à un inconnu.
À propos d’élection, justement. Sur l’index de la tolérance d’Afrobarometer, qui agrège les différents éléments du sondage, le Niger arrive à la… dernière place, juste derrière la Tunisie et le Maroc. Or le premier tour de la présidentielle vient de s’y dérouler dans la transparence. Alors que certains de ses pairs n’auraient pas hésité à détourner à leur profit le petit 1,5 % de voix manquantes pour faire l’économie d’un second tour, Mahamadou Issoufou s’est résolu à ne pas gagner dans la tricherie. Du coup, ses adversaires, qui avaient cru bon de rejeter par avance les résultats, sont aujourd’hui les premiers à s’en prévaloir. Belle leçon de… tolérance.
Nota : À titre d’antidote aux jugements et conclusions simplistes, la nouvelle édition remaniée et augmentée de L’Afrique des idées reçues vient de paraître chez Belin, à Paris, sous la direction du géographe Georges Courade (412 pages, 23 euros). À lire ou à relire d’urgence.
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