Thierry Zomahoun : « Il faut revaloriser la fonction des enseignants de sciences en Afrique »

Le Béninois Thierry Zomahoun, président-directeur général du réseau Next Einstein Initiative depuis 5 ans, revient sur les enjeux du Next Einstein Forum organisé à Dakar et, plus largement, sur celui des sciences dans le développement du continent.

Thierry Zomahoun. © DR

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Publié le 9 mars 2016 Lecture : 4 minutes.

La toute première édition du Next Einstein Forum se tient du 08 au 10 mars à Diamniadio, près de Dakar, capitale du Sénégal. Cette rencontre qui se veut bisannuelle rassemble cette année près d’un millier de participants. Elle a pour ambition d’offrir aux jeunes scientifiques africains une plateforme d’échange et de promotion. 15 jeunes chercheurs africains dont les travaux touchent à l’agriculture, la santé, les télécoms ou encore l’aérospatial y présentent leurs travaux et y seront récompensés.

Jeune Afrique : Comment est né le concept du Next Einstein Forum ?

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Thierry Zomahoun : Il a été conçu il y a trois ans alors que nous célébrions les 10 ans de l’Institut panafricain des sciences mathématiques (AIMS en anglais, créé en 2003 et basé au Cape en Afrique du sud).

Nous avons réalisé une petite enquête pour voir où se déroulent les grandes rencontres scientifiques dans le monde. Il y avait le forum mondial des sciences en Amérique du nord et d’autres rendez-vous du même genre en Asie, en Europe… et aucun grand rendez-vous scientifique international sur le continent africain. C’est la première chose qui nous a frappés

Deuxièmement, nous avons de jeunes scientifiques africains qui réalisent des progrès scientifiques énormes, contribuent à des découvertes liées à des problématiques auxquelles sont confrontés l’Afrique et même le monde entier dans la santé, l’épidémiologie, la finance, les télécoms… Mais ces jeunes ont besoin d’une plateforme qui leur permette de montrer à la face du monde tout ce qu’ils sont en train de faire. Souvent, ils ne peuvent pas se rendre en Europe et en Amérique du Nord présenter leurs travaux.

Enfin, nous avons parmi ces jeunes des femmes scientifiques qui sont en train de contribuer énormément mais que l’on ne voit pas souvent. Ces trois remarques fondamentales nous ont conduits à concevoir le Forum Next Einstein.

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Comment vous assurez-vous que les résultats présentés par les jeunes chercheurs africains seront mis au service des besoins du continent ?

Cela appelle deux dynamiques : la première est partenariale. Il faut un partenariat public-privé et scientifique car le PPP traditionnel seul, ne suffit plus. Il faut qu’on arrive à montrer au secteur privé la valeur ajoutée des progrès technologiques et scientifiques que le continent est en train de faire.

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Deuxièmement, il faut de la collaboration scientifique nord-sud, mais aussi panafricaine. Il faut décloisonner la communauté scientifique panafricaine, les chercheurs sénégalais doivent pouvoir travailler avec des Kényans, des Marocains, des Égyptiens, des Sud-africains…

Quel bilan dressez vous de l’activité de l’Institut panafricain des sciences mathématiques ?

Nous avons formé au cours de la dernière décennie environ un millier de mathématiciens de niveau master et doctorat. Un de nos anciens étudiants camerounais est aujourd’hui directeur de recherches associé en santé publique à l’université Yale aux États-Unis. Ses recherches portent sur le lien entre la malaria, la bilharziose et le VIH. La bilharziose est une maladie parasitaire qui n’atteint en majorité que les femmes noires et rend plus vulnérable face au VIH.

Une jeune chercheuse nigériane a utilisé les modèles mathématiques dans la fabrication d’un système robotique pour améliorer la sécurité dans les mines. Son invention va permettre de pouvoir détecter les risques d’éboulement. Une autre jeune kényane a développé sur la base de la modélisation mathématique, un système de détection précoce de la malnutrition chez les enfants. La liste est longue…

L’autre impact d’AIMS est de susciter la prise de conscience chez nos décideurs de l’importance des sciences et leur contribution dans le développement du continent. Vous ne pouvez pas avoir de bonnes écoles d’ingénieurs, sans les sciences mathématiques, or des enquêtes révèlent que pour maintenir sa croissance, l’Afrique subsaharienne a besoin de 2,5 millions et demi d’ingénieurs. En formant des mathématiciens, l’AIMS contribue à sa façon à résorber ce besoin.

Enfin, on peut dire qu’au bout d’une quinzaine d’années d’activités on constate enfin un début d’effort pour rétablir l’équilibre entre l’enseignement généraliste et l’enseignement scientifique.

Outre la formation de mathématiciens, l’AIMS s’intéresse-t-il à celle des enseignants de mathématiques des cycles primaires et secondaires ?

Cela fait partie des cinq programmes de l’AIMS. Avec le programme de formation des enseignants, nous avons remporté en 2012 le Prix Unesco-Hamdan bin Rashid Al-Maktoum récompensant des pratiques et des performances exemplaires pour améliorer l’efficacité des enseignants.

Nous mettons l’accent sur une nouvelle pédagogie des mathématiques car la manière dont on les enseigne a rebuté beaucoup de générations d’Africains. Nous sommes en train de mettre en place un programme panafricain de formation des enseignants en sciences, qui a commencé au Cameroun et que nous étendrons au Sénégal. Notre objectif est de former plus de 3 000 enseignants de mathématiques au Cameroun à travers plusieurs centres d’excellence qui toucheront environ près de 3 millions d’élèves du secondaire.

L’autre volet est la sensibilisation des élèves aux disciplines scientifiques. De manière générale, nous oeuvrons et encourageons à la revalorisation de la fonction d’enseignants des sciences. C’est indispensable.

Êtes-vous avec les gouvernements africains ?

Pour ce que nous avons vu, la volonté politique est là. Mais c’est les gouvernements doivent mettre plus de ressources dans l’éducation scientifique. Mais les deniers publics sont tellement sollicités qu’il n’y en aura jamais assez et l’Afrique ne peut pas développer sa stratégie scientifique et technique en se reposant uniquement sur les fonds publics.

C’est essentiel que les leaders du secteur privé comprennent qu’ils ne peuvent pas développer leurs entreprises en faisant fi de la recherche, des innovations scientifiques et techniques.

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