Tunisie : Ben Guerdane, le jour d’après

La ville tunisienne de Ben Guerdane, située près de la frontière libyenne, a été la cible lundi de violentes attaques jihadistes faisant plus d’une cinquantaine de morts. Reportage.

Policiers tunisiens postés à Ben Guerdane (est) après les attaques jihadistes qu’a connues cette région. © Feres Najar/AP/SIPA

Policiers tunisiens postés à Ben Guerdane (est) après les attaques jihadistes qu’a connues cette région. © Feres Najar/AP/SIPA

Publié le 10 mars 2016 Lecture : 4 minutes.

Ben Guerdane, le 8 mars. Habib, un cafetier, a levé son rideau dès la fin du couvre-feu, à 5 heures du matin. Pas un signe de vie sur la place du Maghreb, au cœur de la ville, hormis des soldats en patrouille, dont la durée de service a été portée à 12 heures.

Ils sont très jeunes, à peine la vingtaine, mais déterminés et animés par le sentiment d’avoir arraché une victoire. « L’objectif n’était pas de capturer mais de neutraliser », nous confie leur chef. « Si nous avions plié, c’en eût été fini de la région et du pays », lâche Ameur Jenhani, un jeune caporal fier d’avoir accompli son devoir et qui se réjouit de la mobilisation de la population.

Si nous avions plié, c’eut été fini de la région et du pays

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« Nous étions comme galvanisés. Avant de tomber, notre camarade de la police, Abdelkarim el-Jeri, a hurlé : ‘J’ai vécu en homme, je mourrai en homme’, un exemple ! » poursuit le caporal, à qui des femmes offriront des fleurs un peu plus tard.

C’est que la population n’a en rien cédé aux appels des assaillants. « Aux cris d’Allahou akbar, témoigne Habib, ils parcouraient les rues, arrêtant les passants pour leur annoncer qu’ils allaient les délivrer des taghout [tyrans impies, en l’occurrence les représentants de l’État] et qu’ils n’avaient rien à craindre. Ils escomptaient un ralliement massif. À tort ; personne ne les a suivis. »

Certains de nos jeunes sont fascinés par les discours salafistes

Son premier client nous confie qu’en se rendant à son travail la veille, il a croisé deux hommes qui l’ont mis en joue et contraint de se mettre à genoux et de réciter la chahada (profession de foi musulmane), avant de le relâcher. « Nous ne sommes pas des extrémistes, assure-t-il, même si certains de nos jeunes sont fascinés par les discours salafistes. En 2014, ils avaient manifesté en scandant ‘à bas les taghout !’. »

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Des murs criblés d’impacts de tirs de mortier témoignent de la violence des affrontements de la veille. « On dirait Beyrouth au plus fort de la guerre civile », répète Jabeur, un instituteur encore sous le choc qui s’étonne de sa bravoure. Avec des voisins, il a pourchassé des terroristes à coups de pierre. « On ne réfléchit pas, on est mû par une rage incontrôlable et on fonce. »

Ce matin l’adrénaline est retombée, cédant la place à un effroi contenu, entretenu par les récits et les questionnements des uns et des autres. « Nous sommes en guerre », assène Jabeur, quand une explosion retentit et le fait sursauter. Fausse alerte : l’armée venait de détruire un stock de grenades.

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Contrebande et réseaux jihadistes

Sans les nommer, beaucoup accusent les contrebandiers de complicité avec les terroristes. Comme pour confirmer ces dires, quatre caches d’armes avec des munitions camouflées dans des bidons d’essence ont été découvertes en moins de vingt-quatre heures.

Chaque famille profite de la contrebande et abrite au moins un takfiriste

Chez Ali, le boulanger, qui a ouvert pour quelques heures et dont les apprentis sont absents en raison des nombreux contrôles, Raouia, venue faire des provisions, s’énerve : « On est aussi responsables, on les connaît et personne ne les dénonce par peur ou par intérêt. Ils sont aussi protégés par des pontes de Tunis et d’ailleurs. Chaque famille profite de la contrebande et abrite au moins un takfiriste. »

« De quoi s’étonne-t-on ? On était averti, mais on n’a pas vu, ou voulu voir, venir le danger qui grandissait à nos côtés. Nous avons aussi profité de la situation », murmure Ali, en se référant à la manne de la contrebande, dont les liens avec le terrorisme sont avérés depuis longtemps.

Le commerce informel et autres trafics d’essence et de cigarettes, qui sont considérés comme un pis-aller par les autorités, sont aussi répandus à Ben Guerdane que le recrutement, souvent moyennant finances, de candidats au jihad.

« Ils vivent parmi nous, intervient Jabeur. On a la mémoire courte. En avril 2011, quand on a accueilli les réfugiés libyens, un groupe de Tunisiens avait tenté d’instaurer un émirat. Personne ne les avait pris au sérieux. »

Pendant qu’une femme s’afflige, « quelle pitié de finir ainsi », sans que l’on sache si elle parle des victimes ou des assaillants, Mohsen, un gardien de la délégation du gouvernorat, dont trois collègues ont été froidement abattus, s’insurge : « Le pouvoir propose de faire des marches de solidarité et d’organiser des dons du sang. Est-ce que cela suffira à nous protéger ? Le gouvernement est déconnecté de notre réalité. Heureusement que les institutions sécuritaires sont encore solides. Si certains veulent vendre le pays, nous les en empêcherons. Qu’on me donne une arme, je défendrai les institutions sans rien demander en retour. Ma position me rend taghout. »

Les opérations de ratissage se poursuivent et les arrestations se multiplient, alors que Ben Guerdane enterre ses morts.

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