Sonatel, champion ouest-africain

Avec sa marque Orange, l’opérateur historique sénégalais s’est imposé comme un acteur majeur dans la sous-région. Un succès qui doit beaucoup à la qualité du réseau et à la bonne entente avec son partenaire France Télécom. Reste que le nombre de ses concurrents ne cesse de s’étoffer…

Julien_Clemencot

Publié le 29 juin 2011 Lecture : 7 minutes.

En 2010, son chiffre d’affaires a battu un nouveau record : 913 millions d’euros. Plus intéressant encore pour ses actionnaires : sa rentabilité reste forte en dépit de la concurrence. Sa marge opérationnelle avant intérêts, taxes, dépréciation et amortissement (Ebitda), de 54 %, rivalise avec celle des meilleurs opérateurs du continent. « Nous travaillons beaucoup pour limiter les coûts, afin de maintenir un haut niveau de performance », confie Omar Guèye Ndiaye, directeur général de Sonatel Multimédia et directeur du plan et du marketing stratégiques.

Une bataille acharnée. Un travail de rationalisation d’autant plus important que ces dernières années Sonatel a subi une baisse continue (de 26 % en 2009 et de 16 % en 2010) de son chiffre d’affaires par utilisateur (Arpu) pour les formules prépayées au Sénégal – sa principale source de revenus. « C’est inévitable, car plus nous augmentons notre nombre de clients, plus nous touchons des gens modestes », justifie Omar Guèye Ndiaye. L’explication de cette érosion est aussi à chercher dans la bataille acharnée que se livrent les opérateurs pour fidéliser leur clientèle, en multipliant les promotions et les innovations. Jusqu’à présent, Sonatel a cependant bénéficié de circonstances favorables pour préserver une part de marché très conséquente : 61 %.

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En effet, même si Tigo est un concurrent agressif, notamment sur les cibles les plus populaires, son actionnaire, le luxembourgeois Millicom, limite ses investissements depuis 2008, année de publication d’un décret annonçant la nationalisation de sa licence – un litige qui sera tranché dans un an. Il détient aujourd’hui 28,2 % de part de marché. Quant à Expresso, propriété du groupe Sudatel, il a dès son lancement, en 2009, été pénalisé par le choix d’une technologie CDMA – une option qui obligeait ses clients à investir dans un téléphone spécifique. Désormais équipé d’un réseau GSM, l’opérateur détient 10,8 % du marché sénégalais. Sur les six derniers mois de 2010, Expresso a connu, selon ses responsables, une forte augmentation de sa clientèle, le nombre de ses abonnés mobile dépassant le million à la fin de décembre. Autre ombre au tableau pour Sonatel : l’arrivée probable d’un quatrième acteur sur le marché. « Une décision qui, économiquement, n’a pas de sens », analyse Isabelle Gross, du cabinet Balancing Act. Toutefois, l’obtention récente d’une licence 3G (internet mobile) permet au groupe d’envisager cette éventualité avec plus de sérénité.

Privatisation précoce. Pour Thecla Mbongue, du cabinet Informa Telecoms & Media, le secret des bons résultats de Sonatel s’explique avant tout par la privatisation précoce de l’opérateur historique sénégalais, réalisée dès 1997 alors que le marché mobile n’avait pas encore révélé son potentiel : « Avec l’entrée de France Télécom dans le capital (42,3 %), l’entreprise a pu très vite élaborer une stratégie à même de répondre aux exigences du marché. » Résultat : Sonatel a calqué sa gestion sur ses besoins réels. Par exemple, il ne compte aujourd’hui que 2 500 salariés, quand Tunisie Télécom doit en gérer 8 500.

Une ombre au tableau : l’arrivée probable d’un quatrième acteur sur le marché sénégalais

Second effet positif du basculement dans le secteur privé de Sonatel : la priorité mise sur l’amélioration permanente du réseau. Aujourd’hui, ce dernier couvre 83 % de la population sénégalaise et 96 % des villages de plus de 500 habitants. La compagnie possède les meilleures infrastructures de télécommunications d’Afrique de l’Ouest, avec une connectivité internationale de 6,5 gigabits par seconde. Et les investissements pour les faire évoluer sont permanents : pas moins de 100 millions d’euros par an.

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Cet effort financier a permis à la compagnie de s’imposer comme un acteur incontournable pour l’acheminement des communications des opérateurs régionaux. Ainsi, quasiment tous les appels entre le Sénégal ou le Mali et le reste du monde transitent par les infrastructures de Sonatel, ce qui représente aujourd’hui plus de 20 % du chiffre d’affaires consolidé du groupe. On comprend donc aisément l’hostilité de l’opérateur à l’égard de la décision prise en 2010 par l’État sénégalais d’imposer une surtaxe sur les appels en provenance de l’étranger. Active pendant trois mois, cette augmentation du prix des communications internationales a fait chuter de 5 % le trafic réceptionné par Sonatel. Inquiets de voir cette mesure de nouveau appliquée en 2011, les représentants de France Télécom ont d’ailleurs dit publiquement tout le mal qu’ils en pensaient lors d’un congrès télécoms organisé en juin à Dakar.

Mais quelle que soit la décision de l’État en la matière, Sonatel devra bientôt compter avec de nouveaux concurrents. En effet, à la mi-2010, l’opérateur nigérian Globacom a obtenu une licence pour faire « atterrir » son câble Glo-1 au Sénégal. Et Expresso va lui aussi mettre en place les infrastructures lui permettant de gérer seul les appels internationaux à destination ou en provenance de son réseau. Pour anticiper cette compétition, l’opérateur historique baisse régulièrement le prix de la bande passante, ce qui s’est traduit par une hausse importante des abonnés à internet via le réseau fixe entre mai et décembre 2010 (29 800 clients supplémentaires). Des utilisateurs très lucratifs, dont l’Arpu est plus de deux fois supérieur à celui des clients mobile.

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Management : un attelage franco-sénégalais

À la tête de Sonatel depuis 1988, Cheikh Tidiane Mbaye est devenu la figure emblématique de la réussite de l’opérateur sénégalais. À 54 ans, cet ingénieur télécoms a été le grand artisan de la privatisation de l’entreprise, puis le relais efficace de la stratégie de France Télécom en Afrique de l’Ouest. Mais sa longévité à la tête de Sonatel lui vaut régulièrement des critiques dans la presse sénégalaise.À ses côtés, l’actionnaire majoritaire a placé deux représentants. Numéro deux du groupe, Jérôme Henique, 41 ans, était jusqu’en 2010 directeur marketing de France Télécom. Gilles Lamberty, directeur des opérations, est l’autre relais des intérêts de la maison mère ; il est notamment passé par Mobinil, filiale égyptienne de France Télécom.

Mais le top management de Sonatel fait aussi la part belle aux quadras sénégalais. Parmi eux, Thérèse Tounkara, 44 ans, directrice marketing grand public, et Omar Guèye Ndiaye, 45 ans, directeur général de Sonatel Multimédia et directeur du plan et du marketing stratégiques.
 

Bonne surprise guinéenne. Le développement international de Sonatel est aussi un des marqueurs de la performance du groupe sénégalais, qui s’est implanté avec succès au Mali, en Guinée et en Guinée-Bissau. Numéro un au Mali (69 % de part de marché, 30 % du chiffre d’affaires du groupe), où sa filiale opère en 3G, il fait néanmoins face au redressement de l’opérateur historique Sotelma, détenu par le groupe Maroc Télécom. Et la concurrence devrait encore s’intensifier avec l’annonce de la mise en vente d’une troisième licence mobile par les autorités locales. Mais la bonne surprise sur l’exercice 2010 vient surtout du marché guinéen, dont le potentiel est encore largement inexploité. Malgré l’intensification de la compétition, Sonatel a pu y accroître sa part de marché, celle-ci passant de 25 % à 28 %. Un bon bilan qui s’est traduit par le premier résultat net positif enregistré, moins de trois ans après le démarrage des activités en 2007.

Du côté de Sonatel, le discours est donc sans équivoque concernant la poursuite d’une expansion internationale en Afrique de l’Ouest. « Nous étudierons toutes les opportunités », confirme Omar Guèye Ndiaye. L’annulation récente par l’État du Niger du rachat, en janvier dernier, de 51 % du capital de Sonitel par le libyen Lap Green Network, pour 47 millions d’euros, pourrait faire de l’opérateur nigérien une prochaine piste de développement pour Sonatel.

Mais un autre défi va mobiliser l’ensemble des ressources de l’entreprise ces prochaines années. Réussir à changer de modèle économique pour augmenter de manière sensible les revenus générés par l’internet mobile à mesure que les services de base perdent en rentabilité. « D’ici à 2015, cette activité devra représenter 10 % de notre chiffre d’affaires, contre environ 2 % aujourd’hui », explique Omar Guèye Ndiaye. Un nouveau combat pour Sonatel.

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