Procès Gbagbo : au prétoire avec les avocats de la Côte d’Ivoire

Me Jean-Paul Benoit et Me Jean-Pierre Mignard sont les avocats de la Côte d’Ivoire au procès de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé devant la CPI. Ils livrent à Jeune Afrique leur vision des premières semaines d’audiences.

Me Jean-Pierre Mignard et Me Jean-Paul Benoit. © Montage JA

Me Jean-Pierre Mignard et Me Jean-Paul Benoit. © Montage JA

Publié le 11 mars 2016 Lecture : 7 minutes.

Leur duo s’est formé pendant la crise postélectorale ivoirienne en 2010-2011. Le premier, Me Jean-Paul Benoit, ancien député européen (Parti radical de gauche) est un ami de longue date d’Alassane Ouattara. Le second, Me Jean-Pierre Mignard, est un proche du socialiste François Hollande, qui sera élu président de la République en 2012.

En pleine crise, Alassane Ouattara, alors reconnu par la communauté internationale comme vainqueur des élections, les sollicite afin de demander à la Cour pénale internationale (CPI) d’ouvrir une enquête sur « les crimes les plus graves » commis depuis le second tour de l’élection présidentielle. Un dossier qu’ils gèrent toujours.

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Avocats de l’État ivoirien sur plusieurs affaires, ces deux ténors français défendent aussi une personnalité ivoirienne de premier plan, le président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro. Rencontre.

Jeune Afrique : Cela fait près d’un mois et demi que le procès de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé s’est ouvert à la CPI. Des débuts marqués par quelques couacs, comme la divulgation de l’identité de plusieurs témoins. Qu’avez-vous pensé de cette première partie ?

Me Mignard : Il ne s’agit que de quelques incidents. D’ailleurs, le président de la Cour les a relevés, s’en est excusé, et a ordonné une enquête pour savoir s’il s’agissait de défaillances techniques ou d’une malveillance, ce qu’a priori nous ne pensons pas. Des couacs, il y en a dans toutes les juridictions, même dans les meilleures. Il n’y a donc pas de raisons que cette institution y échappe. Ce qu’il faudrait apprécier, ce sont les moyens qu’elle se donne pour effectivement s’améliorer, progresser et se perfectionner. Et pour le moment, c’est ce qu’elle semble faire.

Certes, mais ce sont des incidents qui n’améliorent pas l’image, déjà bien écornée, de la CPI sur le continent. Plusieurs États africains semblent même déjà prêts à la quitter

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Me Mignard : La CPI est un immense progrès dans l’histoire du droit international et de l’humanité. Il est vrai qu’actuellement un nombre significatif des dossiers pour lesquels elle est saisie concernent le continent africain et nous savons que cela crée débat depuis plusieurs années. Pourtant, l’analyse qui consiste à voir en cette institution une espèce de Cour tutélaire sur l’Afrique, et uniquement l’Afrique, est peu factuelle et approximative. La Cour étant, par exemple, saisie sur le conflit entre la Géorgie et la Russie. Il faut même renverser totalement le raisonnement et bien dire que c’est l’Afrique – dans son acceptation de cette juridiction internationale composée de magistrats qui ne sont pas que des magistrats africains – qui est pionnière, en avance sur le reste du monde.

Me Benoit : Oui, la Cour pénale est un progrès. Elle peut faire naître un droit pénal international accepté par tous et faire naître une pratique commune.

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Un attachement à la souveraineté nationale qui a pourtant poussé votre client, le président ivoirien, Alassane Ouattara, à déclarer récemment qu’il n’enverrait plus aucun Ivoirien (après Gbagbo et Blé Goudé) à la CPI…

Me Mignard : L’intention, en créant la CPI, n’était pas de dire que les États devaient renoncer à disposer d’une justice nationale. Loin de là. Il est important que ceux-ci se dotent d’un équipement législatif, juridictionnel et constitutionnel, qui leur permette d’assurer leur souveraineté.

Me Benoit : La CPI n’est pas une juridiction d’exception, elle est une juridiction qui doit être saisie exceptionnellement, lorsqu’un État prend acte d’un certain nombre de difficultés, d’impossibilités de ses juridictions à se saisir d’un cas, du fait de l’intensité d’un conflit.

Que n’aurait-on pas dit ou écrit si Gbagbo avait été jugé en Côte d’Ivoire

Me Mignard : Une intensité qui ferait que même si ses institutions fonctionnaient bien, que les magistrats étaient de bonne foi, bien formés, cette justice apparaîtrait de toutes façons, aux yeux d’une partie de la population, comme illégitime.

Me Benoit : En effet, que n’aurait-on pas dit ou écrit si Gbagbo avait été jugé en Côte d’Ivoire. Le raisonnement d’Alassane Ouattara est clair : il souhaite faire de la Côte d’Ivoire un État de droit, qui correspondrait aux exigences de la pratique juridique moderne. Lorsqu’il est arrivé au pouvoir, il a trouvé un système judiciaire complètement délabré. Juger immédiatement Gbagbo, dans ce contexte extrêmement difficile d’après crise postélectorale aurait été d’une certaine manière, le priver de ces droits, de sa propre défense.

Garantir les droits de Gbagbo, certes, mais le juger à La Haye, était aussi une manière de l’éloigner, d’éloigner l’opposant numéro un…

Me Benoit : Il ne s’agissait pas de l’éloigner mais de le protéger. C’est d’ailleurs Laurent Gbagbo qui en refusant le verdict des urnes s’est mis politiquement hors jeu.

La justice ivoirienne, incapable de juger Gbagbo il y a cinq ans, est donc aujourd’hui capable de juger à la fois Simone Gbagbo, que l’État ivoirien refuse de transférer à La Haye, et les militaires pro-Ouattara récemment mis en examen et sur lesquels enquêtent aussi la CPI ?

Me Benoit : On prête toujours à madame Simone Gbagbo beaucoup d’influence sur son mari. Soit. Mais cela, nous le disons toujours, c’est un problème interne au couple Gbagbo, ce n’est pas un problème de droit mais de conseiller conjugal. Madame Gbgabo n’avait pas de fonction officielle dans l’organigramme du pouvoir. Elle n’était ni chef des armée, ni chef de la police, etc… C’est Gbagbo, qui l’était. C’était lui le chef de l’État. Vouloir la mettre sur le même plan que son mari, c’est donc tenter d’exonérer celui-ci d’un certains nombres d’incriminations.

Vous représentez aussi le président de l’Assemblée nationale, Guillaume Soro, notamment dans l’affaire qui l’oppose au fils de l’ancien président, Michel Gbagbo. Affaire qui lui a valu plusieurs convocations devant la justice française et, en décembre, la délivrance d’un mandat d’amener. Pourquoi votre client, n’a-t-il pas répondu aux multiples convocations ?

Me Mignard : Il y a eu une commission rogatoire internationale lancée par une juge d’instruction à Paris qui ne semble pas avoir été traitée. À quel niveau ? Par qui ? Comment ? Le fait est que celle-ci n’a pas été suivie d’effet et que cela a créée un malentendu qui a prospéré jusqu’à ce que la juge émette une demande plus ferme.

M. Soro était en France dans le cadre d’une mission précise, en tant que représentant de son pays, il était donc protégé par une immunité diplomatique et a estimé qu’il n’avait pas à répondre à la justice française dans ce cadre-là. La juge, elle ne savait pas dans quelles circonstances il se trouvait sur le sol français, ignorait les mandats de l’Assemblée nationale et de la présidence de la République, ce qu’elle admet d’ailleurs. La juge a compris et n’a d’ailleurs pas reconduit son mandat d’amener. Voilà ce qui c’est simplement passé, et ce malentendu est sur le point d’être réparé.

Si nous avions eu le moindre doute sur le résultat de l’élection de 2010, nous n’aurions pas été les avocats de l’État de Côte d’Ivoire

C’est à dire ?

Me Mignard : Le président Ouattara a estimé qu’il y avait eu une négligence – qui n’est pas forcément imputable à Guillaume Soro d’ailleurs. Un nouveau ministre de la Justice a été nommé. Et dans la stricte application de l’accord de coopération judiciaire entre la France et la Côte d’Ivoire, le ministre a répondu à la commission rogatoire internationale. Il va donc y avoir coopération. La juge française a été invitée à venir en Côte d’Ivoire.

Me Benoit : Les instructions de Ouattara ont été très claires : dans ce dossier, la Côte d’Ivoire coopéra avec la justice en stricte application de la convention judiciaire entre les deux pays. Ceci dit, la question de l’immunité diplomatique de Mr Soro se pose toujours. S’il est entendu, cela ne peut être que dans le cadre d’une audition où la juge doit statuer sur l’opportunité de continuer ou non son instruction dans cette affaire. Une affaire, qui je le rappelle, a déjà été jugée en Côte d’Ivoire.

Vous aviez annoncé une plainte pour dénonciation calomnieuse à l’encontre de Michel Gbagbo. A-t-elle été déposée ?

Me Benoit : Oui, elle a été déposée et elle est en cours d’examen.

En représentant à la fois l’État ivoirien et Guillaume Soro, pouvez-vous préserver l’intérêt de ces deux clients en même temps ?

Me Mignard : Nous sommes les avocats de Guillaume Soro, Premier ministre et ministre de la Défense au moment de la crise post-électorale. Si l’on nous avait présenté des certificats médicaux accablants sur l’état de Michel Gbagbo, nous aurions pu analyser différemment la situation, mais les reproches dans cette affaire me semblent faibles pour ne pas dire nuls. Il n’y a eu au cours de son interpellation aucune violence recensée contre Michel Gbagbo. On comprend donc que derrière cette plainte, en réalité, la cible n’est pas tant Mr Soro que tout le processus de la légalité constitutionnelle qui a suivi l’élection de 2010. Il n’y a donc là aucune opposition d’intérêt entre nos deux clients.

Me Benoit : De la même manière, si nous avions eu le moindre doute sur le résultat de l’élection de 2010, nous n’aurions pas été les avocats de l’État de Côte d’Ivoire. Il ne faut pas oublier que l’origine de la violence vient du déni de Gbagbo, de sa volonté de ne pas reconnaître les résultats. Tout le reste, hélas en découle.

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