France Télécom/Méditel : les dessous d’une négociation

France Télécom s’est offert 40 % du capital du Marocain Méditel pour 640 millions d’euros. La voie royale pour profiter d’un marché toujours très prometteur et poursuivre son développement africain.

Julien_Clemencot

Publié le 28 septembre 2010 Lecture : 5 minutes.

Révélées début août, les négociations entre France Télécom (FT) et les actionnaires marocains de Méditel ont finalement abouti le 21 septembre après de longues semaines de palabres. Stéphane Richard, PDG du groupe tricolore, s’est rendu à Rabat pour signer un accord de partenariat stratégique qui doit encore être validé par l’Agence nationale de réglementation des télécommunications (ANRT). Une fois cette étape franchie, FT détiendra 40 % des parts de Méditel, en contrepartie d’un chèque de 640 millions d’euros. « L’actionnariat reste cependant majoritairement marocain », insiste Marc Rennard, patron de la zone Afrique pour FT, la holding FinanceCom et la Caisse de dépôt et de gestion conservant elles 60 % du capital.

« Le prix payé par FT est relativement élevé (150 euros par client), mais reste intéressant », estime Mehdi Ben Saïd, analyste du cabinet Pyramid Research. Il relève que le prix payé est inférieur aux sommets du rachat des filiales africaines de Zain par l’indien Bharti (177 euros) ou l’offre somptueuse du sud-africain MTN à l’égyptien Orascom (210).

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Pour mener à bien les tractations, France Télécom a notamment bénéficié des conseils de l’ancien patron du Crédit Lyonnais Jean Peyrelevade et de l’appui de la banque d’affaires Oddo, au sein de laquelle la Franco-Marocaine Fatine Layt, ex-associée de Messier, a suivi de près le dossier. La prise de participation du français dans Méditel, qui selon l’accord signé pourrait monter à 49 % en 2015, répare l’un de ses échecs les plus cuisants sur le continent. En 2001, FT ratait la privatisation de Maroc Télécom au profit du rival français Vivendi (53 % du capital). L’opérateur historique, leader avec 57 % du marché du mobile, a réalisé en 2009 un chiffre d’affaires de 2,7 milliards d’euros pour un résultat opérationnel de 46 %, ce qui en fait une corne d’abondance pour son actionnaire majoritaire.

Une évolution inévitable

Pour Stéphane Richard, l’entrée dans le capital de Méditel est plus qu’un simple lot de consolation. Numéro deux au Maroc, l’opérateur, créé en 1999, détient 37 % du marché du mobile, soit 10,7 millions de clients. L’opérateur étant détenu à 100 % par des institutions financières à la suite du départ en 2009 de Portugal Telecom et de l’espagnol Telefónica, la montée au capital d’un partenaire industriel devenait inévitable. Une évolution de l’actionnariat souhaité par les autorités du royaume, dont le ministre de l’Industrie, du Commerce et des Nouvelles Technologies, Ahmed Reda Chami, persuadé que l’expertise d’un associé issu du secteur permettrait de valoriser l’entreprise et d’apporter un plus aux consommateurs. L’an dernier, Etisalat s’était porté acquéreur, mais les actionnaires marocains avaient refusé la prise de contrôle par l’émirati.

Côté français, cette acquisition s’inscrit dans la politique de développement international axé sur l’Afrique annoncée par Stéphane Richard en juillet. Elle renforce la présence du groupe dans les pays arabes, après son entrée récente en Tunisie et ses implantations plus anciennes en Égypte et en Jordanie. « Le Maroc est un marché structuré qui présente des réserves de croissance intéressantes, un nombre limité d’acteurs, et Méditel est une société performante », explique Marc Rennard.

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Des arguments confirmés par les spécialistes du secteur. Le taux de pénétration du portable (88 %) devrait encore progresser, pour atteindre 100 % en 2013. Contrairement à la Tunisie, où l’opérateur est parti de zéro en 2010 avec l’obtention d’une nouvelle licence, FT s’implante au Maroc en reprenant une entreprise qui a réalisé un chiffre d’affaires de 471 millions d’euros en 2009, pour un résultat avant amortissements, provisions et charges de 40 %. Son revenu par utilisateur (5,20 euros par mois) reste néanmoins inférieur à celui de Maroc Télécom (7,50 euros).

Concernant les évolutions stratégiques qui vont découler de ce rapprochement, Marc Rennard reste très prudent et ne manque pas de ménager les susceptibilités de ses nouveaux partenaires, qui tiennent au caractère marocain de l’entreprise : « Il n’y aura pas de révolution. Aucun mouvement dans l’équipe dirigeante n’est prévu. France Télécom s’engage à apporter son assistance technique, ses compétences en marketing, ses produits et ses services. Ce sera ensuite au conseil d’administration de Méditel de décider des priorités. »

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Conquérir les hauts revenus

Ainsi, « l’arrivée du groupe français au Maroc ne devrait pas se traduire par une guerre des prix avec Maroc Télécom. Ce n’est pas sa tradition », selon Guillaume Touchard, du cabinet Africanext. FT devrait au contraire plaider pour le développement de services à forte valeur ajoutée, comme l’accès à l’internet mobile, et viser une percée sur la clientèle à hauts revenus. Dans cette optique, les innovations mises au point par les laboratoires de FT consacrés aux marchés émergents joueront un rôle majeur pour développer Méditel. Le marché de l’internet présente un potentiel important. « Si 29 % de la population utilisent internet, c’est en grande partie sur le lieu de travail ou dans les cybercafés, car ils ne sont que 5 % à avoir un abonnement », indique Guillaume Touchard. L’arrivée de la Flybox, lancée en Tunisie, qui permet un accès haut débit via la 3G, devrait être très rapidement à l’ordre du jour.

Sur le segment du mobile, la progression de Méditel risque d’être plus difficile car il devra faire face à la montée en puissance du troisième opérateur, Wana (sous la marque Inwi), qui détient près de 6 % du marché. Une évolution qui s’est pour le moment principalement faite au détriment de Maroc Télécom.

Avare de révélations sur les futures initiatives de Méditel, Marc Rennard se contente d’annoncer la prochaine commercialisation de l’iPhone d’Apple. Autre initiative qui sera à coup sûr appréciée, la création de produits à destination de la diaspora. « Fort de ses implantations en Belgique, en Espagne et en France, où résident beaucoup de Marocains, France Télécom réfléchira aux synergies possibles. Nous prévoyons déjà de baisser le tarif des connexions internationales », annonce Marc Rennard, premier artisan de la réussite africaine d’Orange, qui voit son pré carré s’agrandir.

Reste la question du nom de l’opérateur marocain. « Nous avons une très belle marque, reconnue en Afrique, mais il n’est pas prévu pour le moment que Méditel devienne Orange », réagit Marc Rennard sans exclure cette possibilité. Un maintien de Méditel constituerait pourtant une vraie surprise au regard des ambitions de FT pour sa couleur favorite. 

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