Mali : le BTP, un domaine livré à la concurrence
Les chantiers s’enchaînent au Mali. Beaucoup sont confiés à des groupes étrangers. Mais de leur côté, les professionnels locaux gagnent en crédibilité.
Le Mali est l’un des pays de la sous-région qui, ces dix dernières années, a le plus investi dans ses infrastructures, en particulier routières : « Environ 700 milliards de F CFA [1,07 milliard d’euros, NDLR] depuis le début du second quinquennat du président Amadou Toumani Touré », en 2007, précise le ministre de l’Équipement et des Transports, Hamed Diane Séméga.
Rattrapper le retard
Deuxième pays d’Afrique de l’Ouest par sa superficie, enclavé, le Mali avait du retard en matière de transports terrestres. À partir de 2002, la crise politico-militaire ivoirienne a contribué à accélérer le mouvement. Le pays étant très dépendant de la Côte d’Ivoire pour ses importations, notamment des ports d’Abidjan et de San Pedro, il a fallu trouver d’autres voies d’acheminement, depuis le Sénégal et le Togo.
Les chantiers routiers se sont donc succédé et se poursuivent. Le plus important, celui de l’autoroute Bamako-Ségou (227 km), est financé par l’État chinois et la Banque ouest-africaine de développement (182 milliards de F CFA). Lancés en octobre 2010, les travaux sont réalisés par la Société nationale chinoise des travaux de ponts et chaussées.
Préférence internationale
Du côté des infrastructures aéroportuaires, l’entreprise chinoise Chercec est chargée de l’extension de l’aéroport international de Kayes (10 milliards de F CFA), tandis que la modernisation de l’aéroport international de Bamako-Sénou (21 milliards de F CFA), financée par les États-Unis via la Millennium Challenge Corporation, a été confiée au groupement d’entreprises internationales Razel (Allemagne) et Sogea-Satom (France).
Le constat est similaire concernant la réalisation des complexes hydroélectriques. Après celui de Félou (120 milliards de F CFA), près de Kayes, réalisé par Sino Hydro Corporation (constructeur du mythique barrage des Trois-Gorges, en Chine), le chantier du barrage de Taoussa (142 milliards de F CFA), entre Tombouctou et Gao, a été confié à la China Gezhouba Group Company (CGGC). Et c’est la China Geo-Engineering Corporation (CGC) qui livrera d’ici à trois ans celui de Djenné (19,4 milliards de F CFA, en partie financé par la Banque africaine de développement), dont le chantier a débuté mi-septembre.
Le Palais des sports de la capitale est réalisé par la multinationale China Overseas Engineering Company, la Covec. (© E.D.B. pour J.A.)
Autre exemple : le Palais des sports de Bamako (9 milliards de F CFA), en cours de construction, est réalisé par la multinationale China Overseas Engineering Group Company (Covec). Rien d’étonnant à ce que nombre d’entrepreneurs maliens soient amers au regard de la longue liste de grands travaux exécutés par des firmes étrangères, dont l’expérience, les références et les ressources en trésorerie vont bien au-delà de leurs capacités.
Frilosité
« Il nous est impossible d’entrer en concurrence avec des multinationales européennes ou des entreprises chinoises qui, elles, sont soutenues par leurs banques et leur gouvernement, déplore Ibrahim Sako, directeur d’Entreprise Sud Services et vice-président de l’Organisation patronale des entrepreneurs de la construction du Mali (Opecom). Ici, les banques sont frileuses : elles ont peur de faire des prêts aux entreprises, sachant qu’elles mettront du temps à les recouvrer en raison des délais de paiement de l’État, qui sont souvent très longs. »
Selon le député Baba Haïdara, lui-même patron d’une entreprise de construction, qui s’était élevé mi-2010 contre la « concurrence déloyale » de la vingtaine d’entreprises chinoises de BTP présentes au Mali dans le seul secteur des routes et ouvrages de génie civil, entre 2002 et 2010, ces dernières auraient remporté des marchés pour un montant de 885 milliards de F CFA, contre 14 milliards pour les entreprises nationales.
Certains professionnels estiment cependant que la présence chinoise a du bon. Elle contraint les entreprises locales à se remettre en cause, à mieux former leurs collaborateurs pour se positionner sur le marché et, même si le niveau des rémunérations est faible, elle permet aux sous-traitants et employés de ces chantiers d’apprendre des ingénieurs et techniciens chinois.
La majorité des ouvriers maliens du bâtiment a été formée sur le tas et manque de notions théoriques, aussi, faute de main-d’œuvre qualifiée, les maîtres d’œuvre préfèrent recruter des ouvriers d’autres pays de la sous-région, ivoiriens, sénégalais, togolais et burkinabè en particulier. Au-delà des multinationales et des compagnies chinoises, qui ont raflé une bonne partie du marché des grands travaux auparavant dominé par les groupes français (dont Bouygues et Vinci), les entreprises maliennes sont aussi concurrencées par les entreprises de la sous-région (notamment burkinabè et sénégalaises) et par les entreprises informelles.
Le troisième pont de Bamako et, à sa sortie, la nouvelle route vers Sabalibougou et l’Hôpital du Mali. (© E.D.B. pour J.A.)
Taille critique
« Quand le Mali recourt a des investissements étrangers pour financer son développement, cela l’oblige à lancer des appels d’offres internationaux, explique par ailleurs le ministre Séméga. En revanche, quand il s’agit de marchés publics financés à 100 % par l’État malien, nous faisons jouer la clause de préférence nationale du code des marchés publics. » Clause qui permet à des entreprises locales de remporter quelques marchés publics, mais qui met aussi en évidence les problèmes de la profession.
Car, de tous les secteurs d’activité, celui du bâtiment reste le plus informel, malgré les efforts des pouvoirs publics et de l’Opecom pour le professionnaliser et le structurer. Ainsi, sur les 3 000 entreprises de BTP que compte le pays, moins d’une centaine dispose du matériel et des compétences nécessaires pour exécuter des travaux d’envergure. Certaines ont recours à des sous-traitants locaux ou étrangers pour sous-missionner lors des appels d’offres, ce qui gonfle leurs factures au-delà d’un seuil acceptable. « C’est pour cela que nous les encourageons à se regrouper pour être plus compétitives », conclut le ministre de l’Équipement et des Transports.
Les entrepreneurs maliens tentent aussi de s’épanouir hors des gros marchés publics, au Mali et dans la sous-région. Ainsi, la Société d’équipement du Mali (Sema) se concentre sur des programmes immobiliers, qu’elle est même parvenue à vendre à l’État. Quant à la SESG, elle a remporté pour la première fois un appel d’offres international au Mali : l’aménagement de 2 172 ha de terres dans la zone de l’Office du Niger pour le compte de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA).
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Malika Groga-Bada, envoyée spéciale à Bamako
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