Facebook : compassion à géographie variable
Facebook est critiqué, depuis dimanche, pour avoir activé son « Safety Check » en Turquie mais pas en Côte d’Ivoire. Maladresse dans un processus mal rodé ou émotion à géométrie variable ?
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Damien Glez
Dessinateur et éditorialiste franco-burkinabè.
Publié le 18 mars 2016 Lecture : 3 minutes.
Qui, de quel pays, a pleuré davantage sur telle victime de telle nation que sur telle autre victime de telle autre contrée ? Depuis la spectaculaire marche française du 11 janvier 2015, jour mémorable où le bitume parisien était devenu « the place to be » pour de nombreux responsables politiques de premier rang, la concurrence du traitement émotionnel fait rage.
Cible des critiques : les sommités eurocentrées qui considéreraient les souffrances africaines comme quantité négligeable ou, pire, les grosses légumes africaines qui réservent leurs larmoiements aux dirigeants du Nord dont il faut toujours bien se faire voir. Et Manuel Valls –Premier ministre français– de s’incliner, le 20 février dernier, devant le restaurant Capuccino meurtri de Ouagadougou. Et Jean-Marc Ayrault et Bernard Cazeneuve –respectivement ministres français des Affaires étrangères et de l’Intérieur– de s’émouvoir au restaurant La Taverne de Grand-Bassam. La polémique serait donc close, sauf pour les obsédés de la double victimisation…
L’émotion à géométrie variable existerait pourtant toujours
Incontestablement conscients de l’internationalisation de l’hydre terroriste et des remèdes éventuels, les politiques ont fait amende honorable et décliné sans compter le slogan « Je suis Charlie ». L’émotion à géométrie variable existerait pourtant toujours. Elle se nicherait désormais dans les neurones des dirigeants de sociétés multimédias, singulièrement dans ceux des responsables de réseaux sociaux…
Le 13 novembre dernier, lorsque débutent les attaques terroristes de Paris, Facebook active le « Safety Check », ce service de « contrôle d’absence de danger » qui permet traditionnellement aux Internautes proches d’une catastrophe naturelle d’indiquer à leurs amis qu’ils sont en sécurité. Du fait de la tragédie parisienne, voilà donc cette option systématiquement déclinée des situations de « désastres causés par la nature » aux « situations de désastres causés par l’humain ».
Le service est opérationnel, le même jour, pour la ville d’Ankara endeuillée par l’explosion d’une voiture piégée
Systématiquement ? Pas sûr. Ce 13 mars, alors que deux attentats terroristes touchent la station balnéaire ivoirienne de Grand-Bassam, le site d’informations Quartz remarque que le service Safety Check n’est pas disponible. Simple oubli du réseau social qui aurait perdu l’habitude d’activer cette option depuis les attentats parisiens ? Non, car le service est opérationnel, le même jour, pour la ville d’Ankara endeuillée par l’explosion d’une voiture piégée. Exception maladroite ponctuelle qui devrait confirmer désormais la règle ? Non plus, car le géant américain a déjà été critiqué pour n’avoir pas permis le contrôle d’absence de danger, lors de l’attentat qui ensanglanta Beyrouth le 12 novembre…
Il y a quelques semaines, le patron de Facebook sous-entendait que la tâche était rude. Mark Zuckerberg indiquait que les équipes de son réseau social « travaillaient dur pour aider les gens qui souffrent dans autant de situations que possible ». « Soyez patients », s’entendaient donc dire les ressortissants de contrées numériquement « isolées ». Et « ne croyez pas que l’Afrique soit ciblée par cette négligence » : Beyrouth n’est pas africaine et la fonctionnalité Safety Check avait été activée au Nigeria, en novembre, après une attaque terroriste de Boko Haram.
Qui se sent morveux se mouche. En ce début de semaine, dans un pays d’Afrique de l’Ouest, le correspondant d’une agence turque contactait le service communication de la primature, pour entendre la déclaration d’une autorité sur les attentats terroristes du week-end. « Nous avons déjà diffusé une déclaration sur les attaques de Grand-Bassam », répondit le communiquant. « Oui, mais au sujet de l’attentat d’Ankara ? ». Après un court silence, la primature rétorqua : « Oui, mais bon, la Turquie, c’est loin ».
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