Construction : un marché tunisien en forte croissance
Plus fort que jamais, l’engouement des Tunisiens pour l’accession à la propriété a suscité la construction de nouveaux logements et de résidences de vacances dont la commercialisation s’ouvre à l’international.
« Le marché mondial est en crise ? Sans doute. Mais que croyez-vous que doit faire un commerçant en période de crise ? Sûrement pas fermer boutique ! Au contraire, il faut innover. Et prendre des risques. » À la veille de la deuxième édition du Salon de l’immobilier tunisien à Paris (Sitap), Kameleddine Landoulsi, PDG d’Orsaf, société tunisienne spécialisée dans l’événementiel et à l’international, reste optimiste. Pas question de céder à la morosité ambiante et de se laisser gagner par la sinistrose. La Tunisie tiendra bel et bien salon à Paris du 12 au 14 juin prochain, cette fois-ci à la limite ouest de la capitale française, à l’espace Champerret : 6 000 m2 d’exposition – trois fois plus que l’an passé, où la manifestation avait eu lieu à Charenton, en banlieue parisienne -, plus de 130 exposants et près de 60 000 visiteurs attendus (voir p. 103).
Avec un peu plus de 65 000 logements construits l’an dernier, soit sensiblement autant qu’en 2007, et un taux d’invendus de quelque 10 % seulement pour les constructions neuves, l’immobilier tunisien a fait plus que garder la tête hors de l’eau : il n’a pratiquement pas été affecté par la crise. « Les mois de décembre 2008 et de janvier 2009 ont été délicats, mais le marché s’est repris dès février et les transactions sont reparties de plus belle en mars, explique Faouzi Ayadi, manager d’Invest Consulting et créateur du Guide de l’immobilier en Tunisie. « Nos fondamentaux sont sains. Le poids des acquéreurs étrangers est encore trop faible pour impacter les ventes et les mises en chantier. La croissance du secteur est tirée par la demande intérieure. »
Le résidentiel haut de gamme est très recherché
L’engouement des Tunisiens pour la pierre ne s’est jamais démenti. Selon les chiffres officiels, plus de 80 % des ménages sont propriétaires. Les prêts immobiliers représentaient 68 % de l’endettement des ménages tunisiens, qui a doublé ces cinq dernières années pour s’établir à 7,295 milliards de dinars (DT, 3,9 milliards d’euros) à la fin de 2008. Sur la période, l’encourt des crédits pour l’habitat a été multiplié par cinq, pour atteindre 5 milliards de DT. Des statistiques qui confirment que l’accession à la propriété demeure une priorité pour tout un chacun. « Aujourd’hui, il est pratiquement impossible de se marier si l’on ne possède pas une maison ou un appartement, constate Mehdi, un architecte d’une trentaine d’années, qui vient tout juste de se fiancer. Les jeunes couples ne supportent plus de vivre sous le même toit que leurs parents. Heureusement, les banques jouent le jeu en accompagnant les ménages. »
Les segments les plus porteurs ? Le résidentiel très haut de gamme, comme les projets qui ont fleuri du côté de Gammarth (banlieue nord-est de Tunis), dans le sillage de la Marina, et qui peuvent se négocier fort cher – jusqu’à 2 500 DT le m2 (1 340 euros), record à battre -, ainsi que les logements et villas destinés à la classe moyenne émergente, éligible aux prêts bancaires, à la périphérie des beaux quartiers. Ils sont moins onéreux – entre 850 et 1 200 DT le m2 – et la demande est très forte. À Aïn Zaghouan, elle excède largement l’offre. Si l’attrait pour le neuf demeure, les caractéristiques du marché tendent à évoluer. Les familles étant désormais de plus en plus petites, les logements sont aussi plus ramassés et le semi-collectif est en plein essor.
Ce qui est vrai dans le Grand Tunis l’est aussi dans le reste du pays, à ceci près que les prix – hormis dans les zones touristiques littorales d’Hammamet, Sousse et Monastir – sont beaucoup plus modérés. Par exemple, sur le complexe Taparura, à Sfax, un ambitieux projet imaginé pour réconcilier la ville industrieuse avec son front de mer, le prix du mètre carré oscille entre 700 et 800 DT.
Bulle spéculative ? « Non, répond Faouzi Ayadi. Cette augmentation s’explique surtout par la flambée des prix des matériaux de construction, qui est elle-même une conséquence de la hausse générale des cours des matières premières. Le prix de la brique a pratiquement triplé depuis 2005. » Les particuliers ne sont pas les seuls à payer la note. Entreprises du bâtiment et promoteurs ont vu leurs comptes de résultat se dégrader et ont été obligés de rogner sur leurs marges pour rester compétitifs. Selon la Chambre syndicale des promoteurs immobiliers, les prix ont encore accusé une hausse moyenne de 8 % l’an dernier, avec cependant des écarts assez marqués : + 15 % dans les quartiers huppés de la capitale (Ennasr) et de sa banlieue Nord (La Marsa), contre « seulement » + 5 % dans l’intérieur du pays.
Malgré tout, les perspectives restent encourageantes. Il y a peu de chances que la demande de logements se ralentisse, même si la Tunisie a maintenant achevé sa transition démographique et s’est urbanisée. La population est jeune, le niveau de vie continue d’augmenter et, outre la construction, les programmes de modernisation et de réhabilitation du parc ancien ne vont pas manquer, qu’il s’agisse de logements, bureaux, parcs industriels ou complexes touristiques. Surtout, l’immobilier demeure la valeur refuge par excellence. La Bourse, malgré la stabilité remarquable de Tunis – l’une des seules places financières mondiales à n’avoir pas fini l’année 2008 dans le rouge -, n’a pas encore les faveurs du grand public car trop complexe, elle reste un jeu réservé aux initiés. Il lui préfère la pierre. « Je préfère acheter des terrains et faire construire plutôt que prendre des participations dans des entreprises, martèle un grand patron tunisien. Ce n’est pas très judicieux du point de vue macroéconomique, car ce n’est pas de l’investissement productif. Mais la pierre offre sans doute la meilleure rentabilité à long terme. Et, surtout, cela a l’avantage d’être discret et de ne pas susciter de convoitises. »
En revanche, la frénésie qui avait saisi le pays après l’annonce en rafale des mégaprojets d’urbanisme par les investisseurs du Golfe, en grande majorité émiratis, est retombée. La crise financière est passée par là et les promoteurs Emaar, Sama Dubai, Al Maabar ou Damac se sont faits plus discrets. Et les 65 milliards de dollars (46 milliards d’euros) d’investissements promis semblent bien loin désormais. Seule une partie (la première tranche, baptisée Cedar) de Tunis Sports City, le complexe immobilier censé regrouper « l’esprit du sport et celui du luxe », cher au promoteur émirati Abdulrahmane Bukhatir, devrait voir le jour. Le report des autres grands projets n’a cependant que peu d’impact sur le marché domestique. « Les acteurs tunisiens de la filière, qui avaient été très peu associés, ne devraient pas en souffrir », analyse un professionnel qui préfère garder l’anonymat. Pas plus que les acheteurs tunisiens ne seront déçus. En effet, ces projets s’adressaient d’abord et avant tout aux étrangers ; les prix demandés, de l’ordre de 4 000 à 5 000 dinars le mètre carré, étant hors de portée de la plupart des acheteurs locaux.
Les modalités d’accession à la propriété ont été allégées pour les européens
Bien structuré et en plein essor, l’immobilier tunisien est de toute façon à l’affût de nouvelles opportunités pour diversifier ses marchés. Les Tunisiens résidant à l’étranger, mais aussi les Européens, constituent une cible idéale pour des professionnels amenés à évoluer dans un environnement devenu toujours plus concurrentiel. Le secteur de la promotion immobilière, qui compte près de 1 600 acteurs agrées – dont seulement 300 sont réellement actifs, c’est-à-dire ayant réalisé au moins un projet -, s’est en effet libéralisé, et l’accès des étrangers à la propriété foncière, qui était jusque-là très strictement encadré, a été facilité en mai 2005. Jusqu’alors leurs opérations immobilières étaient soumises à de fortes restrictions, et des autorisations préalables du gouverneur (l’équivalent du préfet) – elles étaient délivrées au compte-gouttes – étaient nécessaires à tout étranger qui souhaitait se porter acquéreur d’un bien immobilier. Depuis, les modalités d’attribution de ces autorisations ont été assouplies. Pour les acheteurs européens, elles ne sont souvent plus qu’une simple formalité, l’autorisation étant généralement accordée dans un délai de trois mois. Et, surtout, elles ne sont plus nécessaires pour les transactions concernant les zones touristiques et les projets industriels. Le but de cette dispense est clair : doper ces deux secteurs, ainsi que celui de la construction, en leur offrant de nouveaux relais de croissance au marché. Il s’agit en outre d’un discret signal envoyé aux investisseurs et acheteurs potentiels, qu’il s’agisse d’Européens en quête de résidences secondaires ensoleillées ou de riches Arabes du Golfe.
Si beaucoup de promoteurs tunisiens regrettent l’archaïsme de la législation foncière et le caractère toujours tatillon de l’administration, d’autres lui reconnaissent cependant des vertus… protectrices. « Les autorités gardent le contrôle, c’est clair, explique le directeur d’un bureau de vente basé à Hammamet. Car elles savent qu’un emballement serait synonyme de spéculation effrénée puis d’atterrissage brutal, et, au final, ce serait préjudiciable à tous. L’exemple de Marrakech, où les choses sont allées trop loin, incite à la réflexion et à la prudence. Des pans entiers du marché sont passés sous la coupe des étrangers. En Tunisie, on aime faire les choses par étapes, graduellement. Éviter autant que possible les soubresauts et les dérapages. C’est une question de culture… » L’organisation structurée et l’encadrement du secteur ont notamment évité au pays de construire trop vite et n’importe où, de perdre son identité architecturale et urbanistique, tout en protégeant les acheteurs.
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